Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.djvu/15

Cette page n’a pas encore été corrigée

ENGRATITES

6

ce qui se prend avec actions de grâces, parce que tout est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière. » I Tim., IV, 1-5. Or, les esprits séducteurs et les imposteurs hypocrites ne manquèrent pas, surtout parmi les gnostiques. Déjà, au sein du judaïsme, les esséniens avaient fait un schisme et recrutaient maintenant des adeptes parmi les judéochrétiens, au grand détriment de l’unité. D’autre part, l’hypothèse prônée comme un principe certain et indiscutable que la matière est d’essence mauvaise, que dès lors elle ne peut être l’c-juvre de Dieu, mais celle d’un démiurge, devait aboutir à des conclusions théoriques et pratiques inacceptables. C’est ainsi que Cerdon et surtout Marcion, au 11e siècle, en firent une application impudente et odieuse. Ils enseignaient, en effet, que le démiurge n’est autre que le Dieu des Juifs, le Jéhovah de la Bible, adversaire du Dieu vrai et bon, et que JésusChrist, le Sauveur, n’est venu que pour contrecarrer l'œuvre de ce démiurge ainsi que pour rétablir les droits du Dieu bon. De naïfs clirétiens se rencontrèrent pourselaisserprendre à de telles erreurs ; et sans tomber tout d’abord dans une hérésie nettement caractérisée, ce qui du reste ne pouvait guère tarder, ils introduisirent pratiquement une manière de vivre qui, dépassant l’enseignement de l'Évangile et la doctrine de l'Église, tendait à donner aux simples conseils évangéliques la valeur de prescriptions rigoureuses, absolument indisjjensaldes pour s’assurer le salut. Et c’est ainsi qu’on en vint à condamner l’usage du mariage, de la viande et du vin.

L’erreur se dessine.

Aux débuts, c’est l’auteur

àes Philosoptioiimena qui l’affirme, Philos., VII I, vii, 20, cdit. Cruice, Paris, 1800, p. 421, nul désaccord avec l'Église sur la question de Dieu et du Christ, mais une explosion d’orgueil : ceux qui se disaient encratites, les continents par excellence, se vantaient d’observer une tempérance rigoureuse, consistant à ne boire que de l’eau, à ne se nourrir que de végétaux et à s’abstenir de tout rapport sexuel. Sans doute, et d’une manière générale, de telles pratiques pouvaient s’autoriser à certains égards et dans quelque mesure de la sainte Écriture ; et une exégèse complaisante, volontairement incomplète, par de véritables tours de force, pouvait laisser ou faire croire h des esprits bornés, superficiels, inattentifs ou exaltés, que c'était là le seul vrai ciiristianisrne, la seule doctrine authentique du salut. Mais à quelles conditions ? A la condition de passer sous silence ou de tenir pour non avenus les textes les plus formels et les plus contraires, les points foiulamentaux de la morale cvangélique et chrétienne ; à la condition de donner arbitrairement à ce qui n'était que des conseils de perfection pour les âmes « l'élite la valeur absolue et imprescriptible d’un devoir pour tous sans distinction. Qu’on louât et « xaltât la vertu de lempérance, de continence, rien de mieux ; le Christ et les apôtres ne l’avaient-ils pas déjà fait ? Il va de soi que de telles vertus s’imjjosent à tout homme parce qu’il est pécheur et faillible ; dans quelle mesure et à quel titre ? D’une manière absolue ou relative ? Comme un devoir ou comme un conseil ? (lar tous les hommes ne sont pas également pécheurs ; il en est de plus parfaits que d’autres. Et quelle différence entre le commandement f(iii s’impose à tous et le simple conseil qui ne peut s’adresser qu'à quehiuesuns, entre le devoir et la perfection I l’ne aussi importante distinction aurait évité bien des malentendus, bien des excès ; elle devait y couper court en tout cas. Mais on la négligea et, le mouvement gnostique aidant, on vil se dessiner une doctrine « pii exaltait outre mesure la continence, et paraître <les sectaires qui se paraient du titre de continents. Qui étaient-ils « l que prétendaient-ils ?

