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EUCHARISTIE AU XIP SIÈCLE EN OCCIDENT

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II. DOCTRINE DE LA PRÉSENCE RÉELLE. 1° Soil

affirmation. — La présence réelle est affirmée chez tous avec une netteté qui ne laisse place à aucun doute. L’allure générale même du plan et des chapitres donne plus de force î » cette affirmation. La plupart n’introduisent pas ex professa une « thèse » sur la présence réelle ; Roland Bandinelli, nous l’avons déjà dit, est un des rares qui fassent exception. Les autres se contentent d’apporter quelques témoignages scripturaires ou patristiques, en guise de réfutation contre ceux qui ont attaqué ce dogme ; souvent la réfutation prend du développement. Les paroles du Christ dans l’institution et dans la promesse sont fréquemment invoquées.

Rubert de Deutz a été calomnié, quand on l’a représenté comme favorable à l’erreur des sacramentaires. Wycliff lui a fait le reproche d’enseigner une présence du Christ dans l’eucharistie per figiiram. On peut voir dans VApologia Ruperti de Gerberon, Paris, 1669, P. L., t. clxvii, col. 108-123, les textes qui nous donnent l’expression de sa foi orthodoxe. Citons seulement sa lettre dédicatoire à Cunon de Ratisbonne, mise en tête de son commentaire sur saint Jean, dans l’édition de Cologne et de Nuremberg (1526) et reproduite par Migne, P. L., t. clxix, col. 201, grâce à une copie envoyée par Denzinger. Il s’y élève expressément contre l’erreur bérengariennc. Des passages de son De divinis officiis, tels que I, 6, 17, P. L., t. cLxx, col. 15, 21, où il a le texte /ère ôa^ur in…, ne permettent pas non plus une interprétation contraire à la présence réelle, comme Rocholl le reconnaît dans la Realencyklopàdie, t. xvii, p. 240. Ajoutons-y encore sa discussion avec un scholasticus magnie œstimalionis, qui arguë contre lui de la communion de Judas, pour nier la présence réelle. Super quædani capitula S. Bcnedicti, P. L., t. clxx, col. 495.

2 Questions corollaires. — 1. Présence sous chaque espèce, sous chaque fragment. — Fidèles à la tradition si fortement inculquée par Paschase Radbert au ixe siècle et reprise avec ardeur parles adversaires de Bérenger, la plupart des auteurs mettent de l’insistance à affirmer l’identité du corps présent dans l’eucharistie avec celui qui est né de la Vierge Marie, qui a été attaché à la croix, qui est monté au ciel. Il faudrait citer ici tous les écrits, ou peu s’en faut ; sommistes, auteurs ascétiques, mystiques ou populaires sont unanimes.

Le Christ est reçu tout entier par tous, integer accipitur, comme le dit Graticn, De consecratione, dist. II, c. 70, 75. Il est présent tout entier dans chaque partie, sovis chaque espèce et chacun le reçoit en entier ; c’est un point de doctrine sur lequel on constate le soin des maîtres et des pasteurs à prévenir les idées fausses, par exemple, Summa sententiarum, VI, 6, P. L., t. CLXxvi, col. 142 ; Honoré d’Autun, Elucidarium, I, 28, P. L., t. clxxii, col. 1129 ; Eucharistion, I, 3, 5, col. 1250, 1252, 1253 : nec particulam de corpore præcidens, etc. ; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, 1. II, part. VIII, 11, P. L., t. cLxxvi, col. 469 ; Sententiæ divinitatis, v, édit. Geyer, p. 137, 138, qui réfute la solution donnée par Roland, celui-ci n’admet pas qu’on reçoive l’âme du Christ : licet corpus animcUum suscipiatur, op. cit., édit. Gietl, p. 227 ; Hugues de Rouen, Dialogorum libri VII, 1. V, 15, P. L., t. cxcir, col. 1210 ; Robert Pulleyn, Sententiæ, iii, 5, P. L., t. clxxxvi, col. 966 ; Pierre Lombard, 1. IV, dist. XI, n. 6 ; dist. XII, n. 5, etc. ; la lettre de saint Anselme a déjà été mentionnée plus haut, P. L., t. CLVii, col. 255, ainsi que celle d’Arnould de Rochester, Spicilegium de d’Acherj% t. II, p. 441, et le court mais substantiel passage de Guillaume de Champeaux, P. L., t. clxiii, col. 1039,

ou d’Anselme de Laon, op. cit., p. 12, 10. Nous ne rappelons que pour mémoire le cas isolé de lolmar de Triefenstein, qui partait d’un littéralisme effrayant dans l’exégèse des formules eucharistiques, pour ne voir dans l’hostie que la seule chair sans les os et dans le vin que le sang. Epist., i, P. L., t. cxciv, col. 1481 ; Epixt., viii, P. L., t. cxciii, col. 500-503.

