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ESPERANCE
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saint Thomas, et après lui par la plupart des scolastiques. Ils veulent que l’espérance soit un désir d’obtenir pour soi, de la bonté de Dieu, uu bien difficile et douteux à acquérir. Comme ils disent qu’espérer, c’est désirer pour soi, ils attachent l’espérance à l’amour intéressé qu’ils appellent amour de concupiscence, et ils l’excluent du parfait amour, qui est le désintéressé, et auquel ils donnent le nom de charité ou d’amour d’amitié… J’aimerais mieux changer la définition de l’espérance, que saint Thomas n’a peut-être fondée que sur les idées philosophiques d’Aristote. Ne peut-on pas supposer qu’il y a deux espérances comme deux amours, et que l’espérance intéressée répondant à l’amour de concupiscence, l’espérance désintéressée répond à l’amour d’amitié. On pourrait même définir l’espérance désintéressée un désir des biens éternles en tant que difiîciles et douteux à acquérir, mais un désir excité par le seul bon plaisir de Dieu et pour sa pure gloire… Par là, on peut concilier, ce me semble, la charité pure avec l’espérance. Je puis attendre et désirer le royaume de Dieu, c’est-à-dire l’espérer, avec autant de désintéressement pour moi que pour un autre. Je le désire en moi, mais non pas pour moi. » Passage cité par M. l’abbé Paquier, Qu’est-ce que le quiélisme ? Paris, 1910, p. 101.
Inconvénients du 1er système. —
a) Il attaque saint Thomas et les scolastiques. —
b) Il établit deux espérances
théologales, l’une intéressée, l’autre désintéressée.
Elles doivent différer spécifiquement, puisque
d’après l’École, et plus encore d’après Fénelon, le
motif désintéressé change la valeur morale de l’acte
et élève son rang dans la hiérarchie des vertus. IVIais
comment ce dualisme pourra-t-il s’accorder avec
rficriture et la tradition, qui n’ont jamais reconnu
qu’une seule espérance surnaturelle, et trois vertus
théologales seulement ? —
c) La seconde espérance, la
désintéressée, est inutile, puisque son acte est déjà
produit par la vertu de charité. La charité, en effet,
l)eut non seulement aimer Dieu, mais aussi le désirer.’oir col. 627. Désirer Dieu à cause de « son seul
lion plaisir et pour sa pure gloire » , c’est le motif même
de la charité. On ne peut donc comprendre que Dieu
ait inutilement donné à l’homme deux vertus infuses,
espérance et charité, pour faire l’ouvrage d’une seule,
acc le même motif. —
d) De même que Dieu demande
de tous les chrétiens, quel que soit leur développement
intellectuel et leur science, la même espèce de foi, la
foi simple des enfants, de même il fallait qu’il ordonnât
à tous, quel quc fût leur état de piété et de perfection,
la même espérance, l’espérance naïve des multitudes,
qui surnaturalisc la tendance à notre bonheur. Ainsi
le précepte est le même pour tous ; ainsi il n’y a pas « leux castes, les brahmes de l’intelligence ou de la
I)iétc, et les parias ; mais un peuple de frères, où tous
communient aux mêmes vertus surnaturelles, comme
aux mêmes sacrements. Kt quand on considère le
danger et les ravages de l’orgueil, on voit qu’il fallait
cette égalité devant la loi de foi, d’espérance et
d’amour, pour retenir les intellectuels et les mystiques
dans une salutaire humilité.
2°système. — L’espérance théologale reste simplement intéressée, mais comme elle est renfermée émincmment dans l’acte de charité, celui-ci peut satisfaire, chezies parfaits. non seulement au précepte de la charité, mais en même temps au précepte de l’espérance. — Ce système est seulement insinué en passant, flans le document déjà cité, par Fénelon qui sentait lui-même les inconvénients du premier : - Il n’est pas question de disputer des mots, et je laisse volontiers ri’xole décider sur les termes. Mais enfin, ce désir (désintéressé) est ou une espérance formelle on quelque chose de plus parfait qui la renferme éminemment, et qui satisfait encore plus parfaitement au précepte que l’espérance intéressée. » Lac. cit., p. 104. Ce « quelque chose de plus parfait » que l’espérance formelle ne peut être que l’acte de charité, et de fait, plusieurs théologiens semblent dire parfois, comme Fénelon, que cet acte « renferme éminemment » celui d’espérance, c’est-à-dire qu’il en a toute la perfection sous une forme supérieure. Pourquoi donc ne pourrait-il pas se substituer à l’acte qu’il renferme éminemment, et par cette substitution accomplir très suffisamment le précepte de l’espérance’.' La charité n’est-elle pas la reine des vertus ?
