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ESPAGNE (ÉGLISE D’), LES SCIENCES SACRÉES


les dominicains, et les tliomistes non authentiques qui se recrutèrent en dehors de leurs rangs, principalement chez les jésuites. Les Pères de la Compagnie avaient adopté saint Thomas pour la théologie. Mais les esprits d’élite qui entrèrent dans l’ordre nouvellement établi ne voulurent pas se laisser emprisonner dans un système. Ils consentirent bien à interpréter saint Thomas, à intituler leurs ouvrages : commentaires de saint Thomas ; mais ils entendirent, qui plus qui moins, le commenter avec indépendance. Suivant une méthode plutôt éclectique, ils se permirent de corriger, de modifier et de transformer les doctrines du maître. Les tliomistes authentiques protestèrent contre cette interprétation, ce fut en vain. Ceux de Salamanque voulurent, en 1627, proscrire les doctrines opposées à celle de saint Thomas. Mais ces mesures d’ostracisme ne firent que donner plus de vogue aux doctrines combattues, et, durant le xvii’= et le xyiiiie siècles, les enseignements de Suarez, qui étaient spécialement visés, trouvèrent dans les universités de la Péninsule des partisans qui les exposèrent et les défendirent non sans éclat.

Quand nous disons que les théologiens espagnols reproduisent les doctrines des xiii^ et xive siècles, nous ne prétendons pas leur enlever tout mérite personnel. Il est juste de reconnaître que les premiers maîtres de l’âge d’or réformèrent la scolastique et la ramenèrent à la puissante méthode des docteurs d’autrefois. Ximénès avait attiré l’attention des théologiens sur la valeur de la preuve scripturaire. Alphonse de Castro avait réfuté les hérétiques à la manière des maîtres ; bien plus, dans son premier livre, il avait fixé les lieux théologiques propres à la polémique en général. Lin troisième franciscain, le P. Louis Carvajol, avait composé un traité, imprimé à Cologne, en 1545, pour réformer la théologie. Les dominicains François Vittoria et Dominique Soto, les franciscains André Véga et Michel de Médine avaient écrit des ouvrages tout à fait classiques, et en tout conformes aux vrais principes d’une saine et substantielle théologie. Mais ce sera la gloire du dominicain Melchior Cano d’avoir réuni dans son immortel ouvrage : De locis theologicis, l’ensemble des lois et des principes capables de maintenir la théologie dans sa véritable voie. Dans cet ouvrage, il a tracé des règles propres à guider le théologien, à lui permettre d’apprécier à leur juste valeur les preuves théologiques ; bref, cet ouvrage est devenu un chapitre capital de la théologie, et il a exercé une immense influence sur tous les théologiens postérieurs. Voir t. ii, col. 1537-1540.

Les théologiens espagnols n’ont pas seulement réformé la théologie en la ramenant à ses vraies sources, ils ont encore travaillé à élucider toutes les questions nouvelles soulevées par la prétendue Réforme. Au concile de Trente, ce furent deux Espagnols : le dominicain Soto et le franciscain Véga, qui jouèrent le rôle principal dans les questions si difficiles de la justification. L’ouvrage de ce dernier sur la justification mérita d’être imprimé à Venise en 1546 et 1548, à Alcala en 1564, à Cologne en 1572, à Aschalïenbourg en 1621, à Cologne en 1685 ; et le P. Canisius, ne trouvant rien de mieux à opposer aux protestants, en fit faire une édition en 1572. Les questions de la grâce et du libre arbitre furent poussées avec une grande vigueur devant la congrégation De auxiliis, et, quoiqu’on n’ait pas résolu le problème, il faut avouer que la discussion a projeté sur lui beaucoup de lumière. Le prédéterminisme, le molinisme, le congruisme n’ont pas été érigés en systèmes sans un grand effort intellectuel et sans une puissance peu commune.

