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ESPERANCE

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ment rigoureuse. « Il n’obéirait pas. " Qu’eu savez-vous ? Il lui arriverait peut-être d’obéir pour un autre motif, aidé de la grâce ; il lui arriverait peut-être aussi de ne pas obéir, mais, même en ce cas, vous ne pouvez pas lui imputer ce qu’il ferait dans d’autres circonstances qui ne se réaliseront jamais. Les mérites et les démérites conditionnels qui seraient et qui ne sont pas, n’ont aucune valeur réelle, et ne peuvent changer en rien la moralité de quelqu’un ; déjà saint Augustin le remarque contre les semi pélagiens. Si l’on disait : « Dans l’hypothèse impossible où Dieu ne récompenserait pas le bien, je voudrais faire le mal, > ce souhait positif du mal, cette disposition d’âme serait immoral.’; mais vous avez tort de la supposere : i celui qui agit en vue de la récompense, et dont la pensée ne va pas plus loin.. Quand par hasord cette (luestion se poserait devant lui : « Que voudrais-tu faire dans cette hypothèse impossible ? » il n’est nullement obligé d’y répondre ; il alj droit de négliger un cas chimérique et de passer simplement à une autre occupation d’esprit. Theologia Wirceburgensis, Paris, 1852, t. IV, n. 260, p. 221.

L’amour de soi, auquel le jansénisme faisait une guerre exagérée, peut donner lieu à l’égoïsme et à bien des abus : mais en soi, il est nécessaire et légitime. Si le renoncement et le désintéressement nous sont nécessaires, ce n’est pas que le moi soit essentiellement mauvais et haïssable, c’est pour combattre ces abus, pour enlever les obstacles, pour obtenir une plus intime union avec Dieu. Voir col. 624. — Sur la répro bation de tout amour-propre dans les écrits ascétiques et mystiques, voir Charité, t. ii, col. 2224.

Enfin, l’objection la plus subtile est celle de Durand, reprise par Jansénius : aimer Dieu d’un amour intéressé pour nous-mêmes, est indigne de lui ; c’est le transformer en pur moyen et faire de nous-mêmes notre lin dernière. La réponse à cette objection avait été déjà donnée par Cajetan. L’espérance, par le fait qu’elle désire Dieu, non comme un bien quelconque, mais comme l’unique béatitude et le dernier terme de nos aspirations, le désire comme fin et non comme moyen. Je ne me constitue pas moi-même comme la fin de Dieu : je veux pour moi une fin vers laquelle il m’a lui-même orienté, et qui n’est autre que lui-même. Possum concupiscere mihi finem ullimum ubsquc derogalionc illius finis : quæ inlcrvenirel, si ipse finis ordinaretur in me… ut in finem. Aliud est ergo concupiscere hoc mihi : et aliud concupiscere hoc propler me. Loc. cit., p. 129. Saint François de Sales développe admirablement cette réponse, citons-en quelques lignes : « C’est chose bien diverse de dire : j’aime Dieu pour moi, et dire : j’aime Dieu pour l’amour de moi. Car quand je dis : j’aime Dieu pour moi, c’est comme si je disais : j’aime avoir Dieu, j’aime que Dieu soit à moi, qu’il soit mon souverain bien, qui est une sainte affection de l’Épouse céleste… Mais dire : j’aime Dieu pour l’amour de moi-même, c’est comme qui dirait : l’amour que je me porte est la fin pour laquelle j’aime Dieu, en sorte que l’amour de Dieu soit dépendant, subalterne et inférieur à l’amour-propre que nous avons envers nous-mêmes, qui est une impiété non pareille. » Et plus bas : « Nous nous aimons ensemblement avec Dieu par cet amour (d’espérance), mais non pas nous préférant ou égalant à lui en cet amour… Quand nous aimons Dieu comme notre souverain bien, nous l’aimons pour une qualité par laquelle nous ne le rapportons pas à nous, mais nous à lui…, il ne dépend pas de nous, mais nous de lui… Il exerce envers nous son aflluence de bonté, et nous pratiquons notre indigence et disette ; de sorte que, aimer Dieu en titre de souverain bien, c’est l’aimer en titre honorable et respectueux, par lequel nous l’avouons être notre perfection, notre repos et notre (in, en la jouissance de laquelle consiste notre bonheur. » Traité de l’amour de Dieu, I. II, c. xvii. Œuvres, Annecy, 1894, t. iv, p. 143. Et tandis que nous ne mettons pas en nous, mais en lui, la qualité de souverain bien ; tandis que nous avouons notre indigence, i_’vide de notre cœur et sa perfection infinie qui vient le combler, d’autre part nous ne l’exploitons pas, comme l’homme exploite l’homme, car il ne perd rien, il ne peut rien perdre en se communiquant à nous, au contraire cette communication lui est glorieuse. La gloire de Dieu résulte donc de l’amour intéressé lui-même, quoiqu’elle n’entre pas comme motif dans cet amour.

