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EUGHITES


ou par la salive de sa' bouche, Théodoret, loc. ci !., col. 429 ; Timothce, loc. cit., col. 48 ; et le démon s’enfuit sous forme de fumée, de serpent ou même sous forme de laie suivie de ses porcelets. S. Augustin, De bœr., 57, P. L., t. xlii, col. 41. Et quant au Saint-Esprit, il pénètre alors dans notre âme d’une manière visible ou sous forme d’un feu qui ne brûle pas. Tel est le résultat premier et décisif de la prière. Pour faire admettre de pareilles données, '- il fallait compter sur une forte dose de naïveté ou de crédulité ; mais il est à croire que les adeptes, victimes peut-éti’c de quelque supercherie grossière, s’en laissaient imposer surtout par les conséquences d’ordre pratique, qui leur laissaient toute liberté d’action tout en leur procurant, pensaient-ils, de singuliers privilèges de salut. Car la prière, quand elle est intense, profonde, concentrée et prolongée, finit par produire dans l'âme, selon la doctrine de la secte, un état incomparable et unique, qui n’est autre que l’impassibilité, source de faveurs exceptionnelles et vraiment merveilleuses.

6 » Sur l'état d’impassibilité, àny.fizix. — Une fois parvenue par la prière à VàniOsioi., à cet état d’impassibilité, mais non d’insensibilité, l'âme, prétendaient les euchites, se sent unie au Saint-Esprit, devenu son époux, par des liens aussi sensibles et plus doux que ceux des rapports conjugaux de l’homme et de la femme. On touche ici à un mysticisme des plus subtils dont on compare les effets à ceux du plus grossier sensualisme ; on touche même à une espèce de panthéisme qui défigure complètement la doctrine catholique de l'élévation de l’homme à l’ordre surnaturel et de sa sanctification par la grâce. L'âme, disent les euchites, ne fait plus alors qu’un avec l’hypostase divine survenue en elle ; elle entre désormais dans la sphère du divin, elle possède la nature divine ellemême. Timothée, De recept. hier., P. G., t. lxxxvi, col. 49. Non seulement elle voit Dieu et la Trinité des yeux du corps, mais rien n'échappe plus à la pénétration de son regard, ni les pensées intimes d’autrui, ni l'état des âmes séparées du corps, ibid., col. 52, ni les secrets de l’avenir, ni la signification mystérieuse des songes. Ibid.^ col. 49. L’euchite éprouve alors parfois les frémissements intimes d’un délire sacré : il se met à sauter ou à danser comme s’il foulait aux pieds le démon expulsé et vaincu ; d’où le nom d’enllmusiastes et de choreules donné aux massaîiens ; ou bien encore il prend l’attitude de l’archer qui bande son arc et lance une flèche contre un ennemi invisible mais présent. Théodoret, Hseret. fab., iv, 11, P. G., t. Lxxxiii, col. 432 ; Timothée, De recept. hær., P. G., t. LXXXVI, col. 49. Ces prétentions extravagantes et ces actes déconcertants devaient naturellement frapper l’imagination, exciter la curiosité et provoquer des adhésions ; mais quel danger aussi de fanatiser les simples d’esprit et de déchaîner les pires instincts sous le couvert du sentiment religieux 1

Conséquences.

Les euchites, en effet, dans leur

état d'àTiaOc'.a, Se vantaient d’avoir atteint la perfection morale et même l’impeccabilité. Le péché ne leur était plus possible : nul besoin dès lors soit d’instruire son esprit, soit de discipliner son corps par l’ascétisme. A quoi bon l’enseignement donné par l'Église et les jeûnes qu’elle prescrit, puisqu’on est désormais à l’abri de l’ignorance qui mène à l’erreur et de la concupiscence qui entraîne au mal : le corps n’est plus soumis à la tyrannie des sens, et l'âme n’est plus capable de déchoir. Aussi, pendant l'été, la nuit venue, couchaient-ils en plein air, honnnes et feinmes, dans une promiscuité complète, sans que cela tirât à conséquence ; ils pouvaient même goûter aux mets les plus délicats et mener la vie la plus luxurieuse : pour d’autres, cela aurait constitué ujie tentation irrésistible ou une occasion certaine de chute, mais sur eux,

prétendaient-ils, cela n’avait pas la moindre prise. Timothée, loc. cil., col. 52. Ou n’est certes pas tenu de les croire sur parole. Saint Épiphane avait déjà manifesté la crainte qu’une telle conduite ne fût pas exempte de tout reproche moral. Et cette crainte était trop bien fondée, comme le prouvèrent dans la suite l’attitude scandaleuse et les propos licencieux de Lampétius, l’un de leurs chefs, les actes de vol çt de fornication dûment constatés parmi eux, S. Jean i Damascène, Hær., 80, P. G., t. xciv, col. 733, et / l’accusation nettement formulée contre eux par saint Maxime le Confesseur.

