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ERIGÈNE

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jiciens, sans toulefois avoir ité en relations avec eux, Joachim de Flore dépendrait, ainsi qu’Amaury, de Scot Ériugène dans cette conception des trois âges ou des trois révélations successives, d’après É. Gebliart, L’Italie mystique, Paris, 1890, p. 57-62. Cf. Moines et papes, Paris, 1896, p. 15. A vrai dire, les textes allégués n’établissent guère cette dépendance ; tout ce qu’on peut accorder, c’est que les idées de Scot sur la troisième révélation, celle du Paraclet, qui aura lieu dans l’Église du ciel et qui est donnée d’avance un peu aux purs, niinc ex parte inchoala in primiiiis contemplalionis, Expositiones super Ilierarchiani cœlestem S. Dionysii, 1. II, proL, P. L., t. cxxii, col. 266, travaillées, élargies et transposées, ont pu devenir les rêves dangereux d’Amaury de Chartres ou de Joachim de Flore. On pourrait encore « attribuer à l’influence du néoplatonisme, remis en vigueur par Scot, et répandu par des théologiens qui s’inspirent de lui comme Amaury de Bène » , sauf peut-être à le dénaturer, les nombreuses hérésies panthéistes du moyen âge, sans en excepter les plus immorales. A ce point de vue, la philosophie d’Ériugène « agit puissamment sur la conscience religieuse. Les sectes ignorantes souvent ne surent pas d’où leur venaient les idées autour desquelles elles se ralliaient. L’historien doit en signaler l’origine, » dit H. Delacroix, Essai sur le mysticisme spéeulaiif en Allemagne au xiv^ sièele, p. 31, qui, pour ce motif, consacre à bon droit à Ériugène le I" chapitre de son livre. Jusqu’à un certain point, toute l’hétérodoxie du moyen âge procède, directement ou par des voies détournées, de Jean Scot Ériugène. De même que de Joachim de Flore, pieux, candide et saint, dévoué de cœur à l’Église, mais téméraire et courant les plus périlleuses aventures sans se douter du danger, sortit le joachimisme hérétique et poussant jusqu’au délire la haine contre l’Église, de même d’Ériugène, quelque sincère que semble avoir été son désir de garder la foi catholique, sont venues, dans une certaine mesure, la plupart des hérésies médiévales, en telle sorte que, si l’on identifiait la philosophie scolastique avec la philosophie orthodoxe, Ériugène devrait être proclamé le « père de l’antiscolastique » .

Les temps modernes.

Dans cette période, nous

avons à enregistrer une nouvelle condamnation de Jean Scot par l’Église. L’Anglais Thomas Gale (Galœus ) ayant publié, en 1681, à Oxford, une édition du De diuisione naturie et de la traduction des Ambigua de saint Maxime, cette édition fut mise à l’index, par un décret du 3 avi’il 1685, inséré dans toutes les éditions de l’Index librorum prohibitorum, et maintenu dans l’édition nouvelle publiée par ordre de Léon XIII, Rome, 1900, p. 123. Un grand nombre de philosophes hétérodoxes, surtout parmi les panthéistes, ont exposé des idées qui rappellent çà et là celles de Scot, mais sans qu’ils paraissent avoir subi son influence directe. B. Hauréau, Histoire de la philosophie seolastique, Paris, 1872, t. i, p. 151, lui attribue « la gloire d’avoh-, au ixe siècle, devancé Bruno, Vanini, Spinosa, Schellinget Hegel, les plus résolus, les plus téméraires des logiciens. r> Cf., en ce qui regarde Hegel et Schelling, Saint-René Taillandier, Scot Érigène, p. 265-276. Des catholiques ont cru pouvoh- établir la parfaite orthodoxie de Scot Ériugène : tels F. A. Staudenmaier, Johannes Scotus Erigena und die Wissensehaft seiner Zeit, Francfort-sur-le-Main, 1834, et C. B. Schluter, dans la préface de son édition du De divisionc naturæ. Munster, 1838, laquelle préface est reproduite dans P. L., t. cxxii, col. 101-126. Il y a plus : des catholiques, non pas toujours d’une doctrine très sûre (voir, pour Baader, t. ii, col. 1), tels que Frédéric de Schlegel et François de Baader, ont regretté que la scolastique ne se soitjpas attachée de plus près

aux enseignements ériugénistes. Cf. Schlûter dans P. L., t. cxxii, col. 111. Récemment, P. Vulliaud esquissait une apologie d’Ériugène ; il concluait. Entretiens idéalistes, 25 mars 1910, p. 129-130 : <’Je n’hésite pas à déclarer, pour ma part, que, si on avait pris cet homme éminent pour maître, la face du monde intellectuel changeait, » et, après avoir rappelé que son nom figura dans certains martj-rologes et qu’il en a disparu, il disait que cette auréole supprimée « l’admiration la lui rend. » On aura noté, au passage, les ressemblances entre l’ériugénisme et le modernisme condamné par l’encyclique Pascendi. Dans l’un et l’autre système, l’agnosticisme est le point de départ. Tout en déniant à la raison le pouvoir de rien connaître de la nature de Dieu, le modernisme, comme Ériugène, enseigne que l’âme atteint Dieu d’une façon immédiate. Comme Ériugène encore, le modernisme se plaît dans des formules qui, si elles ne sont pas franchement panthéistes, ont souvent une saveur de panthéisme et sont capables de faire soupçonner de panthéisme ceux qui les emploient. Enfin, Ériugène n’a pas professé en propres termes l’évolutionisme dogmatique ; mais, en fait, de son agnosticisme il a tiré le relativisme des formules dogmatiques, et, par la manière dont il a expliqué certains dogmes, par exemple, celui des peines de la vie future, il a montré que, pour lui, les formules dogmatiques sont purement symboliques, que, pendant que le vulgaire les prend telles quelles, le savant a le droit de les entendre dans un sens raffiné, sous réserve du respect social qui leur est dû, pour autant que l’Église les aura jugées aptes à traduire la conscience commune et jusqu’à ce qu’elle ait réformé ce jugement. C’était frayer les voies à l’évolutionisme moderniste. Tant il est vrai que le modernisme n’est pas nécessairement chose moderne !

I. Œuvres. — La traduction du pseudo-Denys a été publiée d’abord par Marsile Ficin, Strasbourg, 1503 ; la l’« édition du De prsedestinalione par le janséniste Mauguin, Velerum auclorum qui nono seeculo de prædestinatione et gratia scripserunt opéra et fragmenta, Paris, 1650, t. i, p. 103 sq. ; la 1°= édition du De diuisione naturæ et de la traduction de saint Maxime par Thomas Gale (Galseus), Oxford, 1681 ; la l"édition de l’homélie sur le prologue de saint Jean, des fragments du commentaire sur saint Jean, et de quelques poésies, par Ravaisson, dans Rapports sur les bibliothèques des départements de i’Oues/, Pari s, 1841, p. 372 sq. (Saint-René Taillandier, Scot Érigène, Strasboui-g, 1843, p. 299-324, 329-331, a réédité ces textes ; nous avons vu que le fragment sur l’eucharistie, attribué à Scot par Ravaisson et par Saint-René Taillandier, fait partie du traité de Ratramne) ; la première édition des Expositiones super lerarchiam cœlestem sancti Dionysii, par H. J. FIoss, P. L., t. cxxii, 1853 (nous avons vu que les Expositiones seu glossæ in Mysticam //ieoZogion !, publiées également par Floss, ne sont pas de Jean Scot). En même temps Floss a publié les œuvres entières de Jean Scot alors connues, c’est-à-dire toutes les œuTes qui viennent d’être indiquées, ainsi qu’un fragment du Liber de egressu et regressu animæ ad Deum, édité d’abord par C.GTeith, SpicilegiumVaticanum, Frauenfeld, 1838, p. 80 sq., et quelques poésieséditées par A. Mai, Classicorum auctorume codicibus Valicanis editorum, Rome, 1834, t. v, p. 426 sq. Nous avons vu que l’édition Floss, très précieuse, n’est point parfaite. Le texte est à améliorer et à compléter. J. Dràseke, Johannes Scolus Erigena, Leipzig, 1902, p. 29-32, a donné un fragment du De diuisione naturse, d’après un manuscrit meilleur que ceux que Floss a utilisés. L. Traube, dans Monumenta Germanise historica. Poeise latini œui carolini, Berlin, 1896, t. iii, p. 527-556, a donné une excellente édition des poésies. B. Hauréau, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque impériale et autres bibliothèques, Paris, 1862, t. XX, 2= partie, p. 8-39, a publié du commentaire d’Ériugène sur Martianus Capella les gloses sur le IV « livre, c’est-à-dire sur la dialectique, et, dans Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque nationale, Paris, 1906, t. xxxviii, 2=partie, p. 412-413, un texte meilleur que celui de Floss d’un fragment de l’homélie sur le prologue de saint Jean. E.Kennard Rand, Jo/îannes ScoHus, dans Quellen und