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ENFER (SYNTHÈSE DE L’ENSEIGNEMENT THÉOLOGIQUE) 110

Marc, IX, 45 sq. Le texte évangélique est évidemment une citation littérale de l’Ancien Testament. Or, dans Judith et dans Isaïe, il ne s’agit que d’une comparaison : les ennemis de Dieu seront comme une armée de vaincus, de tués, pourrissant ou brûlés sur le champ de bataille et pour toujours ; on ne peut établir par ces textes la réalité des vers qui tourmenteraient les damnés en enfer, pas plus que par eux seuls le réalisme du feu de l’enfer. Dans Eccli., vir, 19 : vindicta carnis impii, le mot carnis est une addition de la Vulgate et saint Tliomas expose d’ailleurs les différents sens symboliques qu’il peut avoir. Sum. iheoL, Ul^ SiippL, q. xcvii, a. 2, ad ! ""> ; QnorfZ., VII, a. 13. Pour repousser l’existence réelle des vers en enfer, le même docteur invoque cette raison théologique générale : Posl diem jiidicii in mundo innovato non rrmanebii aliquod animal, vel aliquod corpus mixtiun nisi corpus hominis tantum…, ncc posl illud Icmpus sil juiura generalio et corruplio. Au moins, au ciel et en enfer, il n’y aura plus de décomposition ou d’altération organique, car si les corps immortels des ressuscites pouvaient être altérés, il faudrait, pour les restaurer, ou la nutrition ou la création qui sont toutes deux en dehors de l’ordre déTinitif des choses. Lessius ajoute. De perfcctionibus divinis, 1. XIII, c. xxiv, n. 159 : Ralio… est quia cum omnis morsus besiiarum ad dolores ac morsus ignis sil lusus vcl parvi momenli, non vidctur operæ prelium vilissimas bestiolas nova miraculo facerc immorlales in accrrimo igné, ul hominem crucienl, præscrlim cum morsus vermium sil exiguus et molestiam polius uffcrcd quam acrem crucialum. Cf. Knabenbauer, Comment in Marc, p. 25Ô. Il n’y a donc pas, en enfer, de ver corporel : le vermis qui non moritur, c’est le remords de la conscience qui appartient à la peine du dam, comme regret d’avoir perdu Dieu par sa faute, et à la peine du sens comme dégoût du plaisir jjassager créé, si vain et si déréglé, qui mérita l’enfer.

c. Immondices, etc. — Conformément à la théorie physique ancienne, saint Thomas maintient dans le monde supérieur purifié après la fin tiu monde, tout ce qu’il y a de beau et de noble dans les éléments matériels : quidquid vero est ignobile et ficculentum in inferno projicietur ad pœnam damnalorum ; ut sicut omnis creatura erit bealis maleria gaudii, ita damnalis ex omnibus creaturis lormentum accrescat, secundum illud Sap., v : Pugnabil, etc. IIoc eliam divinx juslitiæ competil, ut sicut ab uno recedenle per pcccalum in rébus malerialibus quie sunt nuilliv el variæ finem suum consliluerunt, ila eliam nuitlipliciler et ex mullis affligantur. Sum. theol., III* Suppl., q. xcvii, a. 1, extrait de In IV Sent., 1. IV, dist. L, q. ir, a. 3, q. i. Il nous cite à ce propos saint Basile, In ps. xxriii, P. G., t. xxix, col. 298, qui interprèle vox Domini inlercidentis flammam ignis, dans ce sens que Dieu sépare dans la fhtmme la projjriété lumineuse pour le feu réservé au ciel et la propriété qui le rend brûlant pour le feu enfermé en enfer. Rihet, La mystique divine, Paris, 1.S95, l. ii, p. 219 sq., rapporte des visions de saints, sur ce sujet, mais évidemment elles n’ont pas de valeur théologique. Les prédicateurs anciens parlaient souvent ihi /œlor in/eriudis. S. Chrysostome, In Episl. ad Ifeh., homil. i, n. 4, P. G., t. Lxiii, col. 18 ; Innocent III, De contemptu mundi, 1. III, c. IV, /’. L., t. cr.xvii, col. 738, etc. Ils mentionnaient aussi (les supplices de marteaux et de chaincs, clc, Cf, Innocent 11 1. ibid. ; S.Pierre Daniien. Serm., i.ix, /’. L., t. cxi.rv, col. 838, etc. Il faut laisser de côté tout cela qui n’est pas dans la révélation.

