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ESPERANCE

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sonne aimée, bonilas c/iis (url vent, vcl (rslimata) provocal nmorcm, quo ci l’olunnis et bomim conscriwri quod habcl, et midi qiiod non habcl, et ad hoc opcromur. Surn. lltcol., I » , q. xx, a. 2. C’est l’amour désintéressé, où la personne à qui on veut le bien est différente tle la personne qui aime. Les scolastiques le nomment « amour de bienveillance » , ou plutôt « amour d’amitié » . Cette dernière appellation part de ce principe, que toute amitié digne de ce nom postule le désintéressement au moins dans une certaine mesure, comme le dit le bon sens, et saint Thomas avec lui : « Mcme dans l’amitié humaine, le véritable ami cherche plus le bien de son ami que le plaisir de sa présence. » In IV Sent., I. III, dist. XXXV, q. i, a. 4, sol. 2-’. « L’amitié ne ramène pas à soi le bien qu’elle désire à autrui ; car nous aimons nos amis, quand même nous ne devrions rien en retirer. » /6îV/., dist. XXIX, q. I, a. 3, ad 2°’". « L’amitié dite d’intérêt et celle dite de plaisir, par le seul fait que, tout en voulant du bien à l’ami, elles rapportent ultérieurement ce bien au plaisirou au profit de celui qui aime, tournent à l’amour de convoitise, et pourautant s’écartent de la véritable amitié. » Snm. tlwol., I" II*, q. xxvi, a. 4, ad 3°"". Ces textes condamnent d’avance la triste théorie de La Rochefoucauld : n Ce que les hommes ont nommé amitié n’est qu’une société, qu’un ménagement réciproque d’intérêts et qu’un échange de bons officcs ; ce n’est enfin qu’un commerce où l’amour-propre se propose toujours quelque chose à gagner. » A/ax/mes, LXXX II I.

L’espérance et charité ; leur différence. —

C’est en comparant l’espérance avec les deux autres vertus théologales, que l’on arrive surtout à en préciser la notion. En la comparant avec la foi, nous avons constaté que l’espérance est un acte affectif et volontaire, et qu’elle présuppose un acte intellectuel de foi, ce qui explique pourquoi l’Écriture la nomme après la foi, et la fonde sur la foi. Voir plus haut, col. 615. Mais si l’espérance est un acte affectif et volontaire, si elle implique un amour de Dieu, ne risque-t-elle pas de se confondre avec la charité ? Et cependant, elles doivent rester réellement distinctes, d’après les documents positifs. Voir plus haut, col. 608. Établir rationnellement leur distinction, voilà le problème qui s’impose au théologien.

Saint Thomas l’a résolu par la distinction célèbre de l’amour intéressé et de l’amour désintéressé, ou, en termes scolastiques, de l’amour de concupiscence et de l’amour d’amitié, telle que nous venons de l’expliquer avec lui. A l’un appartient l’espérance, à l’autre la charité. « Il y a, dit-il, un amour parfait et un amour imparfait. Le parfait consiste à aimer quelqu’un pour lui-même, c’est-à-dire à vouloir du bien à quelqu’un pour lui-même, comme un ami aime son ami. L’imparfait consiste à aimer un objet, non pour lui, mais pour que ce bien nous revienne à nous-mêmes, comme on aime une chose que l’on convoite (concupiscit). Or, le premier amour appartient à la charité, qui s’attache à Dieu pour lui-même ; mais l’espérance appartient au second amour : car quiconque espère, a l’intention d’obtenir quelque chose pour soi. » Sum.. Iheol., Il » II"^, q. xvii, a. 8.

Cette différence rationnelle ainsi posée entre les deux vertus rend compte de toutes les données de la révélation, c’est-à-dire de la supériorité de la charité sur l’espérance, major autem horum est caritas, de leur distinction réelle, tria hœc, de l’ordre dans lequel -elles sont énumérées, spes, carilas. I Cor., xiii, 13.

