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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE

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Enfin, on sait que la thèse du paulinisme de Marc ne peut être admise telle que M. Loisy l’a exposée et soutenue. Sous cette forme excessive, elle n’est « ni démontrée ni vraisemblable. « Mangenot, op. cit., p. 413-434 ; Lagrange, op. cit., p. cxl-cxlix. Et ici même, il faut noter que les paroles du second Évangile : Ceci est mon sang, celui de l’alliance, ne sont pas le simple décalque de celles de l’apôtre : « Ceci est la nouvelle alliance dans mon sang. » Pour expliquer la différence, Loisy est obligé d’avouer que Marc n’a pas reproduit lÉpître aux Corinthiens, mais qu’il a conformé l’ancien récit à la doctrine et à la pratique des communautés fondées par saint Paul. Or, tout à l’iieurc, au contraire, I^oisj’discutait manifestement l’influence d’une parole proprement dite sur une parole : c’est par elle qu’il expliquait les prétendues anomalies de Marc. Et s’il faut écarter l’argument de dépendance textuelle, il ne reste plus pour appuyer la thèse qu’une supposition gratuite, « l’idée préconçue de sj"stème. » Rivière, lac. cit. Tout, d’ailleurs, n’est pas justifié par M. Loisy. Pourquoi le second Évangile a-t-il supprimé les mots : « Je ne mangerai plus de ce pain, » s’ils se trouvaient dans la source primitive ?

La manière dont s’explique, d’après lui, la formation du récit de I^uc n’est pas plus acceptable. I>e Iroisièmc évangéliste connaissait la source primitive. Il l’a seulement « corrigée, en substituant la Pâquc au pain, pour se conformer au cadre synoptique du dernier repas ; puis il a pris à Marc la formule : Ceci est mon corps pour faire droit à la tradition de Paul et de Marc qui devait être déjà celle du plus grand nombre des communautés chrétiennes. « Ueime de l’histoire des religions, 1906, t. iii, p. 23.5. Cette fois encore, il y a tout un échafaudage d’hypothèses dont la charpente est bien fragile. Le texte primitif aurait porté : « Je ne mangerai plus de ce pain » et Luc aurait écrit : « Je ne la mangerai plus [cette Pâque]. » Or, la source antique, reconstituée hardiment par Andersen et Loisy, ne nous a été transmise par aucun témoin, elle est dégagée du texte du troisième Évangile. S’il en est ainsi, n’est-il pas plus naturel d’admettre que la déclaration de Jésus a toujours été telle qu’on la lit dans saint Luc" ? Le récit de cet évangéliste a annoncé la préparation de la l’âquc, et fait dire par le Christ : » J’ai désiré d’un vif désir manger cette Pâque… » ; il est donc juste d’admettre que la parole qui suit est : « (^ar je vous dis que je ne la mangerai plus… « ’Vouloir, derrière cette leçon, découvrir un original qui portait le mot pain, c’est préférer ce qui est gratuit à<-e qui est aUiriué, ce que commande un système à ce qu’exige un texte. Loisy suppose encore que Luc, ayant sous l’es yeux le texte de Marc, connaissant la tradition de Paul, voulant y faire droit, s’est contenté d’ajouter à la narration traditionnelle l’alTirmation de la consécration du pain. L’évangèlisle n’a donc rien mentionné de ce qui, au jugement même de ce critique, tient la première place dans l’esprit de l’apôtre, les paroles eucharistiques prononcées sur la coupe d’alliance et 1 ordre d’institution. Luc connaît Marc, il sait donc la tentative de cet auteur pour souder au logion eschatologique primitif la déclaration sur le sang de lalliance cl il n’a pas l’idée de s’en servir, de la’reproduire, du moins de la retoucher comme, d’après Loisy, Matthieu la fait… Puis, après avoir reproduit, sans rien lui enlever de sa saveur primitive, l’affirmation : j « .Je" ne boirai plus… » , Luc se contente de juxtaposer ces mot~s : 1.1 ayant pris du pain, fait l’action de grvccs, il le rompit et le leur donna, disant : Ceci est mon corps. » Ici, il était facile irinsérer l’ordre de réitérer. On ne le trouve pas. La phrase est en l’air, dans une » espèce d’isolement » , avoue Loisy, op. ri^, p..'>31), sans rapport avec ce qui précède ni avec ce qui suit. Pourquoi n at-cllc pas été rapprochée de la parole sur la PAquc que

DICI. DE THiOL. i ; *THOL.

