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ESPERANCE

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ou éprouvées, et les articles d’Issy, auxquels aboutit la première phase de la discussion, roulent presque uniquement là-dessus, voir ces articles, signés par les deux adversaires, dans les œuvres de Bossuet, t. XVIII, p. 362, ou de Fénelon, t. ii, p. 226. Mais bientôt, le nouvel archevêque de Cambrai s’eflorce de reléguer au second plan ces questions de voies extraordinaires el de direction ; il voudrait concentrer le débat sur la question dogmatique de la charité, dont Bossuet lui semble fausser la notion. Voir Éludes du 20 mai 1911, p. 484 sq. Au moment où son livre est déféré à Rome, il voudrait tout réduire à deux points, que nous appellerons ses deux thèses fondamentales : » Je ne veux que deux choses qui composent ma doctrine. La première, c’est que la charité est un amour de Dieu pour lui-même, indépendamment du motif de la béatitude qu’on trouve en lui. La seconde est que dans la vie des âmes les plus parfaites, c’est la charité qui prévient toutes les autres vertus, qui les anime et qui en commande les actes pour les rapporter à sa fm, en sor’e que le juste de cet état exerce alors d’ordinaire l’espérance et toutes les autres vertus avec tout le désintéressement de la charité même qui en commande l’exercice. » Lettres de M. l’archevêque de Cambrai à un de ses amis, lettre i’*', Œuvres, t. ii, p. 283.

Pour aider à l’interprétation exacte, soit de la pensée de Fénelon sur l’espérance, soit de celle de l’Église qui l’a condamné, nous examinerons les points suivants.

a) Qu’entendait Fénelon par le « pur amour » ?

Cette expression, que nous trouvons ci-dessus dans la 23" proposition, est expliquée dans la l" : « Une charité pure et sans aucun mélange de l’intérêt propre. 1’Mais le « pur amour » peut se considérer, soit comme un acte passager, soit comme un état habituel. Comme acte, c’est un amour de Dieu où l’on oublie momentanément son propre intérêt ; et nous avons montré par divers textes, de Pères et de scolastiques, qu’un tel amour est très admissible. C’est en ce premier sens que Fénelon appelle sa doctrine sur l’acte de charité comme « amour pur et sans intérêt propre… un sentiment qui est devenu le plus commun dans toutes les écoles, » t. i, p. 29. Comme état, le « pur amour » , c’est le règne de la charité dans les âmes plus parfaites, entendu sans mélange d’actes intéressés, du moins délibérés. C’est le sens qu’a le « pur amour » dans la 23<= proposition ; c’est la seconde thèse fondamentale de Fénelon.

b) En quel sens l’Église a-t-elle condamné le « pur amour y et les propositions que nous avons citées ?

