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EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS)


donnée au P. Mcslant consistait, comme l’observait Bossuet, « à laisser dans l’eucharistie toute la substance du pain et du viii, en la faisant animer de l’âme du Fils de Dieu, » p. 15. Cf. Arnauld, /oc. cit., p. xxiii. Toutes deux, nous allons le voir, servirent néanmoins de point de départ à des systèmes ultérieurs, dont le vice sera le même : plier le dogme à une philosophie, spécialement à une physique, au lieu de mettre la philosophie au service du dogme. Les systèmes postérieurs de dom Robert Dcsgabets, de Pierre Cally, du matliématicien Varignon se rattachent directement aux théories dangereuses des lettres à Mestant ; celles de Maignan et de son disciple Saguens paraissent dépendre plutôt de la solution indiquée dans les réponses aux objections d’Arnauld. On ignore, en général, que la philosophie eucharistique cartésienne rencontra des oppositions décidées, du vivant de Descartes même.

Le premier théologien qui ait attaqué publiquement l’explication donnée à Arnauld est, croyons-nous, le P. Thomas Compton Carleton, professeur de théologie au collège des jésuites anglais de Liège. Il publia à Anvers, en 1649, un gros in-folio portant le titre de Philosophia universa. L’ouvrage dut être achevé au cours de l’année précédente, car il reçut le 17 septembre 1648, à Liège, l’approbation, non pas du provincial, mais du P. Alexandre Gottifredi, visitant alors au nom du P. Vincent Carafa, général de l’ordre, les provinces d’Angleterre et de Belgique. Nous renvