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ENFER (SYNTHÈSE DE L’ENSEIGNEMENT THÉOLOCxIQUE)


cherche à le sauver et à s’en faire aimer, et si enfin il damne ce pécheur obstiné, c’est encore par amour. Lorsque Dieu, en effet, a choisi, parmi les mondes possibles, le nôtre, il a voulu, en lui, le bien, et il en a permis le mal, les péchés et l’enfer ; mais il n’a permis le mal que parce qu’il était utile au bien, au salut des élus. Cette utilité est double : l’enfer devait être un puissant stimulant, le seul efficace pour beaucoup, de salut et de sainteté et finalement pour les élus une raison plus grande de joie reconnaissante et d’amour. S.Thomas, Siim.theol., III » S « pp/., q.xcix, a. I, ad3’"", 4°"". Iniqui omnes xkrno siipplicio deputciti sua qiiidem iniquitate piiniunliir et tanicn ad aliqiiid ardebunt, sciliccl ut j’usli ouvres et in Dca l’idcant gaudia quaipciceperunt el in illis perspicianl supplicia quie evascrunt ; quatenus tanto mugis in aicrnuni divinie gratiadebilores se esse cognoscant quanlo in œternum mala puniri conspiciuni, qan : cjus adjutorio vicerunt. S. Grégoire le Grand, Dial., 1. IV, c. xliv, P. L., t. Lxxvii, col. 404.

Nous avons ainsi, par offensive, résolu la grande objection faite à l’éternité de l’enfer : un enfer éternel ne peut s’accorder avec la bonté et la miséricorde de Dieu. Comme réponse directe il faut ajouter ceci : la bonté de Dieu, c’est son amour faisant du bien gratuitement : cette bonté est miséricorde à l’égard d’êtres misérables. Aux damnés Dieu a-t-il ^oulu le bien, la perfection, le bonheur et rien que cela ? Oui, de volonté antécédente, c’est-à-dire de volonté réelle, sincère, efficace. Dieu crée tous les hommes pour le ciel et personne pour l’enfer ; si bien qu’il donne à tous les moyens né cessaircs, et même, de fait, surabondants, pour arriver au ciel : voilà l’amour et la bonté de Dieu universels. Mais les hommes sont libres ; s’ils refusent d’aller au ciel tt s’ils se plongent dans le mal, qu’y peut la bonté de Dieu ? Par miséricorde les sauver malgré tout ? Mais la miséricorde est un attribut tout transitoire : le mal disparaît ou devient irrémédiable. Alors Dieu ne devait pas créer ces maux irrémédiables ? Il aurait pu ne jias les créer ; mais il n’y était pas tenu, n’étint pas tenu de fermer son cœur sur tous, parc ? que quelques miséraples devaient abuser de sc^ bienfaits. Hien plus, nous allons le dire, c’est par amour idus grand que Dieu a sans doute conserve le m d dan- ; noire ordre, alors qu’il aurait pu le supprimer.

La raison formelle et dernière de l’enfer.

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raison formelle, objective et dernière des volitions divines, c’est l’amour de son bien infini, en tant que manifesté librement dans la participation finie du bien infhii aux créatures. Voir t. ii, col. 8, ’}8-810. Du degré dont Dieu veut par son amour subsistant aimer les biens limités il n’y a d’antre raison que le libre amour de Dieu. Il y a, en effet, un ordre essentiel que Dieu se doit de mettre partout. Mais au-dessus de cet ordre (ssentid, il y a le surabondant que Dieu ne doit phis et qui ne dépend que di’sa liberté, c’est-à dire de la part d’amo ir infini qu’il veut bien accorder aux créatures. Dire que Dieu doit le sa ! ut final à tous, c’est mettre en lui une né cessité dans le dom ine même du surabondant et c’est faire imposer des limites à son amour créateur par la créature mfme et iiar le pé(dié de la créature. Avec plus d’amour pour telles créatures. Dieu n’aurait pas fait l’tnfer ; mais c’était un degré d’amour libre (t indépendant et il ne l’a pas voulu. Cf. S. Thomas, Snm..theol., I » II’, q. i.xxxvii, a. 3 ; q. CLvn, a. 2, ad 1’"". Telle est la dernière raison formelle do l’enfer, comme de toutes choses.

