Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/558

Cette page n’a pas encore été corrigée
1087
1088
EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE


possibilité… comme si le récit do Paul, supposé qu’il soit venu à la connaissance de Pierre ou de quelque autre témoin, avait dû provoqucr un démenti formel, qu’on se serait fait une obligation de répandrc dans toutes les communautés. Nul ne songeait à tenir deux registres d’enseignement chrétien, l’un pour les souvenirs évangéliques, l’autre pour les révélations de l’esprit. » La remarque aurait quelque valeur si la découverte de l’apôtre complétait seulement le récit traditionnel ; ou si elle fixait le sens des diverses circonstances historiques de la cène ; on aurait pu l’accepter. Ainsi des catholiques, sans abandonner les Évangiles canoniques, admettent à leurs risques et périls les révélations complémentaires de Catlierine Emmerich. Mais l’apocalypse de Paul dément tout ce qu’on croit, supprime tout ce qu’on sait, dénature tout ce qu’on pense de la cène. Or, c’est elle qui deviendra la version reçue et qui décidera les auditeurs des premiers témoins, Marc, par exemple, à oublier les dépositions précises et déjà répandues dans le public de ceux qui ont mangé et bu avec le Christ 1 Les apôtres n’ont pas besoin de tenir un registre pour se rappeler ce qu’ils ont vu. Il n’est pas nécessaire qu’ils en aient deux pour découvrir une différence entre des récits qui se contredisent.

Le travail accompli par Alarc, selon Loisy, n’est pas moins difficile à comprendre. Marc connaissait le récit traditionnel et s’en servit, mais le modifia pour lui souder maladroitement des données empruntées à la tradition des Églises pauliniennes. Des traces de cette élaboration existeraient encore. « Vu le caractère général du second Évangile, on est d’avance autorisé à présumer que l’influence de Paul se sera exercée sur l’interprétation de la dernière cène dans Marc. Et cette inlluencc peut être vérifiée presque matériellement. » Il garde les mots : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne…, » mais il ajoute : « Ceci est mon sang ; celui de l’alliance… Ceci est mon corps. » Les deux notions sont incohérentes, disparates, » appartiennent à deux courants d’idées très différents ; elles n’ont pu être exprimées toutes deux au même moment par la même personne. » Bien plus, la phrase : Ceci est mon sang de l’alliance n’aurait jias été comprise des disciples. « Il n’était d’ailleurs plus temps de prononcer ces paroles après que les disciples ont déjà bu ; or, Marc écrit : il leur donna la coupe et ils en burent tous et il leur dit : Ceci est mon sang de l’alliance répandu pour plusieurs. » On touche du doigt sa gaucherie : les premiers mots sont empruntés à la source antique, la suite est une addition paulinienne mal placée. Matthieu a corrigé la faute et écrit : Il donna la coupe en disant : Buvez-en tous, car ceci est mon sang. Le rédacteur du second Évangile disposait donc d’un récit où il n’était pas question du sang répandu. Cet amalgame mal réussi se laisse encore soupçonner, en raison de la place qu’occupe dans les deux premiers Synoptiques lu déclaration escliatologique. D’après eux, Jésus aurait d’abord dit ; « Ceci est mon sang » et c’est seulement après qu’il aurait ajouté : « Je ne boirai plus du fruit de la vigne. > IMais il ne devait plus appeler du vin ce qu’il venait d’identifier à son sang. Le logion escliatologique venait mieux après qu’avant la distribution du calice. Marc]et Matthieu n’ont pas su comment concilier la parole empruntée à la tradition des Églises de Paul et celle dont les premiers chrétiens avaient conservé le souvenir. Loisy, op. cit., t. II, p. 524, 533, 536-539.

