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EUCHARISTIE D’APRÈS LA SAINTE ECRITURE


en fait, elle vivifie quiconque veut être ivifié et ne résiste pas à sa vertu.

Une autre objection semblable a été faite : Jésus déclare ici qu’il jmil manger sa chair et boire son sang sous peine de mort éternelle. Si on entend son discours de l’eucharistie, on doit conclure que pour être sauvé il faut avoir communié, que les plus petits enfants sont obligés de le faire, qu’enfin chaque fidèle est tenu de recevoir le sacrement sous l’espèce du pain et sous celle du vin. Ces conséquences étant inadmissibles, ce n’est pas du sacrement qu’il est parlé ici.

Des exégètes ont répondu qu’il y a une différence notable entre le langage de Jésus sur l’eucharistie et ses affirmations sur le baptême : « Si quelqu’un ne renaît de l’eau et de l’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume des cieux, » iii, 5. « Si tiuclqu’iin, » est-il dit, donc il s’agit des enfants aussi bien que des adultes. Ici, au contraire, les menaces s’adressent aux seuls auditeurs : « Si vous ne mangez…, » 53. Si vous, c’est-à-dire si les hommes faits… Calmes, op. cit., p. 257. Cet argument n’est peut-être pas très probant. La bonne réponse doit être cherchée dans un examen comparatif de deux figures dont Jésus se sert pour désigner le baptême et l’eucharistie. Le premier sacrement est une régénération, iii, 3-5 ; le second une nourriture. Pour vivre, tout le monde doit naître ; le baptême est donc indispensable. L’alimentation n’est requise que pour conserver l’existence ; si donc quelqu’un n’est pas exposé à perdre la vie spirituelle — et c’est le cas des petits enfants — il n’est pas obligé de manger : l’eucharistie n’est donc pas de nécessité de moyen et ceux qui sontincapables de pécher pourront ne pas communier.

De même, doit-on dire, l’aliment que propose Jésus ne consiste pas dans les espèces en tant qu’espèces. Son efficacité ne réside pas dans la manière dont est reçu le Sauveur, elle découle du Christ. Jésus est le pain de vie ; pourvu qu’il soit consommé sous une forme ou sous une autre, il agit. Et, comme l’observe finement le concile de Trente, sess. xxi, c. i, le même Jésus qui a nommé parfois les deux espèces dans son discours sur le pain de vie, parfois aussi, dans le même entretien, n’en nomme qu’une. Il a dit : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang…, » 53, mais il a fait aussi les affirmations suivantes : « Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement, s 51 ; « .Le pain que je donnerai, c’est ma chair, » 51 ; « celui qui mange ce pain vivra éternellement, a 58. L’idée fondamentale, c’est que Jésus est pain de vie, 48, 51 : ce qui suit n’est que le développement de ce thème, 49-57. Calmes, op. cit., p. 257. Ils se trompaient donc certainement, les catholiques qui refusaient d’entendre ce discours de l’eucharistie de peur d’être obligés de concéder à des hérétiques le droit pour les laïques de participer à la coupe.

Ici, Jésus ne se pose pas la question de la communion sous les deux espèces, de la distribution de l’eucharistie aux petits enfants ; il n’énonce pas un précepte de discipline, une règle de liturgie, obligatoire pour tous les pays et tous les lieux. Il affirme la nécessité du sacrement. Il dit : L’eucharistie, c’est l’aliment comme le baptême est la régénération. Vous devez renaître ; vous êtes tenus de vous nourrir si vous devez entretenir votre vie. Aujourd’hui encore un prédicateur catholique pourrait parler ainsi sans vouloir dire que l’eucharistie doit être reçue sous les deux espèces ou qu’elle est de nécessité de moyen.

