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dans le rationalisme théologiquc, et qu’il ne vise à rien moins qu’à donner une explication rationnelle du mystère. Mais, d’une part, ces textes sont empruntés, çà et là, à saint Augustin, et, d’autre part, Scot ne manque pas de rappeler que la théologie négative défend de prendre à la lettre les expressions relatives au dogme trinitaire. Tout ce que nous pouvons en dire, penser ou comprendre, n’est pas la vérité, mais vestiges ou théophanies de la vérité, 1. II, c. xxxv, col. 614 : ncqiic cnim ialis imitas est ti’inilas quiilis ab ulla creatura potest cxcogitari scu intclligi, seu aliqiia phantasia, quamvis Incidissima et vcrisimillinm, formari. Hœc enim omnia fallnnt, durn in eis finis contemplalionis ponitiir. Siquidem plus qiiani imitas est et plus quani trinitas. Et cependant, la théologie affirmative veut parler de la réalité mystérieuse, ul quodam modo materiani habeamiis laudandi eam, atque benedicendi, semblable aux anges qui se couvrent de leurs ailes devant l’unité et trinité souveraine, sans jamais s’en détacher et sans jamais se détourner de la contemplation respectueuse et tremblante de ce qu’ils ne peuvent atteindre. — d) La procession du Saint-Esprit. — On sait que les Pères grecs et les Pères latins ont une manière différente d’envisager les processions divines, et qu’ils interprètent la même foi révélée avec des mots différents sans dissentiment dogmatique. Cf. F. Cavallera, dans les Études, 5 mars 1911, p. 689-691. Ériugène connaît la différence de leurs points de vue et de leurs formules, spécialement en ce qui regarde la procession du Saint-Esprit, 1. II, c. XXXI, col. 601. Peut-être même, selon son habitude, penche-t-il du côté des Grecs. Mais il ne semble pas qu’on soit fondé à dire, avec Floss, P. L., t. cxxii, p. XXII, et Hurter, Nomenclator litcrarius iheologia ; catholicæ, Inspruck, 1903, 3e édit., t. i, col. 790, eum si non reapsc incUnatione tamen mentis a Photii partibus stetisse. Cf. aussi Albers-Hedde, Manuel d’histoire ecclésiastique, Paris, 1908, t. i, p. 408. Ériugène dit explicitement, 1. II, c. xxxiii, col. 611 : Spiritum Sanclum ex Paire et Filio vcl ex Pâtre pcr Filiiim procédera fides catholica nos præcipit eonfiteri. Est-il intervenu dans le débat soulevé par Photius sur le Filioque ? Rien ne le prouve. Dans le commentaire sur Boèce, qui paraît bien son œuvre, nous lisons un passage contre l’hérésie récente (nuper orta est) de Photius, cf. Rand, Johannes Scoltus, p. 49 ; mais tout porte à croire que c’est une interpolation. Cf. Rand, p. 1, 2426.

2. La nature qui est créée et qui crée, ou les causes premières. — C’est ici la théorie des idées divines ou de l’exemplarisme, exposée par Platon, reprise par les néoplatoniciens, saint Augustin, le pseudo-Denys, et, plus tard, sous une forme meilleure, par les scolastiques. Voir t. iii, col. 2150-2163. Scot suit l’Aréopagite de près, non sans avoir des vues personnelles. Tout son système sur les causes premières et la création se déroule dans un commentaire sur le commencement de la Genèse, où l’allégorie se déploie largement. Ces causes premières, que les Grecs, nous dit-il, 1. II, c. ii, col. 528-529 ; cf. c. xxxvi, col. 615-616, nomment Trpw-TÔTUTra, c’est-à-dire premiers exemplaires, ou upoopc’o^.axa, c’est-à-dire prédestinations ou définitions, ou encore Bsïa 6£>.r|jj.aTa, c’est-à-dire volontés divines, ou enfin loini, c’est-à-dire modèles, formes, idées, ce sont les essences primordiales, créées, avant toutes choses, par et dans la cause première, et par lesquelles les créatures ont procédé de cette première cause. La Trinité les précède, mais seulement dans l’ordre logique, et comme la cause précède l’effet ; en réalité, elles sont coéternelles au Verbe, en qui Dieu éternellementles dépose ; le Saint-Esprit les distribue, les ordonne (toutefois, les personnes divines n’ont qu’une nature qui leur est commune et, dans l’œuvre