Les anomalies que signale Loisy ne justifient pas la conclusion qu’il en tire. La petite phrase de Marc : « Et ils en burent tous et il leur dit : Ceci est mon sang » paraît évidemment moins bonne que le passage correspondant de Matthieu : Buvezen tous, car ceci est mon sang. Car l’ordre mentionné par le premier évan géliste correspond à celui qui, d’après lui et d’après Marc, a été donné, au moment de la distribution du pain : « Prenez [mangez], ceci est mon corps. » Mais ces deux leçons s’expliquent peut-être par l’emploi d’un même original araméen in-iqui pouvait être traduit à la deuxième personne du pluriel de l’inipéralif ou la troisième personne du pluriel de l’indicatif parfait. Berning, op. cit., p. 117. Les mots : et ils en burent tous ne sont qu’une parenthèse « amenée par le rapproclicment naturel des idées entre la présentation de la coupe et le fait de Ijoire.une anticipation glissée rapidement et qui ne prétend pas inlcrrompre la trame du récit, d’autant quecette phrase d’un grec hébraïsant peut signifier aussi bien la simultanéité que la succession des actes. » Rivière, Le dogme de la rédemption, Paris, 1905, p. 82-83, 331 ; Mangenot, Les Évangiles sijnopti(/iirs, p. 432-433.

u Quant au logion escliatologique, il est présente comme un asyndeton, sans lien organique avec le contexte immédiatement précédent : un simple /.ai zi~i-i aÙToT ; qui l’introduit peut parfaitement indiquer un complément étranger par son origine aux formules de consécration auxquelles il fait suite. » Van Crombrugghe, loc. cit., p. 331. Si ces mots, comme le texte long de Luc permet de le penser, ont été réellement prononcés par Jésus sur la coupe pascale, toute difficulté s’évanouit. Les deux premiers Synoptiques n’ont pas jugé utile de parler du rite juif, ils ont voulu cependant conserver le souvenir de la déclaration eschatologique : ils étaient donc obligés, parce qu’il y est question de viii, de la rattacher an récit de la consécration de la seule coupe dont ils parlent. « La réflexion de Marc… peut s’appliquer à ce qui a précédé l’institution de l’eucharistie. » Lagrange, op. cit., p. 356. Le Christ a eu le droit de la prononcer à ce moment, même s’il avait dit auparavant : « Ceci est mon sang, » car nous ignorons s’il a bu à la coupe eucharistique. L’eût-il fait, sa parole garde un sens : Je ne boirai plus de ce qui paraît du viii, de ce qui était du vin.

Quant à r ; /î(o/if/r ;)rf qui existerait entre la formule « Ceci est mon sang » et la déclaration eschatologique, elle doit être niée. Les deux idées ne sont pas identiques, évidemment. Et nous ne devons pas nous étonner que Jésus, prononçant deux phrases, ne répète pas dans la seconde ce qu’il a dit dans la première ; le contraire serait étrange. Mais les deux pensées ne sont pas contradictoires. Et l’on ne peut établir que le Christ, s’il a énoncé rune, n’a pu exprimer l’autre. Un critique non catholique, Goguel, l’observe justement, op. cit., p. 87 : « Rien ne permet d’affirmer que, dans son dernier repas, Jésus n’ait pu s’inspirer que d’une seule et même pensée ; tout au plus pourrait-on considérer qu’il y a des chances pour qu’une des deux déclarations soit inauthentique, s’il était prouvé qu’entre elles aucun lien organique ne peut être conçu. Or, il n’en est pas ainsi : il est naturel, au contraire, de penser que c’est parce qu’il a conscience de prendre son dernier repas avec les siens que Jésus éprouve le besoin d’accomplir un acte particuUèrement solennel en distribuant du pain comme symbole, » un catholique dirait comme enveloppe apparente « de son corps » . Le plus récent commentateur catholique de Marc le dit aussi fort bien : on a raison de voir dans r institution deux aspects, celui d’une communion avec le Christ et celui du souvenir de sa mort, on a tort de les opposer l’un à l’autre, d’opter entre eux. « Quoi de plus simple que de reconnaître une harmonie que saint Paul constatait déjà ? C’est parce que le Christ va mourir qu’il institue un mode de présence réelle parmi les siens qui leur permettra de s’unir à lui et cette communion leur sera d’autant plus précieuse qu’elle commémore son sacrifice et qu’elle en contient le prix. » Lagrange, op. cit., p. 357-358.