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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


de l’alliance nouvelle, prononcé le mot, il ne s’ensuivrait pas qu’il lui était impossible de le faire à la cène. On ne peut poser en principe qu’il n’a pas pu parler d’un sujet sans en avoir parlé auparavant. Poussée à bout, cette affirmation prouverait qu’il n’a jamais parlé de rien.

Aurait-il dû s’exprimer autrement sur l’alliance ; la présentation du sang à boire offre-t-elle quelque chose d’invraisemblable ? Sans doute, si ce liquide avait été présenté tel qu’il s’échappa du côté de Jésus ouvert par la lance, les disciples, des Juifs, auraient hésité à le boire. Mais il leur apparaissait sous la forme du vin et les Douze étaient si peu habitués à douter de la parole du Maître que l’ordre du Christ devait forcer toutes leurs répugnances. Ainsi, plus tard Pierre, qui n’avait jamais rien mangé de profane ni d’impur, Act., x, 14, se sentit rassuré par l’affirmation d’un ange, x, 28. Et si le sang des victimes qui scella la première alliance fut répandu sur le peuple et non consommé par lui, car c’était celui d’animaux, il pouvait en être autrement de celui de Jésus. Un faussaire aurait été tenté de suivre à la lettre le récit de l’Exode pour ne pas effaroucher les préjugés de ses compatriotes ; au contraire, si les récits des quatre témoins osent faire boire le sang par les Douze, c’est que, d’après la tradition, il leur a été vraiment présenté : c’est qu’ils l’ont réellement bu. Le moment de contracter l’alliance est fort bien choisi : Jésus va quitter les siens, il éprouve le besoin de s’associer plus étroitement à eux, de les unir plus fortement à lui. Que si l’on donne au mot îiaOv/r, , voir Dibelius, Das Abendmahl, Eine Unlersuchunq iibcr die Anfânge der chrisilichen Religion, Leipzig, 1911, p. 76-89, le sens de testament, on comprend encore mieux que l’heure était venue de le formuler. Il n’y avait plus un instant à perdre. La cène se lie étroitement à l’épisode de la trahison, la mort arrive.

Enfin, il n’est pas vrai que les paroles employées par les quatre témoins pour exprimer cette notion d’alliance ou de testament trahissent un remaniement de la source primitive, une déviation de la pensée de Jésus. Les diverses formes ne sont pas contradictoires. Luc parle comme Paul : ce dernier omet le verbe êlre, mais le sens est identique ; l’évangéliste ajoute les mots versé pour vous, mais l’apôtre avait fait suivre la formule de la consécration du pain d’une addition semblable : ceci est mon corps, te pour vous. Si le corps est pour les disciples, le sang l’est aussi ; d’ailleurs, il ne scelle l’alliance que s’il est versé. Paul et Luc expriment donc la même pensée. De même, Matthieu et Marc sont d’accord : Car ceci est nwn sang, celui de l’allianee, versé pour hediiroup. écrivent-ils tous deux. Et si le premier Évangile complèle la formule du second par les mots c/i rémission des péchés, il ne modilie pas l’idée exprimée par Marc. « Les mots, ditLoisy, op. cit., t. ii, p..522, ne font que rendre plus sensible l’idée du sacrifice expiatoire contenue déjà dans la formule plus courte de Marc. » Le second évangéliste est porté à abréger, il a suffisamment affirmé l’efficacité du sang rédempteur (voir aussi x, ’1.5), cette notion est d’ailleurs admise de ses contemporains, aussi ne jugc-t-il pas à propos de l’énoncer. Matthieu, soucieux de prouver aux judéochrétiens la réalisation des figures de l’Ancien Testament, ne devait pas omettre ce trait. D’autre part, les deux types de formules coïncident : les « juatre récits parlent et de sang et d’alliance, mettent un rapport entre ces deux éléments. Celui de Paul-Luc atteste clairement que l’alliance s’opère dans le sang de Jésus. Celui de Matthieu Marc montre c|uc ce sang établit l’alliance. Dans l’un et l’autre cas, la liqueur eucharistique est la cause instrumentale du pacte ; dans l’un et l’autre cas, il est fait allusion au rite

