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ETERNITE


ment dite ne convient qu’à Dieu seul ; seul, en eftet, il est immuable : c’est Vactiis piirissimiis. Cependant, en dehors de Dieu, la sainte Ecriture attribue l’éternité à d’autres êtres. Il semble donc opportun d’étudier au moins brièvement cette éternité des créatures. Elle peut cire réellement Vclernilé participée ; elle peut n’être qu’une élrrnité improprement dite.

Nous appelons éternité ]Kirticipéc cette durée qui chez les êtres d’essence immuable tient à la fois de l’éternité et du temps : immobilité dans la nature, succession dans les opérations, tels en sont les deux éléments essentiels. A cette durée, les théologiens ont réservé spécialement le nom d’œviim, qui, dans le langage de l’École, n’est employé dans aucun autre sens, à l’inverse du terme correspondant grec, a’twv.

1° L’éternité participée se rencontre dans un ordre double, l’ordre des essences immuables, natures angéliques ou corps ressuscites, l’ordre des opérations surnaturelles de la vision intuitive.

1. Ordre des essences immuables. — Ua-vuni, dans cet ordre, est la durée des cmges et des hommes, après la résurrection générale. Les premiers, par nature, les seconds, par privilège, sont incorruptibles dans leur essence : il ne peut être question de changement ni de mutabilité autrement que par une assimilation de leur être, ce que Dieu peut réaliser en vertu de sa puissance absolue, mais non en vertu de sa puissance ordonnée. Voir ces mots. Cf. S.Thomas, In IV Sent., 1. III, dist. I, q. II, a. 3.

Il y a dans cette durée une participation de l’éternité selon les deux éléments essentiels qui la constituent : impossibilité d’assigner un terme (réel), au moins quant à la fin ; exclusion de toute mutation (dans l’essence). Mais les opérations des anges et des hommes restent soumises à la loi de la succession, bien qu’il n’y ait pas continuité nécessaire dans cette succession. L’avant et l’après, sans affecter Vœinim, lui sont annexés. De là, cette conséquence que la connaissance angélique, au lieu de procéder par la compréhension totale, en un seul acte, du passé, du présent et de l’avenir, se produit selon un ordre de priorité et de postériorité. Cf. Billot, De Deo une, q. X, th. IX, coroll. 3. On peut trouver dans la sainte Écriture une affirmation de cette doctrine, relativement aux corps ressuscites. Apoc, x, 6.

2. Ordre de la vision bécdifique.

Dans cet ordre, ce ne sont plus seulement les essences qui participent à l’immutabilité divine, ce sont aussi les opérations dans l’acte, toujours identique à lui-même, de la vision béatiflque. L’intelligence et la volonté sont fixées dans la contemplation et l’amour du bien infini, dans la lumière de la gloire, et participent ainsi à la vie même de Dieu. Voir Intuitive (Vision). C’est donc en réalité la vie éternelle communiquée par Dieu aux créatures, et c’est, en effet, le terme que lui applique, en maints endroits, la sainte Écriture. Cf. Dan., xii, 2 ; Eccli., xviii, 22 ; xxiv, 31 ; Il Mach., vii, 9 ; Matth., XVIII, 8 ; XIX, 16 ; Joa., xvii, 3, etc.

Nous avons esquissé en commençant l’explication tentée par les philosophes au sujet de Vœvum, nous n’avons plus à y revenir.

2° Difficultés patrisliques relatives à l’œvum. — Nous n’avons pas ici à étudier en détail les aspects variés des différentes sectes de la gnose primitive. Voir GxosE. Il suffit de rappeler un de leurs caractères communs, ayant trait à la présente question. L’imagination des gnostiques avait inventé la théorie des éons, en grec aitôveç : au terme aîcjv correspond exactement, on le sait, le terme œuum, qui n’est d’ailleurs que sa transposition latine. Ces éons sont des émanations supratemporelles de la divinité. A dire vrai, ces spéculations appartiennent à la plus nébuleuse théosophie, et malgré les expositions qu’en

