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ESTHER (LIVRE D']


iialion, III, 12-15 ; viii, 10-17, sont pareilleinent opposés ; la progression est hahilenient ménagée du danger couru par les Juifs jusqu'à ce que, par un coup de tliéâtre, ceux-ci se voient soudain sauvés ; le double bai-ujuet, v, 4, 8 ; vii, 1, accuse l’intention de mettre en relief, pour l’intervalle de temps qui sépare l’un de l’autre, l’exaltation joyeuse d’Aman, v, 9-14, jiuis son dépit, VI, 11-13, prélude et, en quelque sorte, présage de i’iiumiliation plus grande qui va l’atteindre, vii. » Driver, Intioduction, p. 432, 483. Cf. Œttli, dans Die f/cschichllichen Haf/iot/rapher} (Strack-Zockler, Kur :  ! ie/<tssl('s Kommentar), Leipzig, 1889, p. 233. — Quoi qu’il en soit, le théologien, qui revendique pour le livre d’Esther l’historicité absolue, doit tenir pour suflisant à sauvegarder la véracité du témoignage biblique : 1° que ce livre ne renferme rien d’invraisemblable, encore que les faits y soient présentés avec tout l’art du parfait romancier, et 2° que les efforts des critiques aient échoué qui prétendaient le mettre en contradiction avec l’histoire ou trouver dans la fable et les institutions persanes, grecques ou babyloniennes les éléments peu ou prou frelatés de sa contexture narrative, encore qu’il y ait souvent rencontre spécieuse entre nombre de ses données principales et quelques lambeaux légendaires ou mythologiques exhumés de l’Orient toujours bien obscur.

IV. Caractère religieux et moral.

I. caiiacTKHE nELic.iEUX. — Il n’est guère possible de douter que, si le livre d’Esther, livre inspiré, ne jicut être qualihé d'écrit tout à fait profane, la note reUgieuse ne paraisse cejjeiulant y avoir été intentionnellement étouffée. Pas une seule fois, dans le livre hébreu, il n’est fait mention de la divinité ; la fatalité semble y tenir la place de la providence ; le sentiment du repentir et de la pénitence, qui éclate si vivement, dans d’autres livres bibliques, au moment de l'épreuve et du danger publics, cf. Lev., xxvi, 40 ; Jud., passim ; I Sam., VII, 6 ; Dan., ix, 3 sq. ; Esd., ix, 3 sq. ; Neh., i, 4 sq., se tait absolument ici lors de la suprême désolation où se trouve plongé le peuple entier des Juifs. Esth., IV, 1-14. Ceux-ci, sans doute, ne sont point censés jeûner jiour lléchir le seul et aveugle destin, ibid., 15 ; mais il n’en est pas moins vrai qu’un voile plus ou moins transparent est jeté sur l’intervention divine dans toute cette affaire : « Si tu te tais maintenant, fait répondre Mardochée à Esther hésitante, le secours surgira d’aulte fxtrt…. et qui sait si ce n’est pas pour un temps comme celui-ci que tu es parvenue à la royauté'? « Ibid., 14. Enfin, pas un mot de remerciement, pas une action de grâces n’est prévue, à l'égard de Dieu pour les fêtes des Purim, dont l’ordonnance, par contre, in.siste si souvent sur les réjouissances, les libéralités, les festins. Esth., ix, 17-19, 22, 27.

Beaucouj) ont essayé d’expliquer, sans y réussir peut-être, cette anomalie. Voir S. Jampel, Das Buch Esllier, Francfort-sur-le-Main, 1907, p. 27 sq. La clé paraît en être dans ce fait, que l’auteur du livre blâme, au fond, la manière d’agir de Mardochée à l'égard d’Aman, iii, 3 sq. Mardochée a conscience de l’effroyable péril auquel son refus de fléchir le genou devant Aman expose ceux de sa nation, iv, 7-9, et il s’obstine néanmoins, v, 9-13, à frustrer le ministre, représentant du roi, d’une marque de considération que nul à la cour ne refusait, que lui-même ne refusait point au roi, s’il vécut à la cour, viii, 1 sq. Cf. Hérodote, VII, 13 ; Spiegel, op. f//., t. iii, p. 610.