Inconvénients du 2° système. —
a) De ce que la charité
est plus parfaite, il ne s’ensuit pas qu’elle puisse remplacer
l’espérance, qui atteint la fin dernière à un
autre point de vue, en tant qu’elle est notre bonheur.
Notre orientation vers la fin dernière doit être complète,
et aux deux points de vue différents, suivant
cette formule de Trente : « Les justes…, avec ce motif
principal que Dieu soit glorifié regardent aussi
la récompense éternelle. » Sess. vi, c. 11, Denzinger,
n. 804 (687). D’ailleurs l’espérance, parce qu’intéressée,
nous est utile et nécessaire, et la charité toute seule
ne peut répondre à cette nécessité ; quelle que soit sa
perfection, elle ne renfoi-me donc pas en elle tout ce
qu’il y a de bon et d’utile dans l’espérance. Et cette
nécessité de l’amour intéressé s’étend même aux plus
parfaits. Ne nous exagérons pas la perfection de cette
vie : c’est une perfection enfantine, en comparaison
de la vie future, qui sera pour nous la perfection
virile et complète ; cette antithèse de’l’enfant et de
l’homme nous est donnée par saint Paul. I Cor., xiii,
11. Les plus grands saints, ici-bas, commettent des
fautes vénielles, c’est un dogme de notre foi ; à lire
leurs vies, ils ont parfois des « sécheresses » où le motif
de la gloire de Dieu parle faiblement à leur cœur, des
tentations violentes et prolongées, où il leur faut,
pour ne pas succomber aux choses de la terre, faire
appel au motif intéressé de l’autre vie : au milieu
du silence ou du murmure affaibli du pur amour, voila
une voix vibrante, un secours nouveau, approprié
à l’e.xtrême péril ; car il faut alors quelque chose qui
nous prenne par les entrailles, par cet amour de nous-mêmes,
si fortement enraciné en nous et que Dieu n’a
pas dédaigné d’élever à l’ordre surnaturel par la vertu
infuse d’espérance. Actes d’espérance, actes même
de crainte, le concile de Trente, avec saint Paul,
les demande aux âmes plus parfaites. Sess. vi, c. 13,
Denzinger, n. 806 (089). On voit pourquoi Dieu a rendu
général le précepte de l’espérance. —
b) La charité
est la reine des vertus, mais la gloire d’une reine n’est
pas de vivre solitaire, ni de régner dans le désert ; une
reine demande un cortège et Dieu a donné à la charité,
pour l’accompagner, les autres vertus théologales et
morales ; à la charité de les diriger vers sa fin suprême,
mais sans leur enlever toute individualité et toute
autonomie. Si la charité devait agir seule dans l’état
des plus parfaits, pourquoi ces autres vertus surnaturelles,
infuses au baptême, que Dieu a destinées surtout
à ces âmes plus saintes, et qu’il conserve et
augmente en elles’? Xobilissimus omnium virtutum
comitatus, quiv in animam cum yratia divinitus in~
funduntur. Catéchisme du concile de Trente, part. II,
c. II. —
c) Enfin, Fénelon ne pouvait s’arrêter à une
solution aussi radicale, puisqu’il avait signé le premier
article d’Issy : « Tout chrétien, en tout état, quoi<|uc non
en tout moment, est obligé de conserver l’exercice de
la foi, de l’espérance et de la charité, et d’en produire
des actes comme de trois vertus distinguées (distinctes).
Œuvres, t. ii, p. 226. Aussi dut-il chercher
quelque autre système ; les deux précédents, nous
en avons la preuve, ont passé dans son esprit, mais il
n’a pas osé les lancer dans le iniblic.
3° système. — La charité, chez les âmes plus parfaites