La comparaison du miroir brisé dont chaque fragment reproduit la même image se rencontre fréquemment ; Innocent III l’applique à la question de la présence du Christ dans chaque parcelle de l’hostie avant la fraction, op. cit., 1. IV, c. viii, P. L., t. ccxvii, col. 861 ; le même auteur est formel sur la présence du Christ sous les deux espèces, dite ensuite (car ces mots attribués à frère Égide sont une interpolation évidente)ex naturali concomitantia. Op. cit., 1. IV, c.xvir, col. 868. Il y a, à cet endroit, une note intéressante sur les divers avis à propos du moment même de la consécration : le corps ne pouvant exister sans le sang, ni sans l’âme, c’est donc avec les paroles : hoc est… corpus meum, que la présence réelle se produit. Voir plus loin.

2. Objections contre cette présence multipliée.

La difficulté, issue de la présence multipliée du Christ et si souvent invoquée par Bérenger et les sectes hérétiques, a été touchée par divers auteurs. Citons, entre autres. Honoré d’Autun, qui reflète, dans un langage populaire, les idées courantes de l’enseignement scolaire. Il se pose nettement la question : utrum Christus cdiud quam suum proprium substantivum corpus apostolis trudiderit ? an Ecclesia hodie cdiud et cdiud tune acceperit vclutrum a singulis sacerdotibussingtda corpora vel potius ab onmibus unum conficiatur ? an particulatim a populo vel totum ab uno quolibet comededur. Il y répond en affirmant que c’est bien le même corps, né de la Vierge, crucifié, présent au ciel, qui a été donné aux apôtres et qui est distribué aujourd’hui ; puis il continue : et licet singuli sacerdotes singulas hostias offerant, non tamen singukuia corpora, sed onmes unum, quamvis diverso tempore conficiant. Et licet oblatas in plurima frusta divident, non tamen partes sed singuli totum accipiunt. Alioquin si Christus semel divisus a populo comederetur, non essel quod denuo esurienti daretur aut lot essent Christi corpora, quoi sacerdotum sacrificia. La difficulté de ce mystère est au-dessus de la raison : quodque humana ratio probare non potest : catholica fides neminem sinit dubitare. Eucharistion, v, P. L., t. clxxii, col. 1252-1253. L’investigation cosmologique, on le voit, sur la présence locale ou illocale, n’est pas même effleurée. Plus satisfaisante à ce point de vue, car elle dénote un progrès réel, est une page attribuée à Hildebert du Mans (fort gratuitement, il faut le craindre, à cause de certaines expressions techniques qui accusent une date postérieure ; d’autre part, l’absence du mot transsubstantiation, si fréquent déjà vers 1180-1200, ne permettrait pas de dépasser la limite du xiie siècle), sur la présence du corps de Christ, à la manière d’un esprit, d’une façon incircumscriptible, partout à la fois, sans qu’il faille rechercher sous quelle parcelle de l’hostie se trouve telle partie du corps, etc. ; toutes ces questions peuvent se faire juxta modum cxistendi qui comilatur naturairi, non cmtem circa ecmi quæ virtutem sequitur divinam. Le corps du Christ, en effet, est secundum aliquid ibi corporalitcr proplcr veram corporis naturam et sacramenti, ut dictum est, formam et propter quemdam cxistendi modum, secundum aliquid vero incorporaliter, quantum videlicet ad actum sentiendi (c’est-à-dire sensus nostri pcrccptioncm. comme il l’a dit plus haut) et modum quemdam cxistendi. Breuis tractatus de sacramento altcuis, P. L., t. clxxi, col. 1151, 1152. Puis il se rejette sur la supériorité de ces mystères sur la raison, qui doit ici non pas précéder,