r) La société des autres condamnes de l’enfer, démons el damnés. — Kn raison de la (lépravatlon indicible, de l’étal haineux, des su|)plices horribles des habitants <le l’enfer, leur société continuelle, éternelle, ne pourra

être elle-même qu’une torture terrible. Ainsi sera contrarié, dans les damnés, ce besoin de la nature créée, la sociabilité, ici-bas source de tant de biens et de joies dans une société de bons et d’amis, et de tant d’ennui et de dégoût dans une société odieuse, dépravée. Cf. Sauvé, loc. cit., p. 192-201. On ne peut guère raisonnablement douter du fait que les damnés souffriront dans la société les uns des autres. L’enfer n’est pas une prison à régime cellulaire individuel, quoi que prétendent quelques visions de saintes (cf. Sauvé, loc. cil., p. 202) ; il est un large abîme de feu, commun aux démons et aux damnés, et cette communauté les torture. Les ténèbres de l’enfer ne seront donc pas si épaisses que les damnés ne puissent se voir, même corporellement, comme le remarquent fréquemment les Pères et les théologiens, S. Grégoire le Grand, DiuL, 1. IV, c. xxxiir, P. L., t. lxxvii, col. 373 ; S. Julien de Tolède, Prognoslicon, 1. II, c. XXIV, P. Z, ., t. xcvi, col. 486 ; S. Thomas, Sum.lheol., llh^ Suppl., q. xcvii, a. 3. La prédication chrétienne, spécialement dans la bouche des Pères, a développé souvent cette considération de l’horreur, du désordre épouvantable, de la tyrannie haineuse de la société de l’enfer, cité de la haine éternelle et universelle, où pas un bon sentiment ne s’élèvera jamais pour un damne quelconque, où tous seront toujours dans le milieu le plus abject et le plus antipatliique qu’on puisse imaginer. On peut concevoir des souffrances spéciales résultant de la société des complices, des corrupteurs, des corrompus, etc.

Nous examinerons plus loin si la société des démons sera, en outre, une tyrannie et une domination de bourreaux sur les hommes damnés.

D’ailleurs, nous ne pouvons concevoir comment s’exercent toutes ces relations entre substances spirituelles, et dans quel degré mitigé ou exacerlié en nuances infinies ; sur ce sujet, ; ii/ ! (/ nobis reoelalum aut alias cerlum. Suarez, loc. cit., c. xx, p. 1084. Cf. Juvencus, Ei>.tiisl., . IV, v. 257-268, 284-305. P.L., t. XIX, col. 302-301 ; S. Pierre Damien, loc. cit. ; S. Anselme, Homil., v, ni Malth., xviii, P. L., t. ci.viii, col. 620. etc. ; Migne, Index, P. L., t, ccxx, col, 244, 215.

rf) Priixdions dinerscs. — En dehors de l’action positive des créatures matérielles et intellectuelles, les damnés souffrent encore, relativement à l’usage de ces créatures, de privât ions diverses. Ils ne reçoivent d’abord d’aucune d’elles ces innombrables salisfactions, si douces et si intenses, qui procurent plbas la joie secondaire de vivre. Lumières, fraîcheurs, harmonies, air embaumé, repos et suaves sensations : plus rien de cela chez les damnes, plus rien de tout ce qu’ils avaient tant aimé ici-bas. Cf. les fables païennes d’Ixion, Sisyphe, Tantale, clc. Par conséquent, toutes leurs facultés, sans objet et pourtant sans sommeil, surexcitées plutôt, sont dans un étal de malaise et de privation plus ou moins aigu, qui, devant être éternel, est terrible.

Voici les principales de ces privations : privation du besoin de liberté corporelle, d’immensité, de variété, par la réclusion dans le feu de l’enfer, cf. Sauvé, loc. cit., p. 205 sq. ; sens internes liés à des imaginations et à des souvenirs qui tous sont plus ou moins torturants ; sens externes blessés, supplieiés chacun dans son objet. Cf. Ch. Pcsch, Privlecl. theol., t. ix, n. 646-652.

e) Quel sera donc l’état général du corps des damnés ? D’abord, comme celui de tous les ressuscites, il aura l’intégrité complète, sans aucune des mutilations ou difformités introduites par l’action imparfaite de la nature (par génération, par maladie, jiar mort prématurée, etc.), cf. S. Thomas, Cont. génies, 1. IV, c. Lxxxix ; Quodl., l, n.12 ; Sum. theol., lïl Suppl.,