rappelé par l’Exode, xxiv, 8 ; seulement dans le premier, l’accent est mis sur l’alliance, dans l’autre il l’est sur le sang. Paul et Luc songent surtout à l’institution nouvelle ; Matthieu et Marc insistent sur la nature des dons offerts aux Douze. Les deux premiers Évangiles ne disent pas que ralliance est nouvelle (voir pourtant certains manuscrits), le troisième et l’apôtre l’affirment ; mais la pensée est semblable : puisqu’il y a dans les quatre récits allusion à l’alliance antique, dans les quatre, c’est d’une nouvelle alliance qu’il s’agit. Matthieu et Marc, écrivant surtout pour des judéo-chrétiens, montrent que Jésus est venu réaliser les figures, accomplir la loi, ils parlent donc de l’alliance par excellence, l’alliance sans épithète, celle qu’attendait tout bon Juif de l’époque ; Luc et Paul ont présente à l’esprit une autre conception qui n’est pas moins exacte : le pacte conclu avec Israël est remplacé par un nouveau traité auquel Jsont admis les gentils. Les deux idées ne’s’excluent pas ; il n’y a aucune contradiction.

Quant à la lourdeur et à l’incorrection prétendues du double génitif qu’on rencontre dans les deux premiers Évangiles : Ceci est le sang de moi de l’alliance, elles n’autorisent pas à soutenir que la formule de Matthieu et de Marc se décompose en deux éléments, l’un : Ceci est mon sang, extrait d’une source primitive, l’autre : de l’alliance, emprunté à la tradition de Paul. Nous ignorons quel a été l’original araméen. Nous ne savons même pas laquelle des deux formules, celle de Paul-Luc, ou celle de Matthieu-Marc, formules équivalentes par le fond, mais différentes d’aspect, a été dite par Jésus. Nous ignorerons toujours lequel des deux types mérite la préférence. Il est donc possible que les deux premiers Évangiles aient modifié la forme extérieure de la parole et qu’elle ait été, sous les traits que lui attribuent Paul et Luc, prononcée par Jésus. Les mots : Ceci est mon sang ont l’avantage d’être plus semblables à ceux de la consécration du pain et à la déclaration de Moïse sur le sang de l’antique alliance ; ils constituent une formule plus simple, ils ressemblent davantage aux prières liturgiques, ils conviennent mieux à un repas ; on boit du sang et non une alliance. Paul d’ailleurs veut avant tout prouver quelque chose, rappeler aux Corinthiens que l’eucharistie est un festin d’amour. Mais la singularité même de la parole de l’apôtre plaide aussi en faveur de son authenticité : l’aurait-il imaginée si elle n’était pas primitive ; et, au contraire, les parallélismes que suggère le type adopté par Matthieu et Marc ne permettent-ils pas de sujijjoser qu’il y a eu changement d’aspect extérieur de la |)cnsée primitive, le fond restant d’ailleurs identitjuc : ces deux évangéllstes se seraient efforcés de mieux adapter la parole récllenu’iit prononcée par.lésus à son cadre historique ? Le problfine est insoluble. IMais à coup sfir, le seul énoncé des mots employés par les divers témoins ne démontre pas l’inauthenticité des fonnules.

Reste une dernière différence. Selon Luc, Jésus dit du sang qu’il est versé pour les disciples (pour vous ; et saint Paul avait ainsi parlé du corps). D’après Matthieu et Marc, il est répandu pour beaucoup. Les deux expressions ne se contredisent pas et émanent d’écrivains qui ont un même concept. Pour beaucoup, affirment les premiers évangélistes, donc au moins pour les disciples qui, d’ailleurs, boivent le breuvage eucharistique. Pour vous, disent Paul et Luc, qui dans leurs écrits insistent plus que personne sur le caractère universaliste de la rédenqition et qui enseignent de la cène qu’elle doit être renouvelée par beaucoup et pour beaucoup. Les deux locutions s’emboîtent l’une dans l’autre. Paul et Luc, pas plus que Marc, n’emploient les mots : « pour la rémission des péchés ; » mais l’idée est’exprimée par eux quand ils disent : ceci