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EUCHARISTIE D’APRES LA SAINTE ECRITURE


critiques, on cul l’idée de rcflécliir sur la passion, on contracta l’haliitude de raconter les scènes des derniers jours, d’en réitérer les divers épisodes, Jésus passant pour le Messie et le Seigneur, le souvenir des prophéties fît comprendre que sa mort était nécessaire, utile pour le salut du monde ; le repas chrétien fut lié à la passion, conçu comme une institution voulue par le Christ pour la commémorer, comme une eucharistie destinée à en rendre grâces. A quel moment, où, sous quelle influence apparurent ces concepts ? Comment connaissons-nous les diverses étapes de cette évolution ? Où sont les textes dans lesquels on surprend sa réalisation ? Ne possédait-on pas dès l’origine les prophéties ? N'éprouva-t-on pas le besoin, dès les premiers jours, d’expliquer l'énigme et de faire disparaître le scandale de la croix ? Est-ce à table qu’on eut cette idée ? Pourquoi alors ne se contenta-t-on pas d’y raconter les faits, d’y Ure un récit des derniers jours et voulut-on réitérer les événements ? Quel motif poussa à renouveler la cène plutôt que tant d’autres épisodes non moins touchants de la passion ? Comment osa-t-on transformer un acte spontané de commemoraison en institution voulue par Jésus lui-même ? Les critiques qui cherchent des origines humaines à l’eucharistie multiphent les problèmes, n’en solutionnent aucun. Le travail de transformation qu’ils imaginent requiert des causes suffisantes, des facteurs habiles, des circonstances favorables, un temps assez long : ces causes n’apparaissent pas, ces facteurs sont inconnus, les circonstances étaient contraires, le temps a fait défaut ; ce n’est pas en vingt ans que ces évolutions ont pu s’accomplir et que la conception primitive a pu disparaître sans laisser aucune trace.

Hoffmann invoque pour expliquer les métamorphoses « un involontaire besoin de la communauté, » op. cit., p. 116 ; elles se font tout naturellement, dit Goguel, op. cit., p. 288 ; et déjàJûlicher faisait appel aux tendances religieuses de l'âme humaine au Ie siècle, p. 245-246. Il y a là de véritables aveux d’ignorance. Ce besoin inconscient, imprécis', est un « grand inconnu » dont on ne peut mesurer la force ni saisir l’action. « L’historien n’aime pas que l’on fasse ainsi appel aux puissances occultes de l’histoire. » Batiffol, op. cit., p. 68. Si ce procédé n’est pas illicite, lorsqu’on l’absence de documents on ne veut pas garder le silence, il l’est ; 1 coup sur quand sur les faits à expliquer les témoignages certains et clairs ne font pas défaut : sacrifier les récits des témoins ou de leurs disciples à des intuitions suggérées par des préjugés d'école et par une théologie postérieure de vingt siècles, c’est vraiment lâcher la proie pour l’ombre.

b. L’eucharistie ne dérive pas d’antécédents juifs. — Il est certain que l’Ancien Testament annonce parfois les bienfaits de Dieu sous la forme d’un repas, Is., XXV, 6 ; Lv, 1-2, Lxv, 13 ; l’s. c.xxxii, 15 ; Prov., ix, 5 ; Jahvé est aussi présenté comme un berger qui mènera ses brebis dans de gras pâturages. l’s. xxiii ; Ezech., xxxiv, 13-19. D’autre part, Jésus a comparé le royaume à un festin nuptial. Matth., viir, 11-12 ; xxii, 1 sq. ; XXV, 1 sq. ; Luc, xiv, 16 sq. Nous savons aussi que le Christ et ses disciples prirent leur nourriture en commun et nous sommes certains que ces repas devaient avoir un caractère religieux : les Juifs pieux ne mangeaient pas sans avoir prié : le Christ a dû les imiler. Dans les récits de hi multiplication des pains, Marc, VI, 41, etc., et de la rencontre d’Iimmaùs, figure la bénédiction. On peut admettre que l’eucliarislic est un banquet messianique (elle n’est pourtant pas tout le royaume), mais il faut ajouter qu’il s’y trouve un élément dont les prophéties de l’Ancien Testament et dont les paraboles de l'Évangile ne permettent pas à elles seules de soupçonner l’existence, la réalité du corps et du sang de Jésus. Les rationalistes