Elle n’a pas condamné le pur amour comme acte, mais seulement comme état ; des deux thèses fondamentales de Fénelon, les condamnations ne se réfèrent pas à la première, mais à la seconde. Peu après la décision de Rome, de graves théologiens le notaient déjà. Massouhé, O. P., un des quahficateurs du Saint-OfTice qui avaient le plus sévèrement jugé le livre de Fénelon, admet d’ailleurs le pur amour comme acte : « Les actes, dit-il, ont bien moins d’étendue que les habitudes, et ils peuvent se porter à un objet particulier (auquel on ne pourrait se porter habituellement). Ainsi il arrive quelquefois qu’une âme, ou dans son oraison ou dans un transport d’amour, ne regardant et n’aimant que la bonté de Dieu en elle-même, ne songe en ce moment ni à son intérêt, ni à sa béatitude, ni à la possession du souverain bien comme possession propre et qui doit la rendre heureuse. » Traité de l’amour de Dieu, 1703, part. 11% c. xiii, Bruxelles, 1866, p. 296. Antoine Mayr, S. J. : « Quelqu’un a semblé dire que la première proposition (de Fénelon) aurait été condamnée parce qu’elle établissait un amour de pure charité sans aucun mélange du motif de l’intérêt propre, sans aucun retour sur l’intérêt de celui qui aime. Non ; jamais n’a été réprouvé l’acte de très pur amour envers Dieu, si familier aux âmes saintes ; ce qui a été condamné, c’est seulement qu’il y ait un étal habituel et permanent, dans lequel l’âme pieuse élimine tous les actes qui visent son bien propre et, par suite, tous les actes d’espérance. ( ; ela ressort de la teneur même de la proposition et du témoignage des consulteurs de la cause. « Theol. sclwl., t. i. De rarilate, a. 2, Ingolstadt, 1732, p. 210. Cf. Virgile Scdlmayr, O..S. B., Rejlexio critica (sur le livre d’Amort), Salzbourg, 1749, p. 1-8. Mais plus important encore est le témoignage de Benoit XIV. Il s’agissait d’une cause de béatification et de l’examen des écrits d’un saint personnage ; on y avait trouvé, dans toute leur force, les formules du pur amour. Benoit XIV, alors cardinal et consulté sur l’affaire, nous résume ainsi la décision finale de la S. C. : « Attendu que le point litigieux entre l’archevêque de Cambrai et l’évêque de Meaux, qui a’été décidé ici par le pape Innocent XII, ne concerne pas l’acte d’amour, mais l’état habituel d’amour, comme il résulte clairement des termes mêmes de la proposition. .. ; attendu que dans l’ouvrage que nous examinons, au contraire, il n’est pas question d’état habituel, mais seulement d’acte d’amour ; il a plu à la S. Congrégation de répondre que la doctrine du serviteur de Dieu n’a rien de commun avec la doctrine condamnée de l’archevêque de Cambrai ; d’autant plus que le serviteur de Dieu, si l’on se réfère à tout le contexte de ses écrits, exprime souvent son espérance et son grand désir de jouir de Dieu. » Benoît XIV, De beatif.et canonizalione, 1. ii, c. xxxi, n. 10, Opéra, Prato, 1839, t. ii, p. 291.

c) En quoi la condamnation des propositions ci-dessus nous instruit-elle sur l’espérance théologale ?

Des termes mêmes et des explications que nous venons de citer, il résulte que l’Église réprouve un état de perfection d’où serait volontairement et définitivement exclu tout acte d’espérance, comme la condamnation de Molinos l’avait déjà montré ; sous aucun prétexte les âmes devenues plus parfaites ne peuvent ensuite se dispenser du précepte de l’espérance donné à tous les chrétiens. — 2° « Espérance » et « motif intéressé » vont ensemble (prop. 2<=, 6 « ). Et quand Fénelon, en cela différent de Molinos, veut garder l’exercice même fréquent de l’espérance théologale et le concilier avec son état de pur amour, en disant que i( l’espérance parfaite est le désir désintéressé des promesses, » l’Église n’accepte pas une pareille notion de l’espérance (prop. 11") ; son jugement ruine pour jamais la conception d’une espérance désintéressée comme la charité elle-même, et éclaire la distinction des deux vertus.

d) Quelle idée se faisait Fénelon de la vertu d’espérance ?

Il a été amené à en changer plusieurs fois, parce que, voulant chez les parfaits deux choses inconciliables, l’état de pur amour et le plein exercice de l’espérance théologale, il a successivement essayé quatre systèmes de conciliation, dont la réfutation jette un grand jour sur la nature et la nécessité de l’espérance, c’est pourquoi nous la donnons ici, d’autant plus qu’on ne la trouverait pas ailleurs.

1er système de conciliation entre l’espérance et le désintéressement des parfaits : deux espérances surnaturelles, l’une intéressée, l’autre désintéressée. Cette première idée de Fénelon est consignée dans un opuscule de lui, conservé à Saint-Sulpice et jusqu’à présent inédit. C’est une Explication des articles d’Issij, qui est comme une première esquisse du livre des Maximes des saints. A propos du l" article d’Issy, il dit : « J’avoue qu’on a de la peine à accorder J’espèrance avec le pur amour, si on n’a point d’autres idées de l’espérance que celle qui nous est donnée par