font saint Irénée, Conl. /ia’r., l.I, c. i, 2 ; c. ii, l ; c. xxiii, 1-4, P.G., t. vii, col. 440, 452, 671 ; saint Épiphane, Hier., 1. I, hær., xxxi, P. G., t. xli, col. 494 ; l’auteur des Philosophoumena, VI, 9-20 ; X, 12, P. C, t. XVI, col. 3207, 3425 ; Théodoret, In Epist. ad Heb., P. G., .. Lxxxii, col. 671 sq. ; pseudo-Denys, De div. nom., c. V, P. G., t. iii, col. 831 sq. ; Tertullien, Adv. valentinianos, c. vii, viii, P. L., t. il, col. 550 sq., nous n’arrivons pas encore à nous faire une idée exacte de ce système dont le fond est un vague panthéisme idéaliste. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 60 sq. D’ailleurs, il n’a d’intérêt pour nous qu’en raison de quelques difficultés patristiques qu’il suscite.

Laissant de côté les rapports de ce système avec les conceptions antilrinitaires des ariens et des macédoniens, il nous suflira de signaler le fondement scripturaire sur lequel il semble avoir été édifié. Ce sont deux textes de l’Épitre aux Hébreux, i, 2 : At’vj y.a’t £7101’T|(jev Tovi ; ai<ôva ;  ; Xl, 3 : Ylirj’ti vùoO|j.£v y.aTripTi’aOai Toùç atû)va ; pvinaTt ÔEoC. Par une spéculation conforme au génie oriental, ces aiùvs ; sont représentés comme des choses existant en soi. Tout l’effort des Pères qui combattent les gnostiques tend à prouver la non-éternité des aitôvE ;, mais non pas leur nonréalité. Leur existence, semble-t-i), est indépendante de celle des créatures qu’ils mesurent. Ce sont comme des réceptacles, créés par Dieu, pour recevoir les créatures qui échapjjent aux conditions du temps, S. Grégoire de Nysse, Contra Eunomium, 1. I, P. G., t. XLv, col. 366 ; ils sont en dessous de la génération du Verbe, S. Basile, Contra Eunomium, 1. II, n. 12, 13, P. G., t. XXIX, col. 594 ; ils sont la dimension, la distance qui sépare le commencement du monde de sa fin. Théodoret, In Epist. ad Heb., c. i, P. G., t. Lxxxii, col. 679. Ajoutons cependant que Théodoret ne semble pas distinguer réellement les alôt-m des créatures qu’ils mesurent, mais saint Grégoire de Nysse dit expressément qu’ils sont distincts des substances créées. Tertullien se contente de vouer au ridicule le système de Valentin, qu’il ne prend pas au sérieux.

Saint Basile, In Ilexæm., homil. i, n. 50, P. G., t. XXIV, col. 144, a une théorie analogue sur la lumière intelligible, qui aurait existé avant tous les temps, dans un état de choses préalable à la constitution du monde. Comme, d’autre part, nous savons que saint Basile, Contra Eunomium, loc. cit., s’est inscrit en faux contre l’hypothèse d’une création éternelle, il est à supposer que cet état de choses préalable à la constitution du monde, dont l’expression était cette lumière intelligible, n’est autre que Dieu lui-même, archétype de toutes les créatures, et dont la lumière éclairait en son essence les idées de toutes les choses futures.

Néanmoins, la doctrine attribuée à saint Basile a été reprise au xiie siècle dans un sens nettement hétérodoxe par le moine Grégoire Palamas, cf. Cantacuzène, Hist., 1. II, c. xxxix, P. G., t. cliii, col. 669, et au xvi*’siècle, par Augustin Steucho de Gubbio, Cosmopa’ia vel de mundano opificio, in-fol., Lyon, 1535. Pour eux, la lumière divine, incréée, émane de Dieu de toute éternité et forme une substance distincte de la substance divine. Elle est l’habitation de Dieu lui-même, selon la parole de saint Paul, I Tim., vi, 16, et s’est manifestée autour du Christ dans sa transfiguration. Cette divagation théologique, renouvelée des anciennes spéculations platoniciennes, ne présente qu’un intérêt purement historique.

IV. Éternité improprement dite.

C’est lorsqu’elle s’applique à des êtres existant réellement dans le temps, mais dont la durée a un lointain rapport avec l’éternité divine. L’éternité ainsi entendue se dit des idées ou des choses. 1° Les idées sont éternelles, en ce sens que, ne con-