Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/71

Cette page n’a pas encore été corrigée

-1441

EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS ;

1442

à mille millions de corps. » Il signalait l’insiiffisance dogmatique du système, en poursuivant : " Que tous ces corps pris en des temps et des lieux éloignés soient le corps d’une même personne : sont-ils pour cela le même corps ? Comment, sans la réplication que l’on veut éviter, une âme informera-t-elle chacun de ces mêmes corps, infinis en nombre et disperses par tout l’univers ? Et supposé qu’on admette la réplication de l'âme, pourquoi n’admettre pas aussi la réplication du corps unique de Jésus-Christ ? » Loc. cit., p. 1575. Il se répète parfois encore, probablement sur le témoignage de l’abbé Émery, op. cit.. p. 248, que le janséniste JacquesJoseph Duguet aurait composé contre Varignon le Traité dogmatique sur l’eucharistie, Paris, 1727 ; Dissertations tbéologiques et dogmatiques, Paris, 1727. L’explication de Varignon s'étant accréditée dans une maison de bénédictins, dit Émery, l’abbé Duguet, consulté, s'éleva contre elle, avec beaucoup de force et de véhémence. Nous croyons que ce renseignement est erroné et dû h quelque confusion. D’abord, Duguet s’en prend plutôt à l’opinion exprimée dans les lettres au P. Mestant qu’aux compléments que lui donna Varignon. Il dit, en effet, de l’opinion qu’il combat : « On ne reconnaît dans ce corps ni organes humains, ni figure humaine, ni aucune des lois naturelles, établies pour former l’union de l'âme et du corps ; et l’on ne laisse pas de l’appeler corps humain, comme si le pain demeurait pain et, conservant son être naturel et ses propriétés naturelles, pouvait devenir la seconde partie de la nature humaine dans Jésus-Christ. » Op. cit., p. 288. Cela, c’est la thèse de Desgabets plutôt que celle de Varignon. Ensuite, un abbé bénédictin consultant, sur des différends philosophico-dogmatiques qui troublent sa maison, un étranger, fût-il même Duguet, est un personnage peu probable, on l’avouera. Rien, dans la préface de Duguet, n’insinue qu’il s’adresse à des religieux. D’après un renseignement très vague de Bouillicr, Hist. du cartésianisme, t. i, p. 461, Duguet aurait écrit pour des collègues de l’Oratoire. Cela serait plus probable ; seulement, en 1727, Duguet avait quitté l’Oratoire depuis plus de cinquante ans. Nous osons suggérer une explication plus banale. Nous croyons que l’abbé Émery a consulté, pour se renseigner sur l’ouvrage de Duguet, le Dictionnaire de Moréri. Il y est parlé à l’article : Duquel, de son Traité sur les scrupules, immédiatement avant les renseignements concernant le Traité dogmatique sur l’eucharistie. C’est le premier de ces deux traités qui a été composé effectivement, à la demande du R. P. Dauxi, prieur d’une abbaye de bénédictins, aux environs de Beauvais. Émery aura, par un lapsus de mémoire, rapporté le renseignement concernant l’origine du Traité sur les scrupules, au Traité dogmatique sur ieucharisiie. Si on lit attentivement la V » partie de l'œuvre de Duguet, on se convainc que la proposition qui scandalise l’auteur est celle-ci : le corps de Jésus-Christ n’occupe que l'étendue que le pain occupait ; il est réduit, précisément, à la même mesure. Or, cette proposition, il aurait pu la lire dans les Entreliens de Rohault, qui l’emprunte aux objections d’Arnauld. Duguet lui reproche « d’ouvrir le chemin à de nouveaux systèmes encore plus insoutenables. » Op. cit., p. 287.