La polémique naît du heurt des doctrines entre

catholiques et non-catholiques. Elle n’est possible et ne peut se développer que si les deux adversaires jouissent d’une certaine liberté de fait, qui leur permet d’exposer les raisons ou semblants de raisons en faveur de leurs théories respectives. En Espagne, l’Inquisition supprimait la controverse. On ne demandait pas aux hérétiques de prouver ce qu’ils avançaient, on leur enlevait le droit d’être : on les supprimait. C’était le droit de la vérité de garder ses positions et de ne pas permettre à l’erreur de la supplanter. Cependant, comme la couronne d’Espagne s’étendait sur les provinces du Nord infestées par les hérésies de Luther et de Calvin, les théologiens espagnols portèrent leur attention sur les erreurs nouvelles, et ils fournirent des armes pour les combattre très utilement, dans les traités qu’ils leur opposèrent.

Celui de tous les Espagnols qui mérite d’être placé au premier rang à ce point de vue est le savant franciscain Alphonse de Castro. Son ouvrage contre les hérétiques est absolument classique et le meilleur dans ce genre. Il a mérité d’être édité successivement à Paris en 1534, 1565, 1571 et 1578, à Lyon en 1541 et 1546, à Venise en 1546, à Anvers en 1568, à Madrid en 1773. Son autre ouvrage intitulé : De jusla hserelicorum punilioneæu huit éditions, à Salamanque en 1547 et 1557, à Lyon en 1556, à Paris en 1565, 1571 et 1578, à Anvers en 1568, à Madrid en 1773. Son traité : De potestate legis pœnalis, divisé en deux livres, a obtenu sept éditions : à Salamanque en 1550 et 1551, à Lyon en 1556, à Paris en 1565, 1571 et 1578, à Madrid en 1773. Voir 1. 1, col. 905-906.

Castro avait combattu tous les hérétiques anciens ou modernes. Plusieurs s’attaquèrent à toutes les hérésies protestantes, d’autres se contentèrent de simples questions particulières. Le franciscain François Orantes, disciple de Castro, composa un ouTage intitulé : De locis theologicis contra Calvimim. Un autre franciscain, Michel de Médine, qu’un évêque de Trente appelait l’Hercule de la théologie, écrivit un traité fort savant : De recta in Dcnm fide et un traité extrêmement érudit sur le célibat. Antoine de Cordoue, également franciscain et disciple de Castro et de Médina, composa plusieurs traités contre les protestants, qui furent édités plusieurs fois à Tolède, à Venise, à Rome et à Ingoistadt ; l’ensemble est intitulé : Qiiœslionarium Iheologiciim. Le jésuite Valentia se rendit fort célèbre comme controversiste. II alla enseigner à Ingolstadt et eut de brillants disciples ; les grands controversistes allemands furent formés à son école. Un autre jésuite, le P. François de la Torre, mérite, lui aussi, une place d’honneur parmi les adversaires de la Réforme. Nous deTions encore signaler le bénédictin Antoine Pérez, le cistercien Pierre de Lorca, le dominicain Pierre Soto et bien d’autres ; mais nous devons nous borner. Ces quelques détails suffisent pour montrer que la polémique ne fut pas négligée dans la catholique Espagne.

V. Théologie morale et casuistique.

Les scolastiques du moyen âge ne séparaient pas la morale du dogme ; les deux parties de la théologie étaient exposées dans les quatre livres des Sentences qui servirent de texte durant trois siècles. Dogme, morale » casuistique étaient compris dans cet ouTage unique. Au xiv siècle, on commença déjà à écrire des Sommes de morale et des Sommes de cas de conscience. Les plus célèbres sont celles des franciscains Astesan, Ange Clavasio et du dominicain saint Antonin. Voir leurs articles. Cependant on n’avait pas encore une théorie organique de la morale.

Ce fut un Espagnol, Barthélémy de Médine, de l’ordre de saint Dominique, qui, le premier, traita systématiquement du probabilisme dans son com-