4. Épilogue du discours sur le pain de vie, 60-71. — a) Jésus et les disciples, 60-67. — Des disciples, et ils sont nombreux, " l’ayant entendu, disent : Ce langage est dur, cjui peut l’écouter ? » Ils sont choqués. Ils trouvent les affirmations de Jésus étranges, dures (dures à avaler, dit encore le langage vulgaire). Et ils

se demandent, non s’ils les comprennent, mais s’ils peuvent écouter, subir un enseignement qui révolte le Sens commun et blesse le sens religieux. » Loisy, op. cit., p. 466. Si vraiment Jésus a promis sa chair à manger, cet étonnement n’est pas extraordinaire.

B. Weiss, op. cit., p. 273, croit que ce qui scandalise les disciples, c’est l’idée du supplice de la croix. Mais c’est à peine si dans tout le discours il y a été fait allusion une fois ; et encore est-ce en termes très voilés qui ne laissent nullement soupçonner les souffrances et les humiliations futures : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde. » « C’est prêter aux Galiléens une perspicacité plus grande que celle dont l’évangéliste gratifie ordinairement les auditeurs du Christ que de les supposer rebutés par une pensée sous-entendue, non par une intelligence toute matérielle du discours qui leur a été adressé. » Loisy, op. cit., p. 467.

Selon Mgr Batiffol, « l’image du pain descendu du ciel, l’idée de Jésus venu du Père et vivant par le Père est, bien plutôt que le précepte de manger la chair du Fils de l’homme, ce qui constitue pour les disciples la parole dure. » 0p. cit., p. 101. Cette interprétation paraît moins naturelle : la réflexion des auditeurs n’est plus rattachée aussi étroitement à la deuxième partie du discours. L’objection contre Jésus, pain du ciel, a été faite plus haut, 41 ; pourquoi y revenir ? Et à l’assertion du Sauveur déclarant qu’il venait du Père, les auditeurs n’ont pas opposé l’impossibilité de la comprendre, mais ce qu’ils savaient du Nazaréen : « N’estce pas Jésus, le fils de Joseph ? » 42. Ici le murmure est tout différent.

Le Christ ne répond pas aux disciples : Vous vous êtes mépris, je parlais en figure, je voulais seulement désigner ici ma passion, ma doctrine, la foi. Il dit : « Cela vous choque ? Et si vous voyez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ? » 62.

Les exégètes qui se refusent à trouver l’eucharistie dans le discours sur le pain de vie sont assez embarrassés pour rendre compte de cette réplique. B. Weiss, op. cit., p. 274, suppose qu’après avoir scandalisé les disciples par l’annonce de sa passion, Jésus, pour démentir leurs rêves terrestres et les mieux convaincre que le royaume de Dieu sera le don de l’Esprit, achève de les déconcerter en leur apprenant que le Messie disparaîtra. Mais, dans ce chapitre, il n’a été question ni des espérances des Juifs, ni de la communication de l’Esprit, ni même en termes clairs du royaume, ni de l’intention qu’a Jésus de combattre les conceptions grossières de ses contemporains sur l’âge messianique, et les disciples ont pu entendre avec attention tout le discours sans soupçonner un instant les humiliations de la croix. Cette explication n’est pas mieux liée à ce qui suit qu’à ce qui précède : elle ajoute d’ailleurs à la portée du texte. Enfin elle ne se rend pas compte des expressions employées : ici, l’accent est mis sur l’idée d’ascension, le concept d’absence n’est qu’implicitement indiqué. Quand Jésus-Christ voudra annoncer son départ, c’est de ce départ qu’il parlera clairement : " Je ne suis plus avec vous que pour un peu de temps, » XIII, 33 ; « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, » XVI, 16.

De bien meilleures explications de cette parole ont été proposées par les exégètes et théologiens qui découvrent en ce chapitre l’eucharistie. Les uns estiment que les mots : « Cela vous choque ? Et si vous voyiez le Fils de l’homme remonter où il était auparavant » tendent à renforcer la difficulté. Vous vous étonnez, disait Jésus, vous verrez des faits plus inexplicables encore 1 L’ascension sera plus surprenante que l’eucharistie I Le mouvement général de la phrase favorise cette interprétation ; mais elle semble laisser un hiatus entre cette première parole de Jésus et l’affirmation qui suit ;