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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS ;


penchait plutôt vers le dynamisme leibnitzien. Œuvres, Paris, 1827, l. lii, p. 10.

La définition du corps n’clail pas le seul point sur lequel le cartésianisme allait heurter la conception théologique, alors régnante au sujet du sacrement de l’eucharistie ; l’esprit même et l’inspiration tout entière de la philosophie nouvelle étaient directement opposés à cette conception. Les Pères et les théologiens avaient une conception profondément réaliste des espèces eucharistiques ; Descartes dépréciait les sens et l’expérience sensible. Son nomiiialisnie n’admettait que la substance et ses états concrets, qu’il appelait « accidents modaux » ; par là, il heurtait de front le réalisme thomiste qui conçoit les natures corporelles comme des synthèses réelles, au delà même de la synthèse essentielle ex maleria et forma. La couleur, la saveur, la chaleur, etc., étaient sacrifiées comme valeurs ontologiques transsubjectives ; hors du sujet, les qualités sensibles se résolvaient en pur mouvement mécanique. Ainsi, la tyraimie du concept clair et distinct conduisait Descartes à appauvrir le réel et à ne laisser au corps, en dehors de l’étendue, ce premier attribut au moj^en duquel l’esprit arrive à le penser clairement, que le mouvement local et la figure. De telles théories allaient droit à une sorte d’idéalisme eucharistique. Ce fut le minime Emmanuel Maignan qui se chargea de le formuler. Dédaignant les réticences, il dénia toute réalité objective aux espèces eucharistiques, simplifiant ainsi la première solution, donnée par Descartes aux objections d’Arnauld ; restant dans la logique des théories de Descartes, il précisa : les espèces eucharistiques sont de pures impressions sensorielles, ’produites immédiatement par la causalité divine sur nos organes. C’était, avant Berkeley, un berkeleyanisme restreint à l’eucharistie. C’était aussi l’inadmissible. En effet, la thèse de Maignan modifiait totalement la notion du sacrement, qui, depuis Augustin, était considéré, par analogie surtout avec les autres sacrements, comme un signe sensible objectif de la grâce. De plus, on pouvait se demander quel terme commun reliait désormais, le mystère accompli, le pain transsubstantié et le corps du Christ, terme de cette conversion ; l’action, du moins, des éléments sensibles du sacrement ne demeurait pas univoque, avant et après cette conversion. Le paradoxe n’était-il pas énorme de soutenir que, l’action sensible actuelle venant à cesser, par exemple, lorsque l’hostie consacrée demeurait renfermée au ciboire, la présence sacramentelle, liée à celle des espèces, était supprimée à son tour ? C’était limiter la présence eucharistique dans le temps et la restrcindre à la durée des perceptions sensibles actuelles. Par un autre paradoxe, on se voyait forcé de multiplier le sacrement selon le nombre des individus, ayant à un moment donné et en même temps, la perception sensible des espèces eucharistiques. Incontestablement, c’étaient là des nouveautés. Nous n’avons pu consulter les ouvrages originaux de Maignan, devenus fort rares. Il est probable qu’il s’ouvrit au public de son hypothèse eucharistique dans le vol. i de sa Sacra philosophia sive entis supernaturalis, Lyon, 1662. Sa théorie desespèces intentionnelles fut attaquée parle jésuite Théophile Raynaud, avec son érudition et sa fougue ordinaires. Opéra, Lyon, 1665, t. vi, p. 147, Appendix contra Magnanum ; à le lire, on voit que Maignan avait déjà émis les mêmes vues dans son Cursus philosophicus, Toulouse, 1052, et que dans sa Sacra philosophia qui doit être l’ouvrage que Raynaud appelle la Theologia receniissima de Maignan, celui-ci s’appuyait directement sur le passage des réponses aux quatrièmes objections. Dix ans après, en 1672, parut le ii’= volume de la Philosophia sacra. Il contenait, en appendice, comme nous l’apprend Niceron,

Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres, t. xxxi, p. 351 sq., les réponses de Maignan à Raynaud et aussi aux Pères Nicolas Arnu et Vincent Baron, deux théologiens dominicains, résidant dans le voisinage immédiat de Maignan et enseignant l’un à Perpignan, l’autre à Toulouse. On trouvera un bon exposé du système de Maignan, dans le t. m de la Métaphysique de l’abbé Para du Phanjas, Théorie des êtres insensibles, Paris, 1779, p. 611-630, qui s’efforce de corriger la conception du célèbre minime, en la généralisant jusqu’à en « tirer une explication universelle de tout ce qui concerne la qualité sensible des corps quelconques. » Para remarque justement que la théorie de Maignan eut un grand nombre d’adversaires et aussi d’apologistes et de partisans. Au premier rang de ceux-ci, il faudrait, d’après lui, mettre Bossuet dans son Exposition de la doctrine catholique, ce livre dont l’illustre prélat disait avoir pesé toutes les syllabes. Bossuet, Œuvres, Paris, 1826, t. xxxi, p. 109. Le passage en question se lit au c. xiii qui traite de la transsubstantiation ; les expressions de Bossuet sont bien cartésiennes, mais elles n’excluent pas nécessairement des espèces réelles et objectives. Nous ne pouvons souscrire non plus au jugement de M. A. Humbert qui, dans un compte rendu du travail de M. Lemaire, Revue de philosophie, janvier 1904, p. 55, attribue, non toutefois sans hésiter, à Pellisson, Traité (posthume) sur l’eucharistie, Paris, 1694, l’opinion que l’abbé Para découvre chez Bossuet. Pellisson, à l’exemple de Nicole et d’Arnauld, s’attache étroitement à la tradition et semble plutôt se défier de la spéculation rationnelle en matière de foi. Il nous a paru bien éloigné de combattre l’explication des scolastiques, puisqu’il prend la peine de la justifier longuement. Démonstrations évangéliques de Migne, 1843, t. III, col. 970. Il admet pleinement la réalité des espèces sensibles, lorsque, reprenant la comparaison des miroirs brisés, qui multiplient les présences sensibles d’un seul objet, « comparaison, dit-il, qui n’est pas nouvelle et n’a pas été inconnue à saint Thomas, » il écrit : « Cette présence multipliée s’appeUe communément image, mais n’est pas une imagination comme celle que vous pouvez vous former dans votre esprit : c’est quelque chose de réel et très réel et même de corporel, que nos philosophes appellent espèce, etc. » Ibid., col. 974. Cf. col. 972. Il faut renoncer, croyons-nous, à faire de Pellisson un défenseur des espèces eucharistiques intentionnelles.

Du reste, on était pour ou contre Maignan, suivant qu’on niait ou qu’on admettait les accidents absolus.

Il y eut, dans la seconde moitié du xvii » e siècle et la première du xviii « , une littérature polémique très abondante, spécialement en France, touchant les accidents eucharistiques. Le Toulousain JeanSaguens, disciple de Maignan et minime comme lui, défendit vigoureusement son maître dans sa Philosophia Maignani scolaslica, Toulouse, 1703, et surtout dans un ouvrage, dirigé contre le théologien dominicain Nicolas Gennaro, qui avait attaqué l’hypothèse de Maignan dans son Adversus atomos redivivas. Messine, 1704. L’ouvrage a pour titre : Systema eucharisticum Maignani vindicatum… adversus atomos redivivas. Quare hic cerlatur pro alomis redivivis, quales Maignanus ex Platone hausit, adversus formas semineces arislotelicas in tuitionem prædicli veri systematis cucharistici, Toulouse, 1705. Le titre dit assez les tendances de l’ouvrage ; l’auteur employait la forme dialoguée ; le nom de Pazzius, dont il alïuble le défenseur des idées péripatéticiennes, dénote une intention peu aimable envers l’École. Du reste, toute cette théologie polémique a les défauts du genre : plus de vigueur que de justesse. Gennaro fit donner la réplique à Saguens