Connaissant rimmensc amour de Dieu, on peut cependant se demaniler encore pour f(uelle perfection spéciale KUpérieurc ce Dieu si aimant a voulu l’en fer, ou cet ordre de choses, comprenant le péché et l’enfer ? Est-ce parce que c’est un ordre d’amour excellent, plus excellent que les autres ordres où n’entrerait pas le péché, sinon tous absolument, ceux du moins qui sont de potentia ordinata ? Et cette excellence provient-elle de ce que l’ordre de choses actuel est un ordre d’amour blessé par le péché, mais réparé par le Verbe incarné et rédempteur et puis par notre amour pénitent ? C’est là une réponse traditionnelle : o felix culpa. Mais, définitivement, la question est insoluble. Dieu a choisi cet ordre où il y a le péché et l’enfer pour manifester librement son amour infini dans le degré que réalise le monde créé.

X..pPLrCATIONS PKATIQUES. 1° Eu theologic

spc’culative, une méditation sérieuse de l’enfer ist nécessaire pour ap ; >récier moins incomplètement toute la conduite de Dieu sur le monde, pour comprendre spécialement la nature si mystérieuse du péché, enfin pour mieux estimer ces attributs divins de sainteté et de pureté, de Justice, de souveraine indépendance.

2 » En tliéologie ascétique, l’intelligence individuelle de la doctrine de l’enfer s’acquerra par le travail de la raison éclairée de la foi ou par l’illumination supérieure des dons infus d’intelligence, de sagesse et de science.

La crainte de l’enfer étant évidemment inférieure àl’amour, cettcétudeappartient de soi plutôtà la voie purgative, au commencement de la vie morale et ascétique. Eccli., i, 16 ; I.Joa., iv, 18. Voir Cuaixte DE Dii : u. Toutefois, il faut, à ce propos, éviter deux excès : a) de dire que les parfaits ne craignent plus l’enfer, parce qu’ils sont établis dans l’amour, Rom., vin, 35-30, et qu’ils ne désirent plus le ciel étant prêts, comme disposition habituelle, à aller en enfer, voir QiiKTisMi :  ; b) de dire que les parfaits n’ont plus à penser aux motifs de crainte et à l’enfer. Si parfait qu’on soit, on a toujours à craindre le péché mortel et l’enfer, qui en est le cliâtiment. M’- Ch. Gay, Vie et vertus chrétiennes, l" partic, t. i, p. 180198. Bien phi^, une connaissance supérieure de l’enfer par voie de contem|ilation infuse, ou même de vision imaginaire ou intellectuelle, a été très souvent dans l’iiisloire de la sainteté un facteur capital de grande sanctification. Il suffit de rai)peler les visions de sainte Thérèse et de sainte Françoise Romaine. Cf..1. Ribet, La miislique divine, Paris, 189, 5, t. il, c. xii, p. 219 sq. 3° Quant aux sentiments à avoir à l’égard des damnés, il serait d’abord irraisonnable autant qu’inutile de demander à Dieu leur délivrance ou leur soulagement, puisque leur sort est fixé à jamais. Voir MiTiGATioN. I-"n outre, il ne faudrait pas avoir pour eux de fausse pitié ; ils ne sont pas exclusivement des malheureux, ce sont des misérables. Il n’y a pas lieu de s’apitoyer sur leur sort qu’ils n’ont quc trop mérité par leur dépravation finale et irrémissible. Cf. S. Grégoire le Grand, Dial., 1. IV, c. xi-iv, 1’. /, ., t. Lxxvii, col. 404 ; S. Thomas, Sum. theoL, III » Supplem., i. xciv, a. 2, 3. Les bienheureux n’ont jjour les damnés aucune compassion, soit antécédente ou indélibérée, soit délibérée, car la vraie compassion suppose un mal guérlssable. Dieu lui-même n’a plus de miséricorde pour les damnés, parce qu’ils nvn veulent plus. Nous comprendrons cela dans la lumière infinie.

4° Au point de vue puslorul, on s’est demandé parfois s’il était utile de prêcher l’enfer à notre époque, et la sagesse charnelle tend à répondre négativement. La vraie sagesse traditionnelle a pensé autrement. Si les Pères et les prédicateurs du moyen âge. en effet, ne nndlipliaient pas les instructions sjiéciales sur l’enfer, la pensée dp la géhenne avec toutes ses horreurs hantait leur esprit et s’exprimait fréqucni-