II. DocTHiNE.

l » Les encraliles. — Le titre

d’encratites qu’ils revendiquaient, iyxpatsïç d’après saint Irénée, Cont. hær., i, 28, P. G., t. vii, col. 690, Èy-tpaTYjTai d’après Clément d’Alexandrie, Pœd., ii, 2, P. G., t. VIII, col. 429, ou iY/.paTÎrat d’après les Philosophoumena, VIII, vii, 20, loc. cit., devint le mot usuel pour désigner dans un sens péjoratif ceux dont l’ascétisme était regardé comme entaché d’hérésie, parce qu’ils pratiquaient la continence par esprit d’impiété et de haine, iyy.pâTeijcv 5ti 5v7'7cSî'a ; -/.et' : çi>, a7rE/0/51j.ocj’jvri ; xaTaYyéXXouTt. Clément d’Alexandrie. Sfrom., III, 5, P. G., t. viii, col. 1144. La doctrine qu’ils professaient, c’est qu’il faut s’abstenir de viande et de vin dans l’alimentation et de tout rapport conjugal dans le mariage. Pourquoi ? Pour pratiquer la mortification. Pourquoi encore ? Pour ne point participer à l'œuvre essentiellement mauvaise du démiurge. Les motifs d’une telle abstention et d’une telle continence étaient donc suspects. Fidèles aux enseignements de saint Paul, les époux chrétiens des premiers temps savaient garder la continence pour quelques jours afin de vaquer plus librement à la prière ; mais les nouveaux sectaires prétendaient que l’exception devait être la règle et qu’une continence absolue s’imposait à tous et toujours pour mieux combattre l’impureté et ses funestes effets. Dans ces conditions, à quoi bon le mariage ? Il n'était plus un remède approprié à la faiblesse de l’homme contre la concupiscence ni un état naturel pour perpétuer l’espèce humaine ; il n’y avait donc qu'à le condamner et à le supprimer, ce qui devait entraîner la disparition du genre humain. La conséquence était grave ; c'était du reste se heurter à la fois contre l’autorité de Dieu, auteur de l’union légitime de l’homme et de la femme, contre le Christ qui avait assisté aux noces de Cana, et contre saint Paul qui avait prescrit qu’on honorât le mariage. Fleb., xiii, 4. Rien de plus vrai, sans doute, mais d’autres témoignages scrijiluraires, où la continence est particulièrement reconunandée, étaient mis en avant pour légitimer l’encratisme aux dépens du mariage ; nous verrons plus bas lesquels et par quels procédés d’exégèse, quand nous rapporterons la réfutation qu’en fit Clément d’Alexandrie. Du reste, l’ivcriture n'était pas la seule source où ils cherchaient la justification de leurs erreurs ; il était d’autres livres où ils puisaient à pleines mains.

Aulorilés inuoquécs.

Durant 1(? iie siècle, en

effet, parurent maints apocryphes qui favorisaient particulièrement les tendances encratites au détriment de la saine pratique religieuse. Les Actes de Paul, bien que d’une doctrine opposée à la gnose, recommandaient la continence d’une manière beaucoup plus accentuée que la prédication ecclésiastique, tout comme si elle constituait l’essentiel du christianisme. Les Actes de TIjonuis présentaient de même l’ascétisme. Et les Actes de Pierre, de Jean, empreints de docétisme, surtout ceux de.lean, offraient une tendance ascétique très prononcée. « En quelque proportion, dit M’ir Duchesne, Histoire ancieiuie de l’fùjlisc, 2e édit., Paris, 1907, t. I, p..014, que l’hérésie gnostique soit, en ces écrits, combinée avec l’orthodoxie, une chose est sfire, c’est qu’ils ont tous une même tendance, la tendance encratite, opposée aux rapports sexuels, même dans le mariage, et à l’usage des aliments forts, la viande et surtout le vin. Il ne s’agit pas ici de renoncement individuel, mais de règle générale : tout chrétien doit être ascète, continent, encraliciue. (^e programmc n'était pas nouveau. On l’africhait déjà au temps des a]iôtres ; la))rcn)ière Épitre à Timotliée le condamne éncrgiquement. Dès ce temps-là sans doute il se rattachait à des idées suspectes sur le créateur et la création. Au IIe siècle, ces idées s’expriment dans les diverses formes de la gnose et dans l’enseignement marcionite. Cie ne fut pas, loin de là, une recommanda-