Une solution encore plus profonde de cette difficulté, et qui marque la dernière étape dans l’apologie de l’espérance, c’est celle que, peu après saint François de Sales, donnait un disciple de Lessius. Coninck, S. J. Vous objectez que, dans l’amour intéressé, je me prends moi même comme fin dernière. Mais non… Qu’est-ce que la fin dernière, au sens propre du mot ? C’est un bien dont on conçoit les qualités suréminentes, auquel on attribue la suprême excellence, pour s’y complaire comme dans le souverain bien ; vers lequel, en conséquence, on dirige tous les autres biens, comme choses inférieures et subordonnées. Pour que l’objection eût quelque valeur, il faudrait donc que le point de départ de mon amour intéressé fût la considération de la suprême excellence de ma personne, de mes qualités suréminentes, pour arriver à me complaire en moi comme en une sorte de divinité, et partant à m’apprécier plus que tout, plus que Dieu lui-même. Mais cette monstruosité n’a pas lieu dans l’espérance chrétienne ; et pour couper l’objection dans sa racine, il suffit de montrer que nous pouvons nous aimer, que nous avons coutume de nous aimer sans aucune considération de notre excellence et de nos qualités personnelles, et donc, a fortiori, sans les concevoir comme suréminentes ; et voici la preuve : » Nous aimons les autres, dit Coninck, et nous nous aimons nous-mêmes, mais d’une manière bien différente. Jamais nous n’aimons réellement les autres, sans avoir saisi en eux quelque qualité aimable, vraie ou apparente, qui nous les fait juger dignes d’être aimés. » Entre tant de milliers d’hommes, qui, vus dans l’abstrait, ont tous avec nous un même rapport, il faut bien une raison suffisante de l’amitié, scit pure, soit intéressée, que nous contractons avec quelques-uns : cette raison, ce sont certaines qualités perçues qui, dans cette immense indétermination, fixent notre choix. Et suivant que nous les jugeons, par leurs qualités, plus ou moins dignes d’amour, nous les aimons plus ou moins, l’expérience en fait foi. Mais quand il s’agit de nous-mêmes, nous sommes naturellement enclins à nous aimer ; aussi n’est-il pas besoin de constater en nous une qualité qui nous rende aimables à nous-mêmes : en dehors de toute semblable constatation, une impétuosité naturelle nous porte à nous aimer et à nous vouloir toute espèce de biens, par cela seul que c’est notre bien. » De moralitate, natura, etc., actnum supernaturalium, dist. XIX, n. 6 sq., Anvers, 1623, p. 365. Est-ce à dire que cette u impétuosité " est absolument aveugle, qu’aucune bonté perçue en nous, aucune ratio boni, ne meut alors notre volonté ? Ce serait contre la nature de cette faculté, qui n’est mue que par un bien. Coninck veut dire seulement que pour s’aimer on n’a pas besoin de saisir en soi des qualités particulières, une excellence spéciale : il suffit de concevoir vaguement cette bonté générale, par laquelle tout être est bon à lui-même, de même que tout être est lui-même et non pas un autre ; par là tombe l’objection de Théophile Raynaud contre cette théorie. Opéra Lyon, 1652, t. iii, p. 425. Et cette bonté générale se trouvera dans les êtres les plus dis-