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ESPAGNE (ÉGLISE D’), ÉTAT RELIGIEUX


[En politique] Nous commençons par déclarer que notre système est radicalement opposé à tout ce qui constitue l’essence et la forme du système actuel…

Ces formules sont extraites du Credo politico-religieux, dû au fondateur du parti intégriste, Hamon Nocedal, complété et publié, le 8 septembre 1909, par le successeur de ce dernier comme chef reconnu du parti, Juan de Olazabal.

Elles sont conformes à l’esprit des premiers articles du concordat de 1851. Mais ce concordat lui-même enregistre des concessions des deux pouvoirs ; pour la tranquillité publique, qui importe au bien des âmes, l’Église, désintéressée au milieu du xix’e siècle comme elle l’avait été au commencement et le fut encore à la fin, renonce à revendiquer ses biens aliénés, et, sur divers points, fait confiance au gouvernement, en tenant compte des difficultés du temps, financières ou autres. Les intégristes, qui considèrent les carlistes comme entachés de libéralisme, et, dans une large mesure, les carlistes eux-mêmes, en témoignant une hostilité irréductible et violente à la monarchie restaurée en 1875, risquent, pour la logique de leurs idées et de leur histoire, de compromettre gravement la paix publique. C’est ce que Léon XIII a dû rappeler, pour les uns et les autres, dans son allocution aux pèlerins espagnols, du 18 avril 1894 : ]

…Pour que Nos soins et Nos efforts soient couronnés du succès tant désiré, il est nécessaire que tous les catholiques d’Espagne, sans exception, se persuadent que le bien suprême de la religion réclame et exige de leur part l’union et la concorde.

Il faut qu’ils fassent trêve aux passions politiques qui les déchirent et les divisent…

C’est aussi leur devoir d’être soumis aux pouvoirs constitués, et Nous vous le demandons à d’autant meilleur droit qu’à la tête de votre noble nation est une reine illustre dont vous avez pu admirer la piété et le dévouement envers l’Église… Pour ces hautes qualités, elle Nous est chère et Nous lui avons donné des témoignages publics de Nos sentiments paternels, particulièrement en tenant sur les fonts baptismaux son auguste fils, en qui Nous vous souhaitons de voir l’héritier des royales qualités, de la piété et de la vertu de sa mère. Cf. la lettre du souverain pontife aux évêques d’Espagne, f décembre 1894.

La date (1909) du manifeste intégriste que nous avons cité prouve que le pressant appel du pape, conforme à la doctrine et à la tradition de l’Église, n’a pas encore complètement prévalu sur les entraînements de l’histoire et libéré l’Église, en Espagne, de toutes les servitudes du passé. Il n’a point cependant été sans résultat ; le très petit nombre des intégristes, les concessions que, à la différence de ceux-ci, les carlistes font aux aspirations légitimes de la société moderne, en sont l’indice. Il n’en reste pas moins vrai que ce parti, sinon par son importance réelle, du moins par sa courageuse intransigeance qui surexcite l’intransigeance adverse, contribue à compromettre l’Église dans des querelles politiques dont elle devrait être aujourd’hui dégagée. Il suffit qu’un parti, qui diminue en nombre et en influence, associe le catholicisme à son idéal politique pour que d’autres partis, qui croissent en nombre et en importance, considèrent la guerre à l’Église comme l’accompagnement nécessaire d’un idéal politique opposé.

Nous avons jusqu’ici vu l’Église d’Espagne diminuée ou tout au moins mise en péril ; nous allons voir maintenant, en étudiant les autres aspects de son activité, quelles garanties de vitalité et de développement demeurent en elle.

On trouvera le texte latin et espagnol du concordat dans la Colecciôn de los tratados, convenios, y documentos inlernacionales celebrados por nuestros gobiernos con los estados extranferos desde et reinado de Isabela II hasta nuestros dias…, par le marquis de Olivart, Madrid, 1893, t. ii,

p. 73. Dans toute cette partie, nous avons beaucoup emprunté à l’excellent ouvrage, déjà cité, de Mgr Lopez Pelæz (voir la bibliographie^. Paul Henry, Cosas de EspaHa, Angers, 1907 ; Antoni Ma Alcover, Condticla polilica que s’imposa avu y an-els caiôlichs, Barcelone, 1907 ; Esquemao bosquejo del programa inlegrisla, Durango, 1909 ; Maximo Filibero, I.cùn XIII, los carlistas y la monarquia libéral, 2 vol., Valence, 1894 ; Andres Manjôn, Las escuelas laïcas, Barcelone, 1910 ; M. Arboleya Martinez, Softre et tradicionalismo polilieo, Madrid, 1910 ; Id., El clero y la Prensa (préface de M » ’Valdes, évêque de Salamanque), Salamanque, 1908.