1. La supériorité de la charité sur l’espérance trouve son explication facile dans la supériorité de l’amour désintéressé sur l’amour intéressé, reconnue de tout le monde, et dont saint Thomas donne cette raison profonde. Il est de la nature de l’amour en général, dit-il, de nous faire sortir de nous-mêmes, soit par la pensée, car « l’amour nous fait songer à l’objet aimé, avec une intensité qui nous détourne d’autres pensées, » soit par l’affection et la volonté, car la volonté fait en quelque manière sortir de soi pour aller chercher au dehors, et se porter vers un autre. » Or, c’est dans le seul amour désintéressé que s’accomplit franchement et pleinement cette « sortie de soi » , au jugement du saint docteur : « Dans l’amour de convoitise, celui qui aime est d’une certaine façon transporté hors de soi, en ce sens que, non content de jouir du bien qu’il a en lui, il cherche au dehors. Mais, comme c’est pour lui-même qu’il cherche ce bien extérieur à lui, il ne sort pas franchement de lui-même : une telle affection, en définitive, se replie sur lui, et s’y renferme. Au contraire, dans l’amour d’amitié, on sort vraiment de soi par l’affection ; car c’est à l’ami qu’on veut du bien, c’est à lui qu’on s’efforce de procurer ce bien, c’est pour lui qu’on en a soin et souci. » Sum.. iheol., la Ilæ, q. XX VIII, a. 3.

Objection. — Cette « sortie de soi » ne donnerait de la valeur à l’acte qu’autant que le moi serait essentiellement mauvais : ce qui n’est pas. —
Réponse. — Le moi n’est pas essentiellement mauvais, mais il est encombrant. L’amour de soi, dans l’homme, dégénère trop facilement en égoïsme destructif de tout autre amour. Contre ce danger il fallait le spécial entraînement du cœur qu’est l’amour désintéressé ; il fallait, sinon la haine de soi, du moins l’oubli momentané. On ne sort donc de soi-même que pour mieux s’unir avec d’autres, avec Dieu. Aussi, saint Thomas joint-il ces deux qualités de l’amour : il est « extatique » , c’est-à-dire qu’il fait sortir de soi, et il est « unitif » ; extatique pour être unitif, pour faire mieux « adhérer » . Ibid., a. 1-3. La valeur morale de l’amour désintéressé ne vient donc pas simplement de l’oubli de soi, qui n’est qu’un moyen de plus grande union avec une autre personne, mais aussi et surtout de la valeur morale de cette union, qui vaut ce que vaut la personne à qui l’on s’unit. Subordonner toute sa vie à qui ne justifierait pas un pareil amour, et cela au prix de tous les sacrifices, serait une fausse chevalerie. Mais quand il s’agit de s’oublier et de se sacrifier pour mieux s’unir à Dieu, comme dans la charité théologale, alors l’amour désintéressé apparaît dans toute son excellence. — Il n’y a donc aucune connexion nécessaire entre la doctrine du désintéressement et une fausse théorie sur la dégradation de la nature humaine. Cf. É/ddes du 20 avril 1911, p. 193 sq. Voir Charité, t. iii, col. 2227.

2. La distinction réelle de la charité et de l’espérance trouve en même temps son explication facile dans ces deux espèces d’amour de Dieu, qui par leur profonde différence justifient l’infusion de deux vertus surnaturelles, distinctes et inégales comme ces deux amours. L’une aime Dieu en tant que bon et profitable pour nous (bonté relative) ; l’autre aime Dieu en tant que bon en lui-même et à lui-même (bonté que, par opposition à l’autre, on est convenu d’appeler absolue). Et qu’on n’objecte pas que, tout en Dieu étant infiniment parfait, ces deux bontés sont également parfaites, et par suite, les actes qu’elles spécifient, également parfaits. C’est vrai que l’objet divin est toujours aussi parfait ; mais, en morale, la spécification ne vient pas seulement de l’objet ; elle peut venir aussi de certaines circonstances : telle, dans l’amour, cette circonstance qu’on veut le bien à un autre, ou à soi-même (ce que l’on peut aussi considérer comme une sorte de fin, finis cui). Cette circonstance, comme nous l’avons expliqué, introduit une différence notable dans l’union du cœur avec Dieu, et sur cette différence est basée la diversité spécifique de l’amour désintéressé de charité et de l’amour intéressé d’espérance. Qu’au point