Un de ces systèmes, que Duguet dit avoir sous les yeux, est présenté comme il suit : « On prétend que le pain demeure réellement et en substance dans l’eucharistie et qu’il ne devient le corps de Noire-Seigneur qvie parce que son âme et sa divinité s’y unissent. » S’il s’agit là du système de Varignon et non de celui des lettres au P. Mestant, adopté par Desgabets et Cally, il faudrait reconnaître que Duguet laisse échapper à sa critique, très solide et victorieuse, les traits essen DICT. DETUliOL. CATUOL.

tiels du rêve du trop ingénieux géomètre. Quoiqu’il on FOit, l’auteur du Traité dogmatique signale avec force l’obstacle que tous ces systèmes n’arrivaient pas à tourner : la chair du Christ dans l’eucharistie est la chair même née de la Vierge, immolée sur la croix, ressuscitée et siégeant à la droite du Père. « Or, conclut Duguet, aucun nouveau système n’a ce caractère de vérité ; aucun, par conséquent, ne mérite d'être examiné. » Op. cit., p. 293. Il obligeait les défenseurs de ces systèmes à rétracter la négative qu’il avait raison d’appeler hérétique, ibid., p. 282-283, faute de quoi, disait-il, « il ne paraît pas qu’on puisse leur accorder les sacrements. » Ibid., p. 283. Comme le remarque l’abbé Émery, le système de Varignon restait en dessous des exigences du dogme de la présence réelle. Le sens catholique de ce dogme est qu’un corps humain unique, celui qui est né de la Vierge et mort sur la croix, est présent partout où se trouvent des espèces consacrées, gardant les propriétés caractéristiques du pain et du vin. Ce sens implique donc la multilocation du corps du Christ. Or, la critique protestante, à diverses époques, a objecté, aux théologiens et aux controversistes catholiques, cette multilocation comme une impossibilité. L’objection est présentée avec force et non sans habileté dans les Réflexions anciennes et nouvelles sur l’eucharistie, parues sans nom d’auteur à Genève en 1718. Elle nous valut un développement très curieux des idées de Varignon.

Un certain Boullier, ministre calviniste à Utrecht, auteur d’un Essai sur l'âme des bêles, aurait défié, dans un journal hollandais, l’abbé deLignac de fournir une démonstration de la possibilité de la présence corporelle de l’homme en plusieurs lieux. Celui-ci, qui avait successivement quitté l’ordre des jésuites et celui de l’Oratoire dont il avait adopté l’attachement à la philosophie de Descartes et de Malebranche, écrivit contre Boullier un traité ayant pour titre : La présence corporelle de l’homme en plusieurs lieux prouvée possible par les principes de la saine philosophie… par l’auteur des Lettres à un Américain, Paris, 1764. Nous n’avons pu nous procurer l’ouvrage. Barbier, dans son Dictionnaire des anonymes, le signale comme un ouvrage posthume de l’abbé de Lignac, publié par M. J. Brisson. L’argumentation de Lelarge de Lignac, pour autant que nous avons pu la saisir au travers de documents de seconde main, ne manquait pas de dextérité. Si l’homme, disait-il, arrive à concevoir une manière suivant laquelle le mystère de la présence réelle serait possible, à plus forte raison un entendement infini trouvera-t-il, dans l’abîme sans fond de sa sagesse, mille moyens d’effectuer ce qui ne nous paraît impossible précisément que par suite de l'étroitesse de nos pensées. Il produisait ensuite une hypothèse positive, dont le but était de montrer que la multilocation d’un corps n'était pas inconcevable. Bouvier rapporte comme il suit la fiction imaginée par de Lignac. Une même âme peut être unie à plusieurs corps individuels, aussi bien qu’elle est présente aux divers membres d’un corps unique. C’est là, croyons-nous, une idée que de Lignac emprunte à Varignon. Dieu peut ensuite, par un effet de sa toute-puissance, détacher, de l’ensemble du corjjs du Christ, certaines parties, non par une section, mais par un dédoublement réalisé avec soin. Nous conjecturons que cette idée a été suggérée à l’auteur des Lettres américaines par ses études de botanique. La vie des plantes offre, en effet, le spectacle d’organes se nmltipliant par voie de dédoublement. L’opération divine aboutirait ainsi à la production d’un corps organique, uni à l'âme et à la divinité du Christ, né de la Vierge, etc. Rien ne s’oppose à ce que cette opération de dédoublement soit répétée un nombre infini de fois, et ainsi rien ne

V. - 16