On sentit bien, parmi les Juifs, que Mardochée aait eu des torts, et très graves, puisque les additions des LXX lui font dire dans sa prière, Swete, C, 6 ; Vulg., XIII, 13, prière non en grande harmonie avec v, 9 sq. : « Si j’avais pensé que ce fût utile à Israël, je lui aurais baisé les pieds (à Aman), » et que les midraschiiu cherchent, sans y réussir, à excuser de

faute le Juif orgueilleux, raide et inflexible. < L’auteur du livre d’Esther iiaraît lui-même déjà fort en peine de trouver une raison valable à la manière d’agir de Mardochée. Que l’on serre de près Esth., iii, 3-4, il y manque le motif essentiel du refus d’honorer Aman, bien que ce motif fût comme le puncluin suliens, la source de tout le développement ultérieur. L’auteur a cherché, el non sans rélU'.iion, ii obvier à cette erreur, que Mardochée se serait vu contraint d’agir comme il l’a fait pour un motif relit/ieii.r (ainsi les midraschim). Il ne dit pas : Mardochée ne fléchit pas le genou, parce qu’en qualité de Juif il ne le pouvait ; mais l’attitude du personnage demeure non motivée. C’est tout à fait indirectement que l’auteur remarque : il (Mardochée) avait dit aux courtisans (étonnés)' qu’il était Juif. S’il avait tenu cette excuse pour justifiable, l’auteur aurait-il manqué de mettre plus en relief un motif sur lequel reposait toute l’affaire ? t. S. Jampel, op. cit., p. 35. L’auteur du livre d’Esther a voulu que Mardochée seul portât devant l’histoire toute la responsabilité de son obstination dédaigneuse ; mêler Jahvé directement à cette querelle de cour et le faire intervenir au premier plan, dans la complication qui en fut la suite et le dénouement, lui eût paru compromettre la dignité et la sainteté du j Dieu d’Israël.

I ii.rARAcrEUE MORAL. — Pour la Critique protestante I (cf. aussi Renan, Histoire du peuple d’Israël, Paris, I 1893, t. IV, p. IGl), le livre d’Esther ne respire que la I haine de l'étranger, la froide cruauté, la vengeance. Les Juifs s’attaquent aux femmes, au.x enfants, viii, I 11 ; Esther réclame un second massacre, ix, 13, insulte I à ses ennemis morts, ibid. ; et tout cela comble l’auI teur de satisfaction, ix, 5, 17, 18 : on danse et l’on j s’enivre sur des cadavres ! — Il y a des circonstances atténuantes. Les Juifs d’abord n’ont tait que se défendre contre ceux qui prenaient les armes pour les attaquer, VIII, 11, qui cherchaient leur perte, ix, 2, qui leur étaient hostiles, 5, 16. Ils n’ont pas mis la main au pillage, ix, 11, 15, 16. Les mots de l'édit de Mardochée, VIII, 11 : « de faire périr, avec leurs enfants et leurs femmes, ceux de cliaque peuple… » ne sont vraisemblablement qu’une formule de la chancellerie persane, cf. iii, 13, dont ni Mardochée ni Esther ne furent sans doute responsables. La première leçon donnée aux antisémites de Suse pouvait n’avoir point calmé tout à fait l’ardeur belliqueuse et sanguinaire qui les faisait se jeter sur les Juifs. Enfin le récit biblique ne saurait endosser la responsabihté des agissements d’Esther et de Mardochée ; il raconte purement et simplement les faits tels qu’ils se sont passés sans blâme ni louange. Observer du reste que la fête ne commémore pas le jour du massacre, mais « le jour de paix » et de tranquillité qui le suivit, ix, 1022. S. Jampel, op. cit., p. 128 sq.

V. Auteur et n.TE. — l » Le Talmud, Baba bathra, 15 a, attribue la composition du livre d’Esther à la Grande Synagogue. Mais l’existence même de ce corps de rabbins juifs censés régler sous la Loi les questions afférentes aux saintes Écritures est révoquée en doute par un grand nombre de critiques. — 2'> Saint Augustin, De civitate Dei, I. XVIII, c. xxxvi, P. L., t. xli, col. 596, et saint Isidore de Séville, Eti/m., vi, 29, P. L., t. LxxxH, col. 233, l’attribuaient à Esdras. Isidore l’attribua aussi à la Grande Synagogue. De eccles. offic, I, 12, P. L., t. Lxxxiii, col. 747. — 3° Eusèbe de Césarée le croit beaucoup plus récent. Citron, ad Olymp., Lxxix, 1, P. G., t. xix, col. 475. — 4° Clément d’Alexandrie, Strom., I. 21, P. G., t. viii, col. 852, et, dans leurs commentaires, Nicolas de Lyre, Denys le Chartreux, Génébrard, Serarius, Sanctius le font écrire par IMardochée sur la foi d’Esth., ix, 20, bien que ce passage ne se rapporte qu’aux lettres officielles-