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EUDES


de Marie et à celui de son divin Fils la congrégation de Jésus et Marie. Dès ce moment, il fit réciter chaque jour dans ces deux sociétés une salutation qu’il ne tarda pas à propager parmi le peuple, et qui s’adressait « conjointement » aux Sacrés Cœurs, ou pour parler comme le Bienheureux, au " Sacré Cœur de Jésus et de Marie. » Le P. Eudes, en effet, n’aimait pas qu’on séparât le cœur de la Mère de celui de son Fils, et pour exprimer leur union, il disait volontiers : « Le Cœur de Jésus et de Marie, » expression qui, aujourd’hui nous paraît étrange, mais qui élait conforme au langage du temps, et dont le Bienheureux n'était pas l’inventeur. Il l’avait empruntée à saint François de Sales, et on a remarqué qu’elle se rencontre également, bien que très rarement, dans les écrits de la B. Marguerite-Marie et du V. P. de la Colombière. Il ne faudrait pas croire, d’ailleurs, que le P. Eudes fît de cette expression un emploi exclusif. Il suffit de parcourir ses ouvrages, pour co ; istater qu’il disait également, comme nous le faisons aujourd’hui : Les Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, et nous allons voir qu’après avoir honoré » conjointement » les Sacrés Cœurs, il fit de chacun d’eux l’objet d’une dévotion et d’une fête spéciales.

La première fête instituée par le Bienheureux fut celle du saint Cœur de Marie. Il se décida à l'établir au plus tard en 1643, peut-être même dès 1641. Il composa dans cette vue une messe et un office propres, dont quelques passages se rapportaient au Cœur de Jésus que le P. Eudes voulait célébrer en même temps que le Cœur de Marie. Il supprima ces passages quelques années plus tard, lorsqu’il établit la fête du Cœur de Jésus, en sorte que le premier office et la première fête n’eurent plus pour objet que le Cœur de Marie.

A l'époque du P. Eudes, tout le monde croyait, en France, que chaque évcque pouvait autoriser dans son diocèse l'établissement d’une fête nouvelle avec messe et office propres. En 1648, au cours d’une mission qu’il prêchait à Autun, le Bienheureux obtint de l'évêque du lieu, Mgr Claude de la Madeleine de Ragny, l’autorisation de célébrer solennellement dans la cathédrale la fête du saint Cœur de Marie, qu’il avait fixée au 8 février. Mgr de Ragny en autorisa même la célébration dans tout son diocèse, et il paraît certain que cette fête se célébrait à la Visitation de Paray-le-Monial, lorsque la B. Marguerite-Marie y entra. Approuvée dans la suite par un grand nombre d'évêques, et en 1668, par le cardinal de Vendôme, légat a lalere du pape Clément IX, la fête du Cœur de Marie ne tarda pas ù se répandre. Le P. Eudes eut la consolation de la voir adoptée par quelques églises et par un grand nombre de communautés religieuses, entre autres par les franciscains de la grande province de France, les bénédictines du SaintSacrement, les bénédictines de Montmartre et de Sainte-Trinité de Cæn, et plusieurs communautés de la congrégation de Notre-Dame.

Une fois la fête du Cxeur de Marie solidement établie, le Bienheureux s’occupa d’en instituer une autre en l’honneur du Cœur de Jésus. Dans ce but, il composa une nouvelle messe et un nouvel office qu’il fit approuver en 1670. Deux ans plus tard, après avoir obtenu l’autorisation des évêques compétents, il adressa à ses enfants une circulaire triomphante où il leur enjoignait de célébrer chaque année, le 20 octobre, la fête du divin Cœur de Jésus, sous le rite double de première classe avec octave.