Jésus ne mangera plus ? L’ordre des actes accomplis d’après le récit primitif et d’après Paul, donc d’après les deux sources de Luc, place le pain avant le vin. Ici, au contraire, le vin est distribué avant le pain. L’évangéliste s’écarte de ses deux guides, .

dersen, pour se dé barrasser de ces difficultés, supprime avec Blass et Wellhausen, du récit court de Luc, le commencement du verset 19. M. Loisy recule devant ce procédé qu’il est obligé de trouver arbitraire, mais il est condamné à avouer qu’il y a, dans le récit court du troisième Évangile, une phrase qui n’a pas de signification : « La formule : Ceci est mon corps, n’a de sens que dans la conception de Paul. » Op. cit., p. 539, n. 3.

L’existence de la recension longue prouve-t-elle la thèse de M. Loisy ? Dans ce texte, on rencontrerait, selon lui, deux récits distincts, mais concentriques, delà même cène. Les versets 15-18 rapportent, d’après l’antique source, déjà mise à profit par Matthieu, Marc et Luc court, la célébration d’un repas d’adieu. Ceux qui suivent, 19-20, racontent, surtout selon saint Paul, l’institution de l’eucharistie en ce même moment. Le texte prouverait donc l’existence des deux sources. l’Évangile primitif et la tradition paulinienne. Il en serait ainsi, si cette explication était la seule qui puisse rendre compte du récit long. Or, il en est trois autres qui sont au moins aussi bonnes. Ou bien Luc parle d’abord de la coupe pascale, puis de l’eucharistie ; ou bien Luc a inséré, avant de raconter la cène d’après la tradition comnuine, deux paroles connues par ailleurs et dont il ne voulait pas perdre le souvenir : ou encore Luc a décomposé ce qui concerne le vin eucharistique, il a dit en deux fois ce qu’il en savait-Ces explications, à coup sûr, ne sont pas données comme parfaites, les deux dernières surtout ne suppriment pas toute difficulté, mais la première semble résoudre les énigmes du texte long. Et cette interprétation qu’adoptent aujourd’hui la plupart des catholiques, comme aussi l’hypothèse de MgrBatiffol, valent mieux que la théorie de M. Loisy. Car elles indiquent d’une manière satisfaisante pourquoi, à deux re|irises, il est parle de la présentation de la coupe et de l’action de grâces faite sur elle. Pour rendre compte de ces faits, au contraire, M. Loisy ne peut oITrir qu’une explication : la combinaison des deux sources est médiocrement réussie, elle est trop défectueuse pour être de Luc. Op. cit., t. II, p. 531. Ne vaut-il pas mieux conclure qu’elle serait trop maladroite pour être vraisemblable ? Et si celui qui l’a faite était scrupuleux à tel point qu’il n’a pas ose supprimer dans la reproduction d’une source ce qui constituait un doublet du contenu de l’autre (action de grâces, présentât ion du vin), comment admettre qu’il n’ait pas craint d’ajouter aux paroles de la consécration du pain un mot qu’il ne trouvait nulle part ailleurs (donné) et de retrancher du récit emprunté à la I" aux Corinthiens l’ordre de réitérer la présentation de la coupe de l’alliance ? Ou il croyait que Paul avait eu raison de substituer au logion eschatologique les mots : « Ceci est mon corps, ceci est la nouvelle alliance, » et alors pourquoi u’a-t il pas fait comme lui ? Ou il pensait le contraire ; et alors pourquoi a-t-il reproduit les formules de l’apôtre qu’il considérait comme des déformations de la vérité ? Ou enfin, il a supposé que l’Épitre aux Corinthiens relatait des actes et des paroles que la source primitive avait négligé de donner ; et alors puisqu’il ne disposait que de ces deux documents, puisque rien n’y laisse entendre qu’il y a eu deux cènes, il ne devait certainement pas juxtaposer, mais amalgamer ; et il aurait été d’autant plus porté à le faire <jue.Matthieu et Marc l’avaient essayé avant lui et que <léjà, dit Loisy, leurs récits étant connus, il importail à un nouveau venu de ne pas paraître contredire tout ce qui avait été soutenu avant lui.

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