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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


c’est énoncer des propositions qu’on peut soutenir (encore faut-il avouer que ce sens n’apparaît pas clairement) ; mais ne pas découvrir autre chose dans le texte, c’est en affaiblir le sens et nous avons le droit de rappeler ce qui a été plus haut démontré longuement : est n’est pas ici synonyme de signifier ; le pain n’est, ni en vertu de l’usage, ni en raison d’une volonté positive de Jésus clairement exprimée, un symbole de sa personne ; enfin le corps, c’est quelque chose de très précis, de bien connu. Au surplus, si le Christ ne promettait que sa présence morale, l’eucharistie n’ajouterait rien aux preuves déjà données de son amour : celui qui pense à Jésus et qui croit, celui qui l’aime et le sert, lui est uni ; tout l’Évangile l’atteste. Inutile de recourir à l’eucharistie, de la réitérer. Quelle est donc la raison particulière de l’institution de la cène ? Quel est l’objet précis du don fait à ce moment même ? Ce n’est pas celui que.Jésus accorde quand il vient au monde, quand il multiplie les miracles, les discours, les bons exemples, les témoignages de dévouement, quand il meurt sur la croix. C’est quelque chose qui n’a jamais été accordé qu’à ce moment, dans ces termes. Et pourquoi donc modifier les mots ? Pourquoi ne pas dire ce que Jésus a dit : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang ? » Pourquoi lui faire prononcer des paroles qu’aucun témoin ne lui fait prononcer et qui rappellent trop bien la terminologie de théologiens contemporains : « Ma personne contient les énergies d’une vie plus haute et veut devenir partie substantielle de vos personnes comme la nourriture le devient, dans la nutrition ordinaire, » Haupt, op. cit., p. 24, ou encore : " Je suis prêt à mourir pour vous comme j’ai vécu pour vous afin de faire de vous des hommes qui se préparent à entrer dans le royaume quand il viendra ? » Goguel, op. cit., p. 287.

6) // est impossible de déterminer qui a inventé Veuctuiristie. — Les critiques, d’après lesquels l’institution d’un sacrement qui donne le corps et le sang du Clirist ne remonte pas à Jésus, sont obligés non seulement de cliercher quelle fut la conception du Christ., mais d’expliquer aussi comment à cette idée primitive se substitua celle qui devait prévaloir. Qui imagina, sous quelles inducnces se forma la doctrine du sacrement de l’cucliarislie ? Celle institution est-elle un produit de la pensée chrétienne, un dérivé d’antécédents juifs, un emprunt fait au paganisme ? Les trois hypothèses peuvent être envisagées ; toutes trois doivent être repoussées.

a. La cène primitive n’a pas été transformée par les chrétiens. — Un très grand nombre de critiques soutiennent qu’il y a eu évolution au sein des premières communautés. Tous ceux d’ailleurs qui n’attribuent pas à Jésus l’institution, qu’ils admettent ou non des infiuences soit juives soit païennes, sont contraints d’avouer qu’à un moment donné les chrétiens ont pensé ce que le Clirist ne leur avait pas enseigné, fait ce qu’il ne leur avait pas ordonné. Julicher expli((ue le fait parles besoins religieux de l’époque. Prcscjuc tous les critiques prêtent à saint Paul un rôle important, Loisy et Andersen supposent qu’il a consciemment innové ; d’autres croient qu’il a consigné par écrit une tradition déjà formée, en la marquant seulement de son empreinte ; plusieurs essaient (Loisy, Hoffmann, Coguel) de fixer les étapes de l’évolution que suivit la pensée chrétienne.

