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ENFER (SYNTHÈSE DE L’ENSEIGNEMENT THÉOLOGIQUE)

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lionnclle. Le contexte, d’ailleurs, n’a rien qui s’oppose k prendre le mot dans son sens naturel et il ne laisse aucune anibigu’ité. Éternel, dans les textes cités, désifinc certainement l’élcrnité proprenieiit dite, pour la vie des bienheureux ; donc aussi pour le supplice des réprouvés, et non pas simplement une très longue durée. Le contexte général évangélique est aussi lumineux : dans le Nouveau Testament, aitivcoç, appliqué au siècle futur, signifie toujours une durée sans fin. Cf. Billot, loc. cit.

Une objection contre la preuve scripturaire de l’éternité de l’enfer a été faite par les miséricordieux du Vi siècle. Cf. S. Augustin, De civilule Dei, . XXI, c. XXIV, 4, P. /.., t. XLi, col. 739, puis par Le Clerc, Bibliothèque choisie, t. ix, Tilotzonus, etc., cf. "V. Patuzzi, De fiiturn impioriim statu, Vérone, 1748, 1. III, c. IX, X : la sainte Écriture prouve que Dieu a menacé les pécheurs de l’enfer éternel, mais non pas qu’il mettra ses menaces à exécution. A cela il faut répondre que des menaces en paroles seulement sont indignes de Dieu et de l’homme et que des menaces à exécution incertaine seraient inefficaces et inutiles. La plupart des textes, de plus ne contiennent, pas une simple menace, un décret purement comminatoire, mais un décret absolu, Matth., xxv, ou des alTirmations narratives absolues : le décret a reçu son exécution, l’enfer est un fait. Les passages qui ne contiennent qu’im décret comminatoire doivent être entendus en ce sens qu’en cette vie le pécheur peut échapper à la menace de l’enfer par la conversion (il en est ainsi de la menace contre Ninive), mais que si la mort le surprend dans le péché. le comminatoire devient décret absolu, puisque Dieu veut que ses menaces, se réalisent, lorsque la volonté libre des hommes donne lieu à leur exécution. Cf. S. Augustin, De fide et opcribus, c. xv, n. 2.5, P. L., t. xl, col. 213. Résoudre cette objection par l’immutabilité de Dieu, comme le fait ÎVlazzella, DeDeo créante, 2 édit., Rome, 1880, disp. VI, p. 89C, ne suffit pas, car Dieu ]iouvait ab seterno décréter la remise des peines dont il avait menacé les pécheurs, et, dans l’hypothèse, sa volonté demeurait immuable.

2. Tradition.

- Tous les Pères sont unanimes, sauf peut-être saint Grégoire de Nysse, à admettre l’éternité de l’enfer ; tous les écrivains et tous les fidèles ont accepté ronstamment cette doctrine, sauf Origenc et les origénistes du commencement du ve siècle, et la discussion qu’ils ont soulevée n’a fait que mettre davantage en lumière la clarté et la force de la foi universelle.

On trouvera plus haut, col. 47-83, les témoignages des Pères et, en première ligne, ceux qui ont été rendus avant Origène. L’enseignement est alors universel et explicite. Ébloui par la philosophie grecque, Origène se laisse aller à des rêves d’un optimisme idéaliste de restauration universelle. L’Église condamne ses partisans, après que les Pères de l’Orient et de l’Occident ont réfuté Origène et les origénistes. Voir col. 77-78.

Les Pères parlaient avec insistance de l’enfer éternel, peut-être plus que les prédicateurs modernes. Ils prouvent de façons diverses l’éternité de l’enfer. Tous font a])pel à l’Écriture sainte ; ils en expliquent directement les textes et ils rejettent les fausses interprétations qui en étaient données. Cf. Index spécial de Migne, P. L., t. ccxx, col. 246. Quelques-uns invoquent la tradition (S. Méthode, S. Épiphane, Justinien ) ; la plupart recourent aussi à la raison soit naturelle, soit theologique. Cf. un très court et très incomplet résumé, parfois discutable, dans J.Turmel, Histoire de la théolotjie positive, Paris, 1904, t. i, j). 187-194, 250, 251.

