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ESPERANCE

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Le psalmiste nous signale ce fermé courage, aulic éléinent de l’espérance : « Ayez courage, et que votre cœur s’affermisse, vous tous qui espérez en Jéhovah. » Ps. XXX, 25. Le nom d’erectio animi, que les théologiens donnent à ce courage, se rattache à notre Vulgate ; Judith dit aux anciens du peuple : « Relevez leurs cœurs par vos paroles, n corda erigile, viii, 21. Ailleurs, le même sentiment est exprimé par son effet organique, par une tension des nerfs et des muscles que la crainte et le découragement ont amollis : Remissas maints, et soluta geniia erigitc, Heb., xii, 12 ; c’est une citation d’Isaïe, xxxv, 3 : n Fortifiez les mains défaillantes, et affermissez les genoux qui chancellent I Dites à ceux qui ont le cœur troublé : Prenez courage, ne craignez point I »

La confiance, ce dernier élément, est souvent demandée par Jésus. Matth., ix, 2 ; Marc, vi, 50, etc. Elle est rattachée à l’espérance par saint Paul. II Cor., i, 9, 10 ; cf. Heb., iii, 6. Dans la Vulgate, sperare et confiderc sont souvent pris l’un pour l’autre, ce qui suppose une identité au moins partielle. Ainsi cet axiome, que l’espérance en Dieu ne fait jamais rougir celui qui a espéré, spes non confundit, Rom., v, 2 ; cf. Ps. xxi, 0 ; XXX, 2 ; Eccli., ii, 11, etc., est également rendu en remplaçant sperare par confidere : Non est confusio confidentibiis in te. Dan., iii, 40 ; cf. Ps. xxiv, 2. Nous donnerons plus loin une analyse approfondie de cette confiance, comme aussi de l’amour qui est à la base de l’espérance.


III. L’espérance comme principe d’action ; espérance et patience

Nous plaçons ici cette considération comme facile, avant d’entrer dans de plus subtiles questions. Si la patience aida à la continuation et à la durée de l’espérance, per patientiarn cxpectamus, Rom., viii, 25, en retour, l’espérance aide à patienter, à résister, à lutter ; c’est une influence réciproque.

Courageuse en son désir, sereine en son courage, l’espérance est un principe d’action. Elle soutient l’âme dans les tristesses et les combats de la vie, lui fait prendre patience dans la fatigue et l’insuccès. Même quand elle n’est fondée que sur une illusion, on observe son heureuse influence : ce qui a souvent porté les humains à réhabiliter les illusions, faute de mieux. « L’illusion féconde, » dit A. Chénier dans la Jeune captive… Et tandis que les Danaïdes se lassent dans leur tâche folle, la jeune Espérance, au dire de Sully-Prudhomme, « chante et leur rend la force et la persévérance, » disant toujours : « Mes sœurs, si nous recommencions ? »

Que sera-ce, quand l’espérance sera basée non sur une illusion fragile, mais sur une raisonnable et invincible foi ? quand cette foi lui montrera au loin un bien infini, le vrai bonheur auquel l’âme aspire, et, dès maintenant, le secours divin pour y arriver, ce secours si puissant, si bon, auquel s’appuie notre faiblesse ? Aussi, l’apôtre regarde-t-il « l’espérance du salut > comme une pièce essentielle de l’armure du chrétien pour les grandes luttes, avec la foi et la charité. I Thess., V, 8. Énumérant ailleurs ces trois vertus, il désigne l’espérance par ces mots sustincntia spei, pour montrer que l’espérance chrétienne nous fait tout supporter avec patience. Ibid., i, 3.