Tous ces essais sont malheureux. Aucun ne peut réussir. Car I ! est un fait indéniable. Saint Paul enseigne, de l’aveu même des critiques, la doctrine nouvelle, vers.’).5-.58 ; déjà il l’a fait connaître, vers.’iO-.’3'2. Le travail de transformation est donc accompli en 50, c’est-à-dire moins de vingt ans après la mort du Christ. I£t dans l’hypothèse des critiques, c’est une éri tahle révolution. Jésus n’avait rien institué : vingt ans après on se persuade le contraire ; Jésus avait annoncé sa passion, ou scellé une alliance, ou présidé un repas fraternel, ou symbolisé le don de sa personne ; et vingt ans plus tard, les chrétiens croient qu’il a distribué à la cène son corps et son sang, qu’il les donne chaque fois que ce rite est répété. Une religion qui contient l’eucharistie n’est plus la même que celle qui ne la contient pas : les deux crerfo sont singulièrement dissemblables ; la vie morale dispose d’après l’une, ne dispose pas d’après l’autre d’un mobile et d’un moyen uniques de préservation et d’amendement spirituels ; le culte est aussi différent que peut l’être celui des catholiques et celui des quakers. Ce sont les premiers disciples du Maître, ceux qui devaient être les plus fidèles à sa pensée qui l’ont ainsi trahie. C’est à une époque où l’on constate chez eux une extrême timidité, la peur même d’abandonner totalement le judaïsme, l’absence d’écoles théologiques, de systèmes métaphysiques, d’études spéculatives, de hardis penseurs (en dehors de saint Paul) que l’opération aurait été exécutée. Et commencée nous ne savons où, par nous ne savons qui, nous ne savons quand, elle aurait parfaitement réussi. L’idée de Jésus aurait été complètement supplantée, délogée de toutes ses positions ; aucun des douze témoins de la cène n’aurait fait opposition, ils auraient été acteurs ou complices de la substitution. La notion antique aurait même si bien disparu que sa trace eût été perdue et qu’avant le xix"e siècle, nul n’eût soupçonné, quelque intérêt qu’il ait eu à le faire, l’existence d’une opposition entre la pensée de Jésus et celle de Paul. Pendant les ciiupiante premières années, les missionnaires commencent à évangéliser le monde : or, toutes les r ; glises, celles de Paul et les autres, adopteront ou ont adopté la conception de l’apôtre. Le phénomène constituerait un miracle historique plus étrange en son genre que ne l’est la transsubstantiation.

On a prêté un très grand rôle à l’apôtre. Mais, déjà nous l’avons montré, il est impossible de prétendre qu’il a sciemment, sur la foi d’une vision ou plutôt d’une autosuggestion, abandonné la conception primitive, répandu un nouveau récit de la cène totalement dissemblable de la narration reçue, version qui aurait envahi tous les milieux, influé sur les trois Synoptiques, commandé toutes les évolutions futures : cette audacieuse hypothèse oblige à rejeter des textes aulhenti<|ues et à inventer des textes inexistants, elle repose sur des arguments fragiles et se heurte à de très fortes objections tirées du caractère et de la vie de l’apôtre, de rallilude de ses contemporains et de toutes les circonstances du temps. Comme le dit Goguel, op. cit., p. 1X7, > eu matière eucharistique, Paul n’a pas eu le sentiment d’innover. » Mais le même auteur ajoute que l’apôtre a été probabfement l’agent inconscient de la transformation qui fil de la cène primitive le sacrement de reucharistie. La supposition est encore plus paradoxale. Paul est inventeur sans le savoir. Et le changenient n’est pourtant pas de mince importance. Goguel reconnaît que c’est une révolution. En effet, le rcpas du Clirist avait été en réalité, d’après lui, un baïupiet d’adieu accompagné du don de sa personne ; la cène des premiers chrétiens en avait été une « commémoraisonct répétition > ; quant à l’eucharislie de Paul, c’est le moyen pour tes fidèles de s’unir au Clirist et dr s’unir entre eux, l’absorption d’aliments consacrés ù lu divinité et qui mettent l’homme en contact physique avec elle. Nous comprenons tous, un enfant comprend qu’il y a une différence entre recevoir Jésus et ne pas le recevoir. Paul ne s’en serait pas doulé. Les premiers cliréllciis qui apandonnent leurs souvenirs traditionnels pour adopter sa pensée ne s’en seraient pas doulé davan-