3. La raison.

a) Au point de vue purement ra tionnel, on peut dire que l’enfer doit être éternel.

Ce point très important a été étudié par toute la science chrétienne dès l’origine. Résumer ce travail serait une œuvre utile et nécessaire, et surtout en faire un examen critique complet. Voir une esquisse dant l’art. Enjer de P. Bernard, loc. cit. L’explication rationnelle étant partie essentielle de la théologie spéculative, et parfois la partie la plus profonde, nous ne pouvons nous dispenser de résumer ici la substance de cette affirmation rationnelle de l’enfer éternel.

L’enfer est, du côté de Dieu, sanction du mal moral ; du côté de l’homme, perversion continuée de sa liberté.

Comme scniction, l’enfer doit être éternel. La sanction intimée, en effet, doit d’abord être efiîcace ; or, elle ne peut être efficace si elle n’est pas éternelle : c’est un fait reconnu par tous, crojants et incrédules. Cf. Lucrèce, De natura reruni, i, 108 ; S. Jérôme, In Jonam, iii, 6. Le motif de crainte n’est pas le plus noble, mais il est bon et nécessaire toujours, M » ’Gay, Vie et vertus chréliennes, t. i, tr. IV, p. 191 sq., et les seules craintes proportionnées à la psychologie humaine, ce sont les craintes éternelles. Cf. Monsabré, Carême de 1889, xcvni « conf. ; A. Nicolas, Études philos, sur le christianisme, 1. II, c. i. La sanction appliquée, de plus, doit être proportionnée au mal commis ; or, le péché mérite un ch.âtiment éternel. Ceci peut se démontrer de deux façons générales. Le péché, disent tous les théologiens, est un mal. offense de Dieu, en quelque manière vraiment infini ; son ch.îtiment proportionné doit donc être, lui aussi, en quelque manière infini ; il ne peut l’être en intensité ; il le sera, par conséquent, en durée, c’est-à-dire, il sera éternel. Pour l’antécédent, voir Péché ; la conséquence est claire. Le péché, à un autre point de vue, c’est le mal, le désordre. Or, jamais le mal ne peut devenir le bien, le désordre l’ordre ; éternellement donc, ces deux contradictoires seront séparés, en eux-mêmes et dans leurs conséquences, bonheur et malheur. Cf. Fonsegrive, dans la Quinzaine, 1897, p. 278 ; Bougaud, Le christianisme et les temps présents, t. V, p. 337 ; Hettinger, Apologie, p. 392. D’autre part, la séparation du conditionalisme est insuffisante, car ce serait finalement la victoire du mal sur le bien. Cf. Laxenaire, L’au-rfc/d ou ta vie future d’après la science et d’après la foi, Paris, 1909, p. 51-55. Voir col. 86. Enfin, la séparation de l’enfer temporaire, de l’universalisme, en face de l’éternité identiquement heureuse pour le bien et pour le mal, ne serait qu’une différence infinitésimale, alors qu’elle doit être absolue. Cf. Lacordaire, Conférences de Notre-Dame, 1851, Lxxii<= conf.. De la sanction.

Il faut pourtant observer que tous ces arguments prouvent le droit, non le fait, car tous les péchés mortels, par la grâce de Dieu, n’iront pas en enfer comme ils le méritent. L’enfer défait n’existera que s’il y a des péchés non expiés dans l’autre monde et s’ils sont alors inexpiables. Le premier point est évident d’expérience ; toute la preuve rationnelle de l’enfer éternel se réduit donc au second problème indiqué plus haut : celui de la perversion immuable de la liberté en enfer.

On peut prouver cette fixité de perversion de trois manières. Premièrement, en prouvant que notre vie ici-bas est notre unique épreuve. Cf. Fin dernière. Métempsycose, Mort. Le péché, deuxièmement, est, de soi, irréparable, et la grâce de la conversion n’existe plus dans l’au-delà, cf. S. Thomas, Sum. tlicol., I" II » , q. Lxxxvii, a. 3 ; mais cet argument complexe ne vaut rien ici, car il est certain que le pécheur, tant qu’il vit, peut aimer Dieu super omnia et ainsi mériter, de congruo infatlibili, la rémission