Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/532

Cette page n’a pas encore été corrigée

1035

EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE

1036

donnés qu’en figure, le festin nouveau se fait à une ! table vide, il est une ombre, et la Pâque ancienne serait la réalité. Loisy, Les Èva giles synoptiques, , Geffonds, 1908, t. ii, p. 507, prétend sans doute que c’est en vertu d’une conception doctrinale que la cène a été transformée en repas pascal ; mais il reconj naît que, dans un banquet ainsi compris, le Christ est « l’agneau pascal mangé par les fidèles » et que les Évangiles faisaient allusion à cette croyance.

Au cours du repas, Jésus prit du pain. Normalement, le mot grec ap-roç désigne le pain fermenté, et pour parler des azymes, les évangélistes ont recouru à un autre terme, a^jp-a. Si Jésus a célébré le repas pascal au soir du 14 nisan, c’est-à-dire le 15 commencé, il a dû se sei’vir d’azyme, les pains fermentes devant disparaître dans l’après-midi du 14. Mais o’.i sait qu’un bon nombre de Pères, d’exé^ètes catholiques et de critiques non croyants placent la cène à une date antérieure (itp’ÔTï) pourrait avoir le sens de r.ç, 6 ; il faudrait traduire : avant le jour des azymes et non pas : le premier jour des azymes). L’expression araméenne que remplace Tipiôtr, pourrait encore plus aisément avoir le double sens, Lagrange, Évangile selon saint Marc, Paris, 1911, p. 349 ; et si on admet cette hypothèse, Jésus aurait pu employer du pain fermenté.

Il prononce sur le pain une formule de bénédiction, le rompt et le donne aux disciples eu disant : Prenez. Saint Matthieu ajoute : Mangez. La fraction n’est donc pas tout, elle n’est nijme pas l’acte essentiel. Il faut bien que le pain, s’il doit être partagé, soit rompu. Et il l’était dans le repas pascal, en même temps qu’était prononcée une formule d’action de grâces dont le premier mot est précisément le verbe bénir : « Béni soit celui qui fait produire le pain à la terre. » Jésus ne veut pas seulement attirer l’attention sur la fraction, la présenter comme une image de son corps immolé (Jiilicher). Ce qui est important, c’est la manducation ; et si la fraction — Matthieu et Marc d’ailleurs ne le disent pas — représente la mort violente de Jésus, la participation au pain rompu a un autre sens connexe, consécutif, celui d’une communion au corps immolé du Sauveur.

Les paroles de Jésus ne laissent aucun doute sur ce point : « Ceci est mon corps, » dit le Christ. Le mot ccfz a été invoqué par les adversaires de la présence réelle. Ils raisonnent ainsi : Ce pronom ne désigne pas le corps de Jésus. Il y aurait tautologie. Le Christ dirait : Mon corps est mon corps. D’autre part, il ne peut désigner ni le pain ni ce que les théologiens catholiques appellent les espèces ou apparences du pain : car ni l’un ni les autres ne sont le corps du Christ : donc le mot ceci prouve que Jésus présente une figure de sa personne et non cette personne.

Cette argumentation ne porte pas. D’après la plupart des exégètes chrétiens ou incroyants, ceci désigne « ce que Jésus tient dans les mains… l’objet visible que l’on présente rompu et partagé. » Loisy, op. cit., t. II, p. 520. La phrase est donc la suivante : Ceci, ce que vous voyez, ce que je vous montre est mon corps. Et les partisans de la présence réelle l’expliquent aisément de deux manières. Ou Ijîen au début, quand Jésus commence la phrase, le sens est indéterminé, il sera précisé à la fin, ou bien il y a progrès de la pensée : au moment où le Christ prononce le premier mot, ceci désigne le pain ; quand il a fini la proposition, ceci se rapporte au corps du Christ. Quelques exégètes ont voulu voir dans toOto, hoc, un adjectif ; et puisqu’il est au neutre, il déterminerait le mot corps. Le sens serait : ce corps est mon corps. Et cette phrase n’embarrasse pas davantage les partisans de la présence réelle ; car la proposition opérant, d’après eux, ce qu’elle signifie, toOto, hoc, indiquerait non ce qui est, mais

ce qui sera. Ce corps qui sera présent est mon corps. Et, si les mots toOto IitI, hoc est, sont considérés comme une locution sj’nonyme de lôo-j, ecce, voici (cf. Exod., xxiv, 8 : ’Iôo-j tô a ! |j.a Tr, ; SiaOr, y.r, ;  ; Heb., IX, 20 : Tojto to al|j.a tt, ’SiïOv.zr, ;), aucune objection n’est plus possible. Dans la phrase : voici mon corps, le terme voici indique ce qui sera.

Sur la signification du mot suivant est, « des batailles théologiques » se sont livrées et se livrent encore. Ce verbe semble clair ; nul ne peut l’être davantage. Il est d’une telle simplicité qu’on ne peut le définir. Et pourtant, on a voulu, on veut encore faire de ce mot le synonyme de « signifier » , « figurer » . A priori, l’issue de la controverse ne paraît pas douteuse. Ceci est mon corps, » ainsi parle Jésus. Je crois que c’est votre corps, répondent les partisans de la présence réelle. Je crois que c’est la figure de votre corps, répliquent les adversaires de ce dogme. Il est facile de constater qui reste fidèle au sens manifeste des termes employés.

Wiseman, op. cit., a prouvé de la manière la plus saisissante que le langage de Jésus devait s’entendre au sens littéral. Certains objets, observe-t-il, sont symboliques par nature ; un portrait, un buste n’existent que pour représenter un homme. Si donc, montrant une statue de Platon, une pièce de monnaie frappée à l’effigie de Louis-Philippe, on dit : Ceci est Platon, ceci est Louis-Philippe, tout le monde coinprend que le verbe être signifie être l’image de. D’autres objets ne sont pas essentiellement et par eux-mêmes des symboles, mais le sont en vertu de l’usage : voilà pourquoi l’on peut dire, sans qu’aucune méprise soit possible : ce drapeau, c’est la France qui passe. Cette fois encore, le verbe être est évidemment synonyme de représenter. Enfin, certains objets ne sont des figures ni par définition ni en vertu d’une convention communément admise, mais en raison d’un choix spécial de l’écrivain qui avertit alors le lecteur de son intention. Ainsi Jésus raconte la parabole du semeur et la termine par ces mots : « Le champ, c’est le monde ; la semence, c’est la parole de Dieu. » La pensée n’est pas douteuse. Nous savons que nous sommes en face d’une allégorie. Le contexte nous oblige à donner au verbe être le sens de figurer.

Si, au contraire, un écrivain nomme un objet qui n’est pas, de par sa définition, un symbole ; si cet objet n’a jamais, en vertu de l’usage, servi à représenter une autre chose ; et si l’auteur ne dit pas qu’il hasarde une comparaiso : i, une image, une métaphore, si rien dans son langage ne permet de le supposer, on est obligé de conclure qu’il parle au sens propre, et s’il voulait employer une figure, il ne serait pas compris. Si quelqu’un dit, par exemple, en montrant une maison : Ceci est le citoyen, l’auditeur se demandera ce que signifie cette affirmation. Et lui répondra-t-on : Vous compreniez qu’une statue était Platon ou Louis-Philippe ; que le drapeau était la patrie, que la semence était la parole de Dieu, admettez aussi qu’une maison peut représenter un citoyen ? Mais depuisquand en est-il ainsi ? répondra cet interlocuteur surpris. Et si on lui dit : Il en a été ainsi pour la première fois quand j’ai parlé et en vertu de mes paroles, il répliquera : Il fallait alors m’avertir.

Or le pain et le vin ne sont pas essentiellement, par nature, des symboles du corps et du sang d’un homme, du corps et du sang de Jésus. Aucune convention, aucun usage antérieur ne les a désignés comme images de ce corps et de ce sang. Jamais le Christ n’a recouru à ces deux éléments pour représenter son corps et son sang. Et ici, il ne dit pas, il ne laisse pas entendre qu’il emploie une image, qu’il recourt à une comparaison. Donc, il est impossible d’interpréter au sens figuré les mots : Ceci est mon corps.

Les adversaires de la présence réelle depuis le xiv »