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EUDES


que dans les dix dernières années du xviie siècle. Le P. Eudes eut donc la gloire de devancer la Bienheureuse, et c’est à lui que revient l’honneur d’avoir établi dans l’Église catholique le culte public du Cœur de Jésus, aussi bien que celui du Cœur de ^larie. La S. C. des Rites l’a reconnu formellement lorsque, en proclamant l’héroïcité de ses vertus, elle lui a décerné le titre glorieux d’auteur du culte liturgique des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, et lorsque, dans le décret de sa béatification, elle lui a décerné les titres de père, de docteur et d’apôtre de la dévotion à ces Coeurs sacrés. Il faut reconnaître d’ailleurs que la mission de la Bienheureuse a été plus éclatante et plus efficace que celle du P. Eudes, et que ce sont ses révélations qui ont conquis le monde à la dévotion au Cœur de Jésus. Mais elles ne fu’ent en somme que confirmer et étendre une dévotion déjà établie, et il est remarquable que, même dans les monastères de la "Visitation, on se servit longtemps de l’office et de la messe du Bienheureux pour célébrer la fête du vendredi après l’octave du Saint-Sacrement.

Dernières années et mort.

Le P. Eudes employa

les dernières années de sa vie à terminer un ouvrage qu’il avait commencé depuis longtemps, et dans lequel il traitait longuement de la dévotion aux Sacrés Cœurs. Il y mit la dernière main, le 25 juillet 1680. Il a lui-même consigné le fait dans cette phrase qui termine son Mémorial des bienfaits de Dieu : « Aujourd’hui, 25 juillet de la même année (1680), Dieu m’a fait la grâce d’achever mon livre du Cœur admirable de la très sainte Mère de Dieu. » Quelques jours plus tard, le 19 août, il mourut à Cæn, chargé d’années et de mérites. La cause de sa béatification fut introduite en cour de Rome, le 7 février 1874. L’héroïcité de ses vertus a été proclamée par Léon XIII, le 6 janvier 1903, et par un décret en date du Il avril 1909, Pie X l’a élevé au rang des Bienheureux.

II. Instituts.

1° L’ordre de Notre-Dame de Charité. — Le premier en date des instituts fondes par le P. Eudes est l’ordre de Notre-Dame de Charité. Nous avons dit que le Bienheureux l’établit pour procurer un asile aux filles et femmes repenties qui voulaient faire pénitence de leurs désordres et mener une vie franchement chrétienne. Le nouvel institut commença à Cæn, le 25 novembre 1641. Fondé avec l’agrément de Mgr d’Angennes, évêque de Bayeux, il fut autorisé par lettres patentes du roi, en date du mois de novembre 1642, et, le 20 décembre 1646^ les échevins de Cæn donnèrent leur assentiment à son établissement.

Moins heureux que saint François de Sales et saint Vincent de Paul, le P. Eudes n’eut pas à sa disposition une femme supérieure qui l’aidât dans la fondation de cet institut. Celle qu’il avait choisie au début pour le diriger ne put entrer dans ses vues, et après avoir été cause du départ de plusieurs sujets sur lesquels le Bienheureux fondait des espérances, elle abandonna elle-même l’œuvre naissante pour aller fonder à Bayeux une communauté nouvelle. Ce départ devait amener la ruine d’une communauté qui ne comptait encore qu’un nombre infime de postulantes ou de novices. Pour sauver son œuvre, le P. Eudes en confia la direction aux religieuses de la Visitation, qui mirent à sa disposition la Mère Patin et deux autres sœurs. Sous l’habile direction de la Mère Patin, la communauté s’organisa et s’affermit au point qu’après sa mort, qui arriva le 31 octobre 1668, elle put être remplacée par une religieuse appartenant à l’ordre. Dans l’intervalle, Mgr Mole, successeur de Mgr d’Angennes, avait accordé à la communauté des lettres d’institution datées du 8 février 1651, et, le 2 janvier 1666, Alexandre VI l’avait érigée en ordre religieux.