Mais c’est surtout l’Épître aux Hébreux, soutenant les premiers chrétiens contre un retour de persécution, qui signale l’espérance comme un puissant ressort de patienceetd’action. « Rappelez-vous ces premiers jours, où, nouveaux baptisés, vous avez soutenu un grand combat de soufl’rances… Vous aviez un soin compatissant des prisonniers, vous acceptiez avec joie le pillage de vos biens, sachant qu’il vous restait une richesse meilleure et qui durera toujours. Ne laissez donc pas tomber votre confiance ; une grande récompense y est attacliée. » Heb., x, 32-36. Cet appel à l’espérance se complète alors par l’éloge de la foi, qui l’excite en lui montrant le ciel. Entre autres exemples de foi et d’espérance réunies, nous voyons Abraham, s’exilant de son pays, aller sur la promesse de Dieu dans une terre inconnue, vivre sous la tente, incommode et frêle demeure. « C’est qu’il attendait la ville solidement bâtie dont Dieu est l’architecte et le constructeur. » Ibid., XI, 10. Comme lui vécurent ses descendants. « C’est dans la foi que ces patriarches sont morts, sans avoir reçu l’effet des promesses ; mais ils l’ont vu et salue de loin, confessant qu’ilsétaientétrangers et voyageurs sur la terre… Ils auraient pu retourner dans leur pays ; mais ils aspiraient à une patrie meilleure, à la patrie du ciel, » xi, 8-16, cꝟ. 20, 35.

Le stoïcisme, lui aussi, a fait de la patience, ainsi que du détachement, sa leçon favorite : susline et abstine. Mais de parti pris, il n’a pas voulu l’appuyer sur l’espérance ; et c’est un des points où l’on voit combien il diffère du christianisme, malgré une apparente ressemblance. C’est que cet ascétisme étroit et glacé comprimait également tous les mouvements de l’âme, au lieu d’utiliser, comme le christianisme, ses nobles élans. Se rendre insensible à la douleur, même à celle d’autrui ; tuer en soi toute passion, toute espérance, toute aspiration ardente, c’était l’infaillible moyen de ne sentir aucune poignante douleur, aucun aiguillon de désir inassouvi, et d’arriver ainsi à un bonheur négatif, à une sorte de nirvana égoïste, but suprême de la vie ; c’était ce que l’on appelait chercher le bonheur dans la vertu. Sénèque commente et admire ce paradoxe d’un stoïcien grec sur le remède de la crainte : « Tu cesseras de craindre, quand tu auras cessé d’espérer. » Sénèque observe que » ces affections, quoique si dissemblables, marchent de compagnie : après l’espérance, la crainte. Quoi d’étonnant ? Toutes deux supposentl’âmecommeen suspens, toutes deux ont la sollicitude de l’avenir. Mais, ce qui surtout les fait naître, c’est que, sans nous borner au présent, nous portons au loin nos pensées. Ainsi,

la prévoyance, l’un des plus grands biens de l’homme,

s’est tournée en mal. L’animal fuit le danger qu’il voit ; le danger passé, il est tranquille : nous, l’avenir nous torture en même temps que le passé…. Les misères du présent ne nous suflisent pas. » Epist., v. Conclusion pratique : si nous voulons être heureux, comme la bête, ne pensons jamais à l’avenir. Vraiment on a eu tort d’imaginer Sénèque à l’école de saint Paul.


IV. Aspect intellectuel de l’espérance.

1° Préambule intellectuel de l’espérance ; ses rapports avec la foi. —

Pour que les quatre conditions de l’objet, énumérées par saint Thomas, voir plus haut, col. 609, puissent influer sur l’acte affectif et volontaire de désir et d’espérance, il faut qu’elles soient perçues : nil volitum quin prwcognitnm. Donc, nécessité d’un préambule intellectuel, d’un jugement complexe que l’on pourrait appeler « de spérabilité » , par analogie avec le » jugement de crédibilité » dans la foi. Voir Crédibilité.

Les trois premières conditions sont généralement faciles à constater. Prenons pour exemple le succès final d’une entreprise qui nous attire. Que ce succès soit un bien, nous n’en doutons pas ; qu’il ne soit pas présent encore, qu’il soit sujet à des difficultés, tout cela n’est que trop évident. Mais ce succès est-il possible, probable ? C’est ici le point qui décidera de l’espérance, et où sont nécessaires les réflexions et les calculs. « Quel roi, au moment d’en venir aux armes avec un autre roi, ne commence pas à calculer à son aise .< ! ’// peut, avec dix mille hommes, faire face à un ennemi qui vient l’attaquer avec vingt mille ? » Luc, XIV, 31.

Aussi, l’espérance, pour être possible demande