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ESCLAVAGE

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Au Congrès de Berlin (1878), il n’avait pas été question de l’esclavage : l’Angleterre, liée à la Turquie par un traité secret, s’y opposa absolument. Revue des deux mondes, 15 novembre 1889.

La Conférence de Berlin (1885) avait bien énoncé, pour toutes les puissances, l’engagement de « concourir à la suppression de l’esclavage et surtout à la traite des noirs. » « Mais, poursuit le cardinal Lavlgerie, trois ans plus tard, jusqu’ici ces engagements n’ont pas été tenus. » Missions catholiques, 1888, p. 521. En 1888, tandis que de concert avec le pape Léon XIII, l’empereur doni Pedro préparait l’émancipation des nègres du Brésil, le cardinal Lavigerie signalait à Rome les horreurs de la traite africaine. L’encyclique In plurimis fit écho à ces plaintes, et recommanda au monde chrétien la libération de ces pauvres noirs. Quelques jours après, le cardinal présentait au Saint-Père un pèlerinage africain, où se trouvaient des esclaves rachetés : Léon XIII investit alors l’archevêque de Carthage de la mission d’aller susciter dans le monde chrétien un effort qui empêchât ces atrocités de se prolonger. Ce voyage eut trois stations inoubliables : le 1’^^ juillet à Saint-Sulpice, pour ce discours qui souleva la France ; le 31 juillet à Loudres entre le cardinal Manning et lord Granville ; le 15 août à Bruxelles, à Sainte-Gudule.

Cette commotion, soigneusement observée par les gouvernements jaloux de leurs influences respectives, détermina des pourparlers diplomatiques qui aboutirent à la Conférence de Bruxelles (8 novembre 1889). Le cardinal en déclarait l’œuvre « très satisfaisante, très belle » . Ceux qui sont étrangers à la diplomatie ont pourtant peine à saisir la connexion logique de plusieurs articles. Art. 8. « L’expérience de toutes les nations qui ont des rapports avec l’Afrique, ayant démontré le rôle pernicieux et prépondérant des armes à feu dans les opérations de traite, et dans les guerres intestines entre tribus indigènes, et cette même expérience ayant prouvé manifestement que la conservation des populations africaines, dont les puissances ont la volonté expresse de sauvegarder l’existence, est une impossibilité radicale, si des mesures restrictives du commerce des armes à feu et des munitions ne sont établies. » Art. 10 : « Les gouvernements prendront toutes les mesures qu’ils jugeront nécessaires pour s’assurer de l’exécution aussi complète que possible des dispositions relatives à l’importation, à la vente et au transport des armes. » L’opinion publique dénonçait aussi l’importation des boissons spiritueuses. Un délégué des États-Unis fit cette remarque qu’il « importe surtout de s’opposer à l’importation des alcools impurs. » Le protocole porte, c. vi, art. 91 : « …Chaque puissance déterminera les limites de la zone de prohibition des boissons alcooliques dans ses possessions ou protectorats. .. j> On a expliqué comment les dispositions excellentes qui s’annonçaient, s’étaient finalement traduites en blancs-seings donnés aux intéressés : Birmingham fabriquait des fusils ; Angola et Hambourg fabriquaient de l’alcool. Corrcspo/irfan^, 25 juillet 1890. VI. L’escl.wage selon les théologiens. — La critique a rejeté l’étymologie traditionnelle du mot servus, Wallon, Histoire de l’esclavage dans l’antiquité, t. I, p. XVIII (il propose le grec k’pw, sIom, d’où le latin sera, en français lier), autorisée par le Code et auparavant répétée en plusieurs reprises par saint Augustin. Code justinien, 1. I, tit. v, 4 : Servi ex co appellati sunt, quod imperalores captivas vendere, ac per hoc servare, nec occidere soient. L’esclave est celui qui est tout entier sous la puissance d’un maître (Littré). L’esclavage contient l’idée d’une obligation perpétuelle, en vertu de laquelle un homme travaille pour un maître, qui se charge de sa subsistance.