V. L’Église d’Espagne et la. société espagnole.

— S’il dépend d’un parti momentanément au pouvoir de compromettre brusquement la situation légale de l’Église dans l’État, il dépend beaucoup moins de lui de diminuer son prestige et son action sociale. Mais ce n’est pas seulement par le souci de sa propre défense que l’Église se tourne de plus en plus vers les œuvres sociales ; elle a pour cela une autre raison plus grande et plus belle : c’est que nulle part au monde, le rôle social, qui est dévolu à l’Église, n’est plus proprement sien et plus décisif pour la santé nationale qu’en Espagne. C’est là le résultat d’une très longue histoire qui a partout mis l’Église aux postes d’honneur et qui, d’autre part, a laissé l’État pauvre en ressources et dépourvu de beaucoup d’institutions qui ne s’improvisent pas : cela, en présence de maux plus profonds que dans aucune autre grande nation.

Ce n’est pas ici le lieu d’exposer l’ensemble de circonstances sociales qui font que ce pays « vit sous la menace continuelle d’une révolution » (Angel Marvaud). Nous renvoyons ceux qui n’admettraient pas l’acuité et l’urgence du problème social en Espagne au livre très documenté et tout récent de M. A. Marvaud, La qiiestion sociale en Espagne, Paris, 1910.

Pauvrelé du clergé.

Mais, pour apprécier la

valeur de ce que l’Église a fait et de ce qu’elle est en train de réaliser, il faut connaître l’obstacle énorme qui ralentit son vaillant apostolat : c’est sa pauvreté. L’Église d’Espagne a élé très riche ; les églises possèdent encore des trésors artistiques inestimables ; mais le clergé espagnol, surtout la plus essentielle partie du clergé, le clergé séculier, est en général très pauvre. Vérité souvent méconnue !

Si les archevêques, les évêques et les chanoines sont convenablement dotés, il n’en est pas ainsi de l’immense majorité des prêtres. L’archevêque de Tolède touche 160 000 réaux (un réal vaut environ fr. 25) ; les archevêques de Scville et de’Valence, 150 000 réaux ; ceux de Grenade et de Saint-.Iacques de Compostelle, 140000 ; ceux de Burgos, Tarragona, ’Valladolid et Tarazona, 130 000 ; les évêques de Barcelone et de Madrid, 110 000 ; ceux de Cadiz, Cartagena, Cordoue et Malaga, 100 000 ; viennent ensuite, avec 90 000, les évêques d’Almeria, Avila, Badajoz, des Canaries, de Cuenca, Gerona, Huesca, Jæn, Léon, Lérida, Lugo, Mayorque, Orense, Oviedo, Palencia, Pamplona, Salaman-a, Santander, Segovia, Teruel et Zamora ; avec 80 000 ceux d’Astorga, Calahorra, Ciudad-Real, Coria, Guadix, Jaca, Minorque, Mondofiedo, Ori^ huela, Osma, Plasencia, Segorbe, Siguenza, Tarazona, Tortosa, Tuy, Urgel, "Vich, Tenerife et Vitoria.

Les cardinaux touchent, en outre, 20 000 réaux. Et, pour frais extraordinaires d’administration et de déplacement, les métropolitains touchent de 20 GOO à 30 000, les sufiragants de 16 000 à 20 000 réaux.

Les chanoines aussi sont convenablement dotés. Le doyen de Tolède a 24 000 réaux ; ceux des chapitres métropolitains, 20 000 ; ceux des chapitres des églises sufïragantes, 18 000 ; les abbés des collégiales, 15000 ;. les chanoines ont 14 000 réaux dans les métropoles, 12 000 dans les évêchés, 6 600 dans les collégiales ; les dignitaires et les chanoines de ojicio ont, en outre.