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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


est mon corps pour vous ; cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang versé pour vous. Personne plus que l’apôtre n’a insisté sur la valeur expiatoire du sang du Christ.

Ainsi, ni les paroles attriljuées à Jésus par les quatre récits, ni l’idée de la nouvelle alliance, ni le rite ne paraissent invraisemblables ; les divers témoins sont d’accord pour affirmcr ce que rien ne permet de nier. Jésus a prononcé sur le vin les mots : Ceci est mon sang.

Il y a pourtant une théorie plus radicale ; pour quelques-uns des motifs déjà indiqués et pour d’autres encore, Andersen, op. cit., et Loisy, op. cit., nient l’historicité de la consécration du pain et du vin. Ils croient pouvoir affirmer l’existence d’un Évangile primitif de l’eucharistie dans lequel ne se trouverait que la déclaration cschatologique. Paul aurait modifié ce récit pour l’accommoder à sa conception de la mort du Christ. C’est ainsi qu’il aurait imaginé, croyant la tenir d’une vision, la narration contenue dans la première Épître aux Corinthiens avec ses deux formules eucharistiques et l’ordre de réitérer la cène. De la tradition de l’apôtre et de la source primitive dériveraient la narration de Marc, puis, par elle, celle de Matthieu, et le texte court de Luc. La recension longue, attribuée à cet évangéliste, serait le dernier témoin de la tradition écrite.

L’antique source perdue est ainsi reconstituée par Andersen : « Jésus prit du pain, prononça la bénédiction, le rompit et le donna aux disciples et dit : Prenez, mangez, car je vous dis que je n’en mangerai plus jusqu’à ce que je le mange nouveau dans le royaume de Dieu. Et ayant pris une coupe, il prononça la bénédiction et dit : Prenez-la et partagez-la entre vous. En vérité, je vous dis que je ne boirai plus du produit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau dans le royaume de Dieu. » Aucun témoin n’atteste cette forme. Le texte qui s’en rapproche le plus, la recension courte de Luc, en difTèVe essentiellement, puisqu’elle contient le récit de la consécration du pain. L’existence de cet Évangile perdu se justifierait par la critique que font Loisy et Andersen de tous les récits que nous possédons, mais critique dont a été et dont sera constatée l’insuffisancc. Cette source primitive aurait, disent ses inventeurs, le mérite de ne contenir que des idées intelligibles pour les Douze. Il faudrait aussi démontrer que tout ce qui ne s’y trouve pas ne pouvait être saisi par les apôtres. Et puis, il est nécessaire de donner un sens à cette version, de laisser un contenu à ce récit ; à force de vouloir simplifier le dernier repas, ne lui enlève-t-on pas non seulement toute grandeur et toute importance, mais même toute signification ? Il n’est pas invraisemblable que Jésus ait dit aux apôtres : Je ne man(jcrui plus, je ne boirai plus avec vous, mais pourquoi prononcer ces paroles en distribuant du pain et du vin ? Pourquoi la bénédiction toute spéciale, puisqu’elle est mentionnée ? Pourquoi donner ces éléments ? Gestes et paroles ne se correspondent pas. Et si la tradition la plus ancienne ne possédait que ces données sur la cène, il y a un abîme entre elle et la plus ancienne attestation écrite, abîme infranchissable, car on ne comprendra jamais comment les mots : Je ne mangerai plus, je ne boirai plus, ont pu devenir : Ceci est mon corps, ceci est la nouvelle alliance dans mon scmg. Il n’y a pas eu évolution, maïs transformation et même création. En réalité, le principal motif pour lequel Loisy adopte comme primitive cette narration inventée par lui, c’est, il l’avoue, l’accord de la cène ainsi obtenue avec l’idée qu’il se fait de Jésus préoccupé seulement du festin messianique, de l’eschatologie juive, et incapable d’annoncer sa mort, de prévoir sa résurrection, de songer à la

fondation de l’Église. Op. cit., t. ii, p. 540. On sait ce que vaut cette christologie ; et par conséquent, on peut conclure à l’irrecevabilité des conclusions qu’elle commande a priori, par manière de préjugé et malgré les textes.