Chacun de ces éléments peut se diversifier : l’obligation peut être absolue et absorber toute l’activité de l’esclave, ou lui en laisser une partie ; la perpétuité peut exclure ou comporter l’espoir d’un affranchissement plus ou moins facile ; le maître peut être humain ou cruel, respecter ou enfreindre les lois naturelles ou divines ; le traitement peut être convenable ou barbare.

La question qui se pose ici est d’ordre purement spéculatif. L’esclavage, pris en lui-même, et dégagé des atrocités dont l’histoire l’a vu si souvent compliqué, peut-il être juste dans son exercice, dans son origine ?

L’esclavage est contraire à la dignité humaine : la personnalité inamissible de l’homme ne permet pas qu’il soit traité comme une cliose : Difjerl autem homo ab aliis irrationabilibus creatwis in hoc quod est suorum actuum dominus. S. Tliomas, Suni. iheol., 1= » II"", q. I, a. 1. Et comment serait-il compatible avec « cette fraternité qui unit tous les hommes, tous provenant d’une même origine, tous sauvés par une même rédemption, tous appelés à un même bonheur éternel ? » Léon XIII, Ad singulos caih. orbis episc, 20 novembre 1890.

L’esclavage est funeste à l’âme humaine : tant de souffrances et de fatigues émoussent, étouffent et ravalent les aspirations de l’âme : durissinia servitute qua detinebantur innumeri homines in animarum suaruni perniciem, concile de la Rochelle, en 1853, c. VI, n. 1, Collectio lacensis, t. iv, p. 658, et l’on sait que l’esclavage est peut-être encore plus pernicieux pour les maîtres.

L’esclavage dispute, compromet ou dénie des droits inaliénables à la vie, à l’intégrité du corps et de l’âme, à une véritable liberté de la conscience, à l’existence et à la stabilité de la famille. C’est dans cette compression et dans cette restriction de la vie morale qu’apparaît proprement son danger. Il diminue ou supprime l’atmosphère morale dont l’âme a besoin.

Mais, d’autre part, l’idée d’un perpétuas fanmlatus, pro perpetuis alimentis, spontané ou contraint, si toutefois les droits inaliénables de l’homme sont saufs comme dans un vasselage interprété avec une bénignité chrétienne, cette idée, dis-je, n’est pas inadmissible.

Tel est, dans sa substance, l’enseignement des auteurs catholiques contemporains : Th. Meyer, S. J., Instilutiones juris naturalis, Jus naturae spéciale, th. XXI, Fribourg-en-Brisgau, 190n, p. 118 ; Ferretti, S. J., Instilutiones philosophie moralis, Rome, 1891, t. III, p. 155 ; Cathrein, S. J., Philosophia moralis, Fribourg-en-Brisgau, 1895, p. 317 ; Schiffini, Disputaiiones philosophiæ mo/a ?(s, Turin, 1891, t. ii, p. 302 ; Bensa, Juris ncduralis universi summa, Paris, 1855, t. ii, p. 49 ; Gury, Compendium iheologise moralis, 13"= édit., Prato, 1898, t. i, p. 494 ; Marc, Instilutiones morales alphonsianæ, 10e édit., Rome, 1900, t. i, p. 550 ; Haine-Bund, Theologise moralis elementa, 5e édit., Paris, 1906, t. vi, p. 15.

Mais, on l’a dit, c’est une discussion spéculative et rétrospective : Cum quæslio de dominio servorum proprie dictorum… non sil nobis nisi qusestio meræ eruditionis, remittimus ad theologos. Legi possuni Lessius, etc. Wafïelært, De virtutibus cardinalibus. De juslitia, Bruges, 1885, t. i, p. 111-112.

1° Rcnson d’être de l’esclavage suivant les saints Pères. — Au jugement des Pères, la servitude n’est pas naturelle à l’homme. Saint Grégoire de Nazianze le fait remarquer à un homme dont le mérite n’égalait pas la naissance : « Tous nous sommes d’une même argile, la race d’un même père. C’est la tj’rannie qui a divisé les mortels en deux classes ; ce n’est pas la nature. Pour moi est esclave tout méchant ;