Les religieuses de Notre-Dame de Charité gardent la clôture et suivent la règle de saint Augustin. Leurs constitutions, qui en sont l’explication et le développement, sont empruntées en grande partie à celles de la Visitation. Toutefois, la fin même de l’institut amena la Bienheureux à faire à l’œuvre de saint François de Sales des additions et des changements d’une grande portée. On s’en aperçoit dès le début. La 1° constitution, qui est d’une élévation remarquable, traite de la fin de l’ordre. Elle est la base de toutes les autres constitutions qui ne font en somme qu’indiquer les moyens à employer pour réaliser cette fin. Pour que les religieuses de Notre-Dame de Charité ne cédassent jamais à la tentation d’abandonner l’œuvre ingrate des pénitentes, qui est leur œuvre propre, le Bienheureux leur imposa, en plus des trois vœux ordinaires de religion, celui de travailler à la conversion et à l’instruction des pénitentes, vœu héroïque qui fait de l’ordre de Notre-Dame de Charité l’une des plus belles créations de la charité chrétienne.

Dès l’origine, le P. Eudes dédia cet institut au saint Cœur de Marie, et il rappelait souvent à ses filles l’honneur qu’elles avaient et qu’elles ne partageaient alors avec aucune autre société religieuse, d’être les « Filles du très saint Cœur de la bienheureuse Vierge. » Il les invitait à chercher dans le Cœur de leur Mère la règle de leur vie, et surtout l’exemplaire de la charité miséricordieuse dont il voulait que leurs cœurs fussent remplis. Il leur donna comme fête patronale la fête du saint Cœur de Marie, fixée par lui au 8 février. Pius lard il leur fit aussi célébrer avec la plus grande solennité la fête du Cœur de Jésus, qui devint leur seconde fête patronale. Enfin, le Bienheureux voulut que toutes ses filles portassent le nom de Marie auquel elles ajoutent le nom d’un mystère ou d’un saint qui sert à les distinguer.

L’ordre de Notre-Dame de Charité se compose, comme la plupart des ordres de femmes, de sœurs choristes et de sœurs converses ; mais les choristes ne récitent, du moins en temps ordinaire, que le petit office de la sainte Vierge. Elles sont les unes et les autres vêtues d’une robe et d’un scapulaire blancs. Elles portent en outre, quand elles sont au chœur, un manteau de couleur blanche. Le voile est noir pour les sœurs de chœur, et blanc pour les converses. Enfin, elles portent toutes, suspendu au cou, un cœur d’argent sur lequel est représentée, entre une branche de lis et une branche de roses, l’image de Marie tenant Jésus dans ses bras. Ce cœur représente non le Cœur de Marie, mais celui des religieuses qui est tout consacré à la sainte Vierge et à son divin Fils, et qui, pour leur rester fidèle, doit vivre dans la pureté et l’amour symbolisés par les lis et les roses. La blancheur du costume symbolise également la consécration des sœurs au Cœur immaculé de Marie, eu même temps qu’elle leur rappelle la pureté éminente que réclame leur vocation. Outre les sœurs de chœur et les sœurs converses, l’ordre admet quelques toiirières pour le service de la porterie et les commissions en ville. Elles portent le cœur d’argent, mais elles sont vêtues de noir et ne font que le vœu d’obéissance.

Suivant l’usage du temps, le Bienheureux régla que les monastères sortis de celui de Cæn ne lui seraient pas soumis. Ils devaient avoir leur vie et leur adminis-Iraliou propres, de telle sorte qu’ils ne conservaient entre eux et avec la maison-mère que les rapports de fraternité qui unissent toujours les diverses maisons d’un même institut.

Primitivement, les religieuses de Notre-Dame de Charité ne recevaient que des pénitentes volontaires ; mais bientôt, elles admirent des filles de mauvaise vie qui leur furent amenées par leurs parents ou par l’autorité civile. Elles acceptèrent également des