Cette circulaire est bien remarquable. Le P. Eudes y niontre la légitimité et l’excellence de la nouvelle fête : " C’est une grâce iiiexi)'icable, dit-il, que notre très aimable Sauveur nous a faite, de nous avoir donné dans notre congrégation le Cœur admirable

de sa très sainte Mère ; mais sa bonté, qui est sans bornes…, a passé bien plus outre, en nous donnant son propre Cœur, pour être, avec le Cœur de sa glorieuse Mère…, le cœur et la vie de cette congrégation. « Il nous a fait ce grand don dès la naissance de la même congrégation… Mais la divine providence, qui conduit toutes choses avec une merveilleuse sagesse, a voulu faire marcher la fête du Cœur de la Mère avant la fête du Cœur du Fils de Dieu, pour préparer les voies dans les cœurs des fidèles à la vénération de ce Cœur adorable, et pour les disposer à obtenir du ciel cette seconde fête par la grande dévotion avec laquelle ils ont célébré la première… « C’est une faveur signalée, ajoute le Bienheureux, que le Fils de Dieu fait à son Église de lui donner la fête de son Cûeur royal, qui sera une nouvelle source d’une infinité de bénédictions pour ceux qui se disposeront à la célébrer saintement. Mais qui est-ce qui ne le ferait pas ? Quelle solennité plus digne, plus sainte, plus excellente que celle-ci, qui est le principe de tout ce qu’il y a de plus grand, de [plus] saint et de [plus] vénérable dans toutes les autres solennités 1 Quel cœur plus adorable, plus admirable et plus aimable que le Cœur de cet Homme-Dieu qui s’appelle Jésus 1 Quel honneur mérite ce Cœur divin qui a toujours rendu et rendra éternellement à Dieu plus de gloire et d’amour en chaque moment, que tous les cœurs des hommes et des anges ne lui pourront rendre en toute l'éternité 1 Quel zèle devons-nous avoir pour honorer ce Cœur auguste, qui est la source de notre salut, qui est l’origine de toutes les félicités du ciel et de la terre, qui est une fournaise immense d’amour vers nous, qui ne songe nuit et jour qu'à nous faire une infinité de biens, et qui enfin s’est rompu et brisé de douleur pour nous en la croix, ainsi que le Fils de Dieu et sa très sainte Mère l’ont déclaré à sainte Brigitte. »

Le Bienheureux conclut en exhortant ses enfanls à célébrer de leur mieux la fête du Cœur de Jésus : « Embrassons avec joie et jubilation, dit-il, la solennité du divin Cœur de notre très aimable Jésus. En voilà l’ofiice et la messe que je vous envoie, approuvés de tous messieurs nos prélats. Employons tout le soin, la ferveur et la diligence possible pour la bien célébrer. Pour cet effet, invitez-y tous nos amis et toutes les personnes de dévotion. Si vous ouvrez le paquet assez tôt, faites-la publier. S’il y avait du temps, il faudrait y prêcher… Enfin, conclut le P. Eudes, je vous conjure de célébrer cette fête avec toute la dévotion et solennité cjue vous pourrez, et de me récrire comme elle se sera passée… »

On voit déjà, par cette circulaire, que l’objet de la fête instituée par le P. Eudes en 1672 n'était pas, comme on l’a dit de nos jours, " le Cœur de Jésus et de Marie, » mais uniquement le Cœur de Jésus, et que, sous cette dénomination, le Bienheureux entendait à la fois leCœurspirituelet leCœurcorporeldel’HommeDieu. Pour peu d’ailleurs que l’on étudie soit l’office de P. Eudes, soit le XII>' livre du Cœur admirable où il traite longuement de l’objet de sa dévotion, cette vérité devient tellement manifeste qu’on s'étonne qu’elle ait pu être contestée.

A partir de 1672, la fête du Cœur de Jésus fut célébrée chaque année dans les séminaires du P. Eudes ; mais elle ne resta pas l’apanage exclusif des enfants du Bienheureux. Presque toutes les communautés qui avaient adopté la fête du Cœur de Marie, adoptèrent aussi celle du Cœur de Jésus, et il en fut de même des nombreuses confréries fondées par le Bienheureux et par ses disciples.

Les faits cjue nous venons de rapporter sont antérieurs aux révélations de la B. Marguerite-Marie, touchant le Sacré-Cœur. Les premières n’eurent lieu qu'à la fin de 1673, et elles ne devinrent publiques