Ce qui est surtout inadmissible, c’est le rôle prêté à saint Paul. La tradition antique lui a donné l’idée primitive de la cène. Mais « il interprète le souvenir apostolique selon sa propre conception du Christ et du salut de façon à voir, dans le repas eucharistique, symbole effectif de l’union des fidèles dans le Christ toujours vivant, le mémorial du crucifié, de celui qui avait livré son corps, versé son sang pour le salut du monde. » Loisy, op. cit., t. ii, p. 541. La cène est pour l’apôtre une figure et une continuation de la croix r la mort de Jésus a une valeur expiatrice et l’eucharistie commémore ce sacrifice, met en communion avec lui et devient ainsi le pacte d’une nouvelle alliance. C’est sous l’influence de ces idées que se forma le récit de la lettre aux Corinthiens. Aussi le corps et le sang, ce dernier surtout, devront-ils être mis en relief. Saint Paul a conscience de ne pas reproduire la tradition reçue jusqu’alors, ill’écrit : c’est rfu Seigneur qu’il tient ce qu’il enseigne, il l’attribue donc à une vision, c’est-à-dire à une autosuggestion. Il remplace les mots : Je ne mangerai plus, qui n’auraient pas servi à son but, par Ceci est mon corps pour vous. Il hésite à dire de la coupe : C’est le sang. Mais, se rappelant le récit de l’Exode, l’esprit hanté par la conception des deux alliances qui lui est si familière, il substitue aux mots : Je ne boirai plus, la phrase : Ceci est la nouvelle alliance dans mon scmg, formule qu’il n’aurait sans doute pas imaginée si la tradition lui avait fourni une phrase plus claire et plus expressive comme : Ceci est mon sang. Puis, afin de bien marquer que la cène, telle qu’il la conçoit, remonte au Seigneur, il accentue l’idée de son institution et au lieu de la recommandation : Prenez, mangez, buvez, il insère à deux reprises l’ordre : Faites ceci en mémoire de moi. Loisy, op. cit., t. ii, p. 520, 531-533, 538-541.

Cette conception suppose que saint Paul le premier attribue une valeur expiatoire à la mort de Jésus, qu’il a le premier vu en elle un sacrifice d’alliance et de rédemption. Ce n’est pas ici le lieu de montrer que cette hypothèse est erronée ; mais il faut du moins le rappeler afin d’infirmer la conséquence que l’auteur en tire. Le rôle prêté à l’apôtre est plus qu’invraisemblable, saint Paul recourrait à une prétendue révélation pour réformer totalement la catéchèse antique ! Et il le laisserait entendre lui-même en disant qu’il tient son récit du Seigneur et non des apôtres !

D’abord, le préambule : Car pour moi j’ai reçu du (ir.6) Seigneur ce que je vous ai transmis, prouve-t-il que saint Paul invoque une révélation personnelle, une vision spéciale ? Pour justifier ce sentiment, on a invoqué le sens de la préposition à-ù choisie ici de préférence à uapi et qui désignerait l’origine immédiate, sans intermédiaire : cette affirmation a été contestée, des érudits, Moulton, Broesc, etc., ont établi que les deux mots sont employés indifféremment dans le Nouveau Testament, qu’àTrô indique d’une manière indéterminée l’origine quelle qu’elle soit et que Ttapi, au contraire, signifierait plutôt un doH directement reçu ; il faut observer, de plus, que l’apôtre a pu intentionnellement éviter cette préposition parce qu’elle était contenue dans les deux verbes dont il se sert en cet endroit, Traf.sXaêov.’jtapÉotov. a. La présence de cette péposition -apâ n’est pasplussuggestive : le verbe 7rapa), â|jLêiv61v étant appelé ici comme ailleurs par le verbe Trapaôtôcivai. I Cor., xv, 3 ; I Thess., II, 13 ; IIThess., ii, 15 ; iii, 6 ; Rom., vi, 17 ; Gal., i, 9, 12 ; Phil., iv, 9 ; Col., ii, 6. Impossible donc