Saint Paul avait dit : « Que la femme écoute l’instruction en silence, avec une entière soumission. Je ne permet s pas àla femme d’enseigner, » I Tim., ii, 1 1, 12 ; mais les euchites n’en tinrent pas compte, et c’est pourquoi ils eurent parmi eux des femmes jouant le rôle de docteurs, qu’ils honoraient au-dessus du clergé. Timothée, loc. cit., col. 52.

Du reste, ils écartaient tout texte scripturaire qui pouvait les gêner. Ayant pris à la lettre le conseil du Sauveur : n(j)), r, (TaT£ ta ÛTiâp^ovra ij[x.à)v, xaiù SÔTE È>v£Y, (jioC"Jv/|V TTCrjUaTE éa’jTOtç pa), ), ! y.vTta [j.r| 7ra), acO’j|J.£va, 6-r)'7aupôv avÉxÀsiTCTov £v Toïç o’jpavùïç, Luc, xii, 33, ils avaient tout abandonné, s'étaient généreusement détachés des biens de ce monde et pratiquaient la pauvreté. Il fallait pourtant vivre, et pour cela travailler ; les apôtres en avaient donné l’exemple,

I Cor., IV, 20, et formulé le précepte. Eph., iv, 28. Saint Paul avait même ajouté : « Si quelqu’un ne veut pas travailler, il ne doit pas manger non plus. »

II Thés., iii, 10. Ils entendaient, eux, manger et ne rien faire, forts de cette parole du Sauveur : 'EpYàïeiTÔe

(j.T) TTiV ppwtjtv Tr, v auciÀA’j[j, £vy)v, à).Xà t7-|V [îpùircv Tr|V

[jivo’JTav £Î ; îwriv acwvtov. Joa., VI, 27. Le travail recommandé n’est nullement pour la nourriture qui périt, disaient-ils, mais pour celle qui demeure pour la vie éternelle, et ce n’est point le travail manuel, c’est uniquement la prière. Ces paresseux de parti pris, qui passaient leur temps à ne rien faire ou à dormir, Théodoret, Hæret. fab., iv, 11, P. G., t. lxxxiii, col. 429, innovaient donc étrangement et révolutionnaient l’idéal de la vie religieuse, tel qu’il était compris et déjà réalisé à cette époque ; car on ne se faisait pas à l’idée de moines passant tout leur temps dans la contemplation ou la prière sans jamais s’employer à un travail manuel quelconque. De là, le scandale soulevé et les remontrances que saint Ni ! lançait du Sinaï contre la paresse inculquée « par Adelphius le Mésopotamien et par cet Alexandre qui a naguère troublé Constantinople, » De pauperlate, 21, P. G., t. lxxix, col. 997, allusion au fondateur des acémètes associé ainsi sous la plume de saint Nil à l’un des chefs des euchites. Le moine du Sinaï montrait que leur prétendue à7raÛ£ca, au lieu d’aider à la dévotion et à la piété, donnait lieu à des pensées mauvaises et à des passions coupables, et était au fond l’ennemie de la vraie prière.

Ne se livrant donc à aucun travail pour se procurer ralimentation nécessaire à la vie, les massaîiens, constituant une sorte de frères mendiants, recouraient à la charité publique ; ils allaient même jusqu'à réclamer comme un droit personnel et exclusif la perception des aumônes, puisqu’ils étaient vraiment, eux, les pauvres d’esprit dont parle l'Évangile. Ce n’est donc pas aux veuves, disaient-ils, ni aux orphelins, aux malheureux, aux prisonniers, qu’on doit faire l’aumône quand on la comprend et qu’on veut la rendre méritoire, mais uniquement à eux. Thnothée, loc. cit., col. 52. En conséquence, ils mangeaient à leur faim et buvaient à leur soif à n’importe quelle heure du jour, sans se soucier le moins du monde des prescriptions ecclésiastiques rc’ilives au jeûne, si scrupu-