même, qui voient dans les faits de l’hisLoire évangélique des événements inventés ou modifiés pour que les prophéties soient réalisées, n’auraient pas le clroit de dire que l’eucharisie a été imaginée pour ce motif : tant est grande, ici, la distance qui sépare les figures et les promesses de la réahté. Les repas du Seigneur étaient tous précédés de la prière, on ne saurait conclure avec Renan que Jésus fit à la cène ce qu’il avait toujours fait et pas davantage : il a pu accomplir un jour ce qu’il n’avait jamais accompU auparavant et des documents indéniables attestent qu’il l’a fait.

C’est encore la même observation qu’appelle l’examen des repas funéraires juifs : l’eucharistie peut être considérée comme un festin commémoratif de la mort du Seigneur, mais elle est autre chose. En payant sa dîme, risraéUte devait déclarer qu’il n’en avait rien soustrait pour le manger pendant son deuil, rien donné à l’occasion d’un mort. Deut., xxvi, 14. La multitude qui entend l'élégie de David sur Abner est peutêtre réunie pour le repas funèbre, II Reg., iii, 32, 35 ; Jérémie, xvi, 7, décrit les rites de cet acte : il y a fraction du pain et présentation d’une coupe. Le prophète dit de ses compatriotes châtiés :

On ne leur rompra point le pain du deuil Pour les consoler au sujet d’un mort ;

Et on ne leur offrira pas la coupe de consolation Pour un père et pour une mère.

Ézéchiel parle aussi de pain de consolation, xxiv, 17, 22, et Osée, ix, 4, du pain de deuil. Le vieux Tobie recommande à son fils de répandre ses pains sur la sépulture des justes. Tob., iv, 17, Le rite n’avait d’ailleurs aucun caractère sacrificiel. Lagrange, Études sur les religions sémitiques, Paris, 1903, p. 287289. Il est permis de penser que l’usage du banquet funéraire chez les Juifs facilita la réitération de la cène, d’admettre que Jésus, en instituant l’eucharistie, l’accréditait à l’aide d’une institution reçue, enfin que plusieurs chrétiens en la célébrant fêtaient le souvenir de la mort du Seigneur et se consolaient de son absence. Mais l’originalité du nouveau festin reste tout entière ; le rite antique n’explique pas pourquoi Jésus prononça les mots : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. »

Il faut en dire autant des repas qui suivaient certains sacrifices et faisaient participer à la victime. Le témoignage de Paul oblige à les rapprocher de la cène chrétienne. Mais pour expliquer l’origine du rite qui met le fidèle en communion avec le corps de Jésus immolé sur la croix, deux hypothèses sont possibles. Ou bien des fidèles ont voulu christianiser l’usage juif et, pour cette raison, ils ont inventé l’eucharistie ; ou bien, c’est le Christ lui-même qui, réalisant les figures, s’est présenté comme la victime et a offert aux hommes sa chair et son sang sacrifiés. La première supposition ne repose sur aucune preuve. La seconde s’appuie sur des documents irnfutables. Le choix ne saurait être douteux.

Il est un autre rite mosaïque qui est en relation plus étroite encore avec la cène, c’est la Pâque. La plupart des exégètes et des critiques de toute école croient que Jésus a institué la cène au cours d’un véritable repas pascal : il faut reconnaître pourtant que cette thèse est contestée par certains érudils. Cf. lîerning, op. cit., p. 207, 222. L’apôtre montre dans la victime de la croix l’agneau immolé pour nous. 1 Cor., v, 7. Cette analogie a pu aider les chrétiens d’origine Juive à bien accueillir l’eucharistie, leur suggérer l’idée qu’elle instituait une Pâque nouvelle. Hickcll, Messe und Pasrha, Mayence, 1872, a essayé de démontrer que la plus ancienne liturgie est celle des Constitutions apostoliques, I. 11, VIII. et que dans cet ouvrage Vordo missw est calqué sur celui du rituel de la Pâque.