de chacune d’elles, toutes les trois sont présentes, 1. II, c. xx-xxii, col. 554-568). Le Saint-Esprit en a fait sortir les genres, les espèces, les individus à l’infini. Ce sont la bonté subsistante, perse/psam bonitas, l’essence subsistante, la vie subsistante, etc., principes de tout ce qui existe, depuis la créature intellectuelle, qui est la plus proche de Dieu, jusqu’au plus bas degré des êtres, qui est la matière, 1. II, c. xxxvi, col. 616. On le voit, sans étudier ici la question des universaux, il professe un véritable réalisme. Ailleurs, dans le commentaire sur Martianus Capella, il s’en est expliqué plus ouvertement, dans une glose d’une importance « qui sera reconnue par tous les historiens de la philosophie. C’est la profession de foi, c’est la confession du plus effronté réalisme. » B. Hauréau, dans A’o//ces et extraits des manuscrits de la Bibliothèque impériale et autres bibliothèques, Paris, 1862, t. XX, 2° partie, p. 17 (Hauréau publie cette glose). Cf. son Histoire de la philosophie scolastiqiie, Paris, 1872, t. I, p. 172-173. Cf. toutefois Rand, Johannes Scoltus, p. 19.

3. La nature qui est créée et qui ne crée pas, ou la création. — a) La création. — Toutes choses sont donc créées dans le Verbe. Comment s’opère cette création, et qu’est cette création ? La Trinité créatrice, tout en précédant logiquement les causes premières, se constitue et existe dans la création dont elle est inséparable. Le monde est éternel. Dieu, c’est la source, les causes premières sont le lit du fleuve, les créatures sont les ondes qu’il roule. Ce qu’il y a dans la source passe, par les causes premières, à l’inépuisable variété des êtres. Tout ce qui a été créé l’a été par une ineffable diffusion de l’Être divin, qiise incffabilis difjusio et facit omnia, et fit in omnibus, et omnia est, 1. III, c. iv, col. 634. Mais ne sommes-nous pas en pleine contradiction ? Presque tous les Pères s’accordent à voir dans la Bible que Dieu a tout créé de rien. Comment appeler éternel ce qui a commencé d’être ? Comment toutes choses sont-elles éternelles à la fois et faites de rien, c’est-à-dire existantes avant d’être faites ? Cf. 1. III, c. v, col. 636. Ériugène répond, d’abord, qu’il faut maintenir l’éternité de la création, que Dieu ne la précède que d’une antériorité logique, car en Dieu il n’y a pas d’accidents ; or, si tempore prsecederet, accidens ei secundum tempus facere univcrsitatem foret, 1. III, c. VIII, col. 639. Que le monde soit et éternel et créé, il ne faut pas en être surpris, puisque Dieu aussi est tout à la fois éternel et créé, demeurant en lui-même parfait et plus que parfait, et séparé de tout, et courant à travers toutes choses, faisant toutes choses, devenant tout en toutes choses, 1. III, c. ix, XII, XV, col. 643, 661, 666. Entre plusieurs textes il allègue Joa., i, 3, 4, soit qu’on lise avec saint Augustin : qiiod factiim est in ipso vila erat, soit, ajoute-t-il, qu’il faille lire : quod factiim est in ipso, et ensuite : Vita erat, dans une autre phrase, sic enim mullos Grœcorum codices invenimus distinctos. Puis, il explique la création ex niliilo en ce sens que Dieu était quand les créatures n’existaient pas, en ce que, existant éternellement dans les causes premières et, comme telles, connues de Dieu seul, les créatures ont commencé en quelque sorte quand elles ont apparu avec leurs accidents de quantité, de qualité, etc., qu’elles reçoivent dans le temps et qui les manifestent, 1. III, c. XV, col. 665-666 (important) ; cf. c. xvi, col. 669. Précisons davantage. Dans la création f.r nihilo, le nihilum, c’est Dieu lui-même, çiu’soins negationc omnium quse siint proprie innuitur, quia super omne, quod dicitur et intelligitur, exaltatur, qui indlum eorum quæ siint et quæ non siinl est, qui mclius nesciendo scitur, 1. III, c. xxii, col. 686-687. En effet, comment Dieu crée-t-il le monde tout entier dans le Verbe ? Il voit les choses et, pour lui, voir, c’est créer.