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rez, De regibus, 1. III, c. xxi, n. 8 ; S. Thomas, Sam, theol., I » 11^-, q. VI, a. 4, etc.

Or, cette doctrine est balliie en brèche par phisieurs économistes qui ne veulent voir dans raulorite publique qu’un pouvoir de coercition.

Frédéric Bastiat, La loi, dans Œuvres complètes, t. IV, p. 343 sq., proclame que « le droit collectif a son principe, sa raison d’être, sa légitimité dans le droit individuel ; et la force commune ne peut avoir rationnellement d’autre but, d’autre mission que les forces isolées auxquelles elle se substitue… et comme chaque individu n’a le droit de recourir à la force que dans le cas de légitime défense, la force collective, qui n’est que la réunion des forces individuelles, ne saurait être rationnellement appliquée à une autre fin. » D’après Beudant, Le droit individuel et l’État, p. 146, « l’État, c’est la force collective qui protège le libre développement des facultés de chacun et qui veille à ce que personne n’usurpe le droit de personne. » Enfin, au dire de Maurice Block, Les progrès de la science économique, t. i, p. 407, « l’État est la force ; mais la force n’est ni une vertu ni un vice, elle peut opprimer ou protéger le droit selon la direction qu’elle reçoit. » Quant à Tancrède Rothe, Traité de droit naturel, p. 285, sans aller aussi loin que les économistes déjà mentionnés, il dénie également au pouvoir politique la vertu d’obliger en conscience : « La souveraineté civile, dit-il, ne renferme pas un pouvoir direct de commander. En plus du droit d’user de la contrainte légitime, elle ne renferme que le pouvoir d’émettre des volontés que la loi de charité sanctionne. Pourquoi, par elle-même, la volonté de celui ou de ceux qui constituent la force publique obligerait-elle ? Ils ne sont pas d’une nature différente de celle des autres hommes ; et rien ne prouve qu’ils aient reçu de Dieu la prérogative en question. »

A rencontre de ces diverses théories, le droit chrétien établit le principe de l’origine divine du pouvoir politique, et affirme que l’autorité civile vient de Dieu et a son fondement dans la volonté du créateur, au même titre que l’autorité du père de famille : car la société civile ou l’État se rattache, ainsi que la famille elle-mêmC ; à une origine naturelle et divine. Aussi bien le pouvoir politique « revêt-il un caractère sacré ; ceux qui en sont investis deviennent, pour ainsi dire, les représentants et les lieutenants de Dieu ; et leur autorité s’impose à la conscience des sujets comme une sorte de participation de l’autorité divine. » E. Valton, Droit social, p. 67. Résister au pouvoir légitime de l’État, c’est donc, par le fait même, résister à l’ordre établi par Dieu et à sa volonté. Cf. Ch. Antoine, op. cit., p. 53.

D’ailleurs, ce caractère sacré du pouvoir politique et cette force obligatoire, qui s’adresse aux consciences, trouvent leur justification dans la doctrine du Christ et des apôtres, ainsi que dans l’enseignement thèologique de l’Église. En effet, le Christ, loin d’abolir les titres obligatoires et, en quelque sorte, divins, du pouvoir civil, est venu plutôt les promulguer par sa doctrine et les confirmer par ses exemples. II ordonne de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, mais exige aussi qu’on donne à César ce qui est à César. Lui-même paie le tribut à César ; il se soumet à l’autorité d’Hérode et de Pilâte et il va jusqu’à confesser que cette autorité vient d’en haut. Matth., xvii, 21, 24 ; Joa., xix, 11. Les apôtres, à la suite de leur divin Maître, proclament que la soumission aux empereurs est une obligation de conscience, parce cjne leur autorité est légitime et vient de Dieu. « Que toute personne, dit saint Paul, soit soumise aux autorités supérieures ; car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu. C’est pourquoi celui qui résiste à l’autorité résiste à l’ordre établi par

Dieu… Le prince est le ministre de Dieu… Il est donc nécessaire de vous soumettre non seulement par crainte de la colère, mais aussi par conscience. » Rom., xiii, 1 sq. Et saint Pierre : « Soyez soumis à toute institution humaine, à cause de Dieu : soit au roi, comme au souverain, soit aux gouverneurs, comme étant envoyés par lui pour châtier les malfaiteurs et pour approuver les gens de bien. » I Pet., ii, 1 3 sq. Héritière de la doctrine du Christ et des apôtres, l’Église n’a jamais cessé de consacrer par son enseignement théologique l’obligation d’obéir au pouvoir établi. « Cette obligation elle l’impose comme un devoir de conscience à tous les citoyens, non seulement aux laies, mais encore à ses ministres, prêtres et évêques, en tout ce qui n’est pas contraire à la liberté, à l’indépendance et à l’honneur du sacerdoce. » E. Valton, Droit social, p. 60.

Fonctions générales.

Les fonctions générales de

l’État-pouvoir comportent deux attributions principales, à savoir : un rôle de protection et un rôle d’assistance ; et le droit essentiel de l’État, qui se confond ici avec son devoir primordial, consiste dans un rôle d’intervention ayant pour but de protéger et d’aider, protéger les droits et aider les intérêts de ses membres. C’est qu’en effet le droit d’une société parfaite est proportionné aux exigences de sa fin particulière. « Une société parfaite, dit Tarquini, Principia jurix ecclesiastici, Rome, 1872, p. 5, a droit à tous les moyens nécessaires à sa fin particulière, à condition que ces moyens n’appartiennent pas à un ordre supérieur. » Or, la fin de la société civile, nous l’avons vii, consiste à procurer, dans la sécurité de l’ordre, le développement |physique et moral des associés. Il appartient donc au pouvoir politique de maintenir la paix intérieure^et ^extérieure par la protection des droits et de contribuer, par une assistance positive, au développement de la prospérité temporelle de la société. Cette doctrine, qui est celle de la philosophie chrétienne et de la théologie catholique, a été admirablement mise en relief par Léon XIII, qui, en particulier dans l’encyclique Rerum novarum, explique le rôle du pouvoir politique dans la société, spécialement au pointîde vue de l’ordre économique. « Ce qu’on demande d’abord aux gouvernants, déclare le souverain pontife, c’est un concours d’ordre général qui consiste dans l’économie tout entière des lois et des institutions. > Ce concours général comporte, entre autres choses, « une imposition modérée et une répartition équitable des charges pubhques, le progrès de l’industrie et du commerce, une agriculture florissante, et d’autres éléments, s’il en est du même genre. » Plus loin, le pape invoque également un concours particulier de l’État, en faveur des faibles et des indigents. Mais, que le concours de l’État soit général ou particuher, il comprend toujours, d’après Léon XIII, un double rôle de protection et d’assistance. Or, il nous faut dire brièvement en quoi consiste ce double rôle du pouvoir de l’État.

1. liôle de protection.

La protection des droits comporte non seulement le respect des droits, qui par lui-même est plutôt négatif, mais encore une intervention positive, c’est-à-dire l’emploi des moyens qui empêche la violation des droits et en réprime les attaques. D’une manière plus précise, la protection des droits s’étend à trois objets distincts : assurer l’exercice des droits au moyen de la contrainte ; déterminer les droits par la loi ; résoudre les conflits des droits à l’aide des tribunaux. En premier lieu, le bien commun impose à l’État l’obligation indispensable de garantir à chacun des citoyens le libre exercice de ses droits, car autrement il serait impossible aux membres de la société de poursuivre la fin sociale, puisque tous leurs eftbrts pourraient se trouver aiTÛtés