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EUCHARISTIE D’APRÈS LES PÈRES


cisément ce que Gélase croit pouvoir justifier par une analogie tirée de l’eucharistie : Certe sacramenta quæ sumimus corporis et sanguinis Chrisii divina res est, propter quod et pcr eadem divinæ efficimur consories naturae ; et tamen esse non desinit substantia vel natura panis et vint. Et cette imago et simililudo corporis et sanguinis Chrisii in actione mysteriorum celebrantur. Satis ergo evidenter ostendiiur hoc nabis in ipso Christo Domino sentiendum, quod in ejus imagine profitemur, celebranms et sumimus : ut sicut in hanc scilicet divinam, transeunt, Sancto Spiritu perficiente, substantiam, permanentes tamen in sua proprietate naturæ (ou permanente in sua proprietate naturæ, d’après Tliiel ; ou permanentes in suæ proprietate naturæ, d’après Mirbt, Quellen zur Geschichte des Papst/liTTis, Leipzig, 1901, p. 68), sic illud ipsum mijsterium principale, cujusnobis efficientiam virtutemqueveraciter représentant, ex quibus constat proprie permanentibus, unum Christum, quia integrum verumque permanere demonstrant. Thiel, Epistolæ, p. 541, 542. Bien que le pape Gélase se serve, comme Théodoret et le pseudo-Chrysostome des mots image et similitude du corps et du sang du Christ, il ne les entend pas au sens purement symbolique de signes vides de toute réalité, puisqu’il y voit une divina res, une divina substantia, qui rend les communiants divinæ consortes naturæ ; le dogme de la présence réelle ne saurait donc être mis en doute. Il parle même d’un passage du pain et du vin, sous l’action du Saint-Esprit, en la substance divine ; et si le verbe transire n’a pas nécessairement le sens de conversion, on ne peut pas dire qu’il l’exclue. Mais ce qui est une difficulté, c’est que la nature ou la substance du pain et du viii, tout en passant en la substance divine, n’en persiste pas moins : esse non desinit. S’il en est vraiment ainsi, l’argument tiré de l’eucharistie porte contre le monophysisme. Mais en est-il bien ainsi ? C’est ce que conteste l’auteur de la Perpétuité de la foi, t. iii, 1. V, c. x, p. 315 sq., qui traduit ainsi la fin de ce passage obscur : « Comme par l’opération du Saint-Esprit, ces choses (le pain et le vin) passent en cette substance divine, quoique leur nature conserve ses propriétés, elles nous marquent aussi que ce mystère principal (l’incarnation), dont elles nous rendent présentes l’elTicace et la vertu, , consiste en ce que, les deux natures demeurant pro-’’prement, il n’y a qu’un Christ, qui est un, parce qu’il I est entier et véritable. » Assurément, à ne tenir compte I que de la première anirmation : esse non desinit sub-Istantia vel natura pemis et vint, le passage du pain et Jdu viii, sous l’action du Saint-Esprit, in divinam substantiam, n’est pas une transsubstantiation. -’Nous n’avons pas ici, dit le P. Lebreton, la doctrine précise de la transsubstantiation, mais nous avons moins encore la théorie de l’impanation. » Le dogme de la transsubstantiation, loc. cit., p. 491. Mais à expliquer cette première aiïirmation par celle qui suit : permanentes in sua proprietate naturæ, la pensée est alors correcte, puisqu’il n’y a que les propriétés du pain et du vin qui demeurent ; et ceci se concilie fort bien avec l’idée d’une conversion substantielle. Mais, dans ce dernier cas, l’analogie qui permettrait de conclure de ce qui a lieu dans l’eucharislie à ce qui a eu lieu dans l’incarnation, n’existe pas, et l’argument manque de base. Quelle qu’ait été la pensée exacte du pape Gélase, il faut convenir que l’expression qu’il lui a donnée est assez obscure ; et fallût-il admettre une erreur chez lui, il est à peine besoin de faire remarquer que ce serait l’erreur du docteur privé, et nullement celle du pape dans une définition de foi.

fi » Après le pape Gélase. — L’explication donnée par le pape Gélase reste un fait isolé et unique dans l’Eglise latine. Elle n’a laissé aucune trace ; ni les Pères qui suivent, ni le pape saint Grégoire le Grand

(† 604) n’y font la moindre allusion. C’est l’enseignement traditionnel, celui de la présence réelle et d’une conversion qui s’opère dans l’eucharistie, qui continue à être proposé, mais sans qu’on y apporte de nouvelles explications ou une analyse plus pénétrante. Dans l’Éghse grecque, saint Jean Damascène, qui a résumé et recueilli la pensée orthodoxe des Pères d’Orient, nous a montré ce qui avait été éliminé et ce qui avait été conservé ; l’Église latine ne possède pas, à la fin de l’ère patristique, un auteur qui ait rempli le même rôle pour les Pères d’Occident. Or, en Occident comme en Orient, mais pour des motifs différents, la doctrine eucharistique ne progresse plus ; elle reste en l’état où l’avaient laissée saint Ambroise et saint Augustin, jusqu’à l’époque carolingienne. Les Pères latins subissent tour à tour ou simultanément l’influence de l’évêque de Milan ou celle de l’évêque d’Hippone. Les Africains, cela se comprend, restent fidèles à la pensée de saint Augustin ; tels, par exemple, saint Fulgence de Ruspe († 533) et Facundus d’Hermiane (f vers 572). En Espagne, saint Isidore de Séville († 633) s’en fait aussi l’écho ; mais la doctrine eucharistique de saint Ambroise trouva aussi des partisans dans saint Césaire d’Arles († 542), saint Grégoire de Tours († 593), saint Germain de Paris († 576) et saint Grégoire le Grand. « Il ne faudrait pas conclure des témoignages de ces écrivains, observe MgrBatifïol, L’eucharistie, p.341, que le courant augustinien dominait en Espagne, tandis que le courant ambrosien dominait en Italie et en Gaule. La réalité est moins simple. Les deux courants se rencontraient et s’entrecroisaient un peu partout, et on en a une preuve dans les liturgies. » La vérité est qu’aucun Père latin n’a fait la synthèse de l’enseignement eucharistique de saint Ambroise et de saint Augustin ; du vi^^ au ixe siècle, on se contenta de répéter ce qu’avaient dit l’un ou l’autre, sans songer à les harmoniser et à mettre de l’unité dans l’exposé différent de leur doctrine. La tendance était pourtant à une conciliation, et elle se manifesta pratiquement dans les prières liturgiques. On trouve, en effet, dans les diverses liturgies de cette époque, des expressions comme celles-ci : Corpus accipere, sumere, edere ; corpori communicari et sanguini ; sanguinem potare, bibere, haurire ; leur sens réaliste est bien conforme à la tradition. Il en est d’autres : spirituolis cibus ; spirituales epulæ ; spiriluale poculum ; spiritualitcr corpus sumere ; refeclio divini mijslerii ; cœlestis cibi virtus ; cselestis mensæ substantia ; deliciæ mensæ cœlestis ; remedium immortalitatis ; imago sacramenti ; celles-ci se ressentent, de l’influence augustinienne. Quelle que soit la différence qu’elle présentent, elles s’autorisent toutes, soit de la doctrine de saint Ambroise, soit de celle de saint Augustin. « La renaissance carolingienne trouva la doctrine eucharistique à ce point d’indécision, dit Mgr Batiffol, L’eucharistie, p. 346, et cette indécision elle-même sollicitée de se résoudre en deux partis extrêmes et nouveaux. »

Travaux anciens : Valentia, De reali Chrisii præsentia in eucharislia et de Irnnssiibslanlialiniie, IngolstacM, 1587 ; Examen et re/afalio prKcipiii mi/slerii doctrinfr colvini’starum de re ciirharistica, Ingolstadt, 1589 ; Bcllarniin, L>isputaliones de conirovcrsiis fidci adversiis luijus temporis li « reticos, t. iv, De eiicliaristia et sacrificio misss’libri.sex, Venise, 1724 ; Duporron, Trailé du S. S. de Veiicitarislic, Paris, 1622 ; Coeffetoau, l.n dé/en.ie de la sainte eucltaristic el présence réelle du corps de Jésus-Christ contre la prétendue apologie de la cène publiée par Pierre Dumoulin, ministre de Cliarenlon, Paris, 1607 ; Massuct, S. Ircnai opern. Piiris 1710, diss. III. a. 7, n. 74-101, P. G., t. vii, col. : 121-.^.-, 8 ; ’Touttde, S. Ciirilli Hieros. opéra, Paris, 1720, diss. III, c. ix-xi, P. G., t. xxxiii, col. 21, ’?-276 ; Le Quien, Disserlatalione. i damasreniree, IH, P. G., t. xc.i, col..’U.’") sq. ; Iluet, Origenis commentaria in S..Scripluram, Rouen, 1668. Origeniana. I. ii, c. ii, q. xiv, I’. G., t. xvii, col.l076-T088 ; ArnauUl, Perpéluilé de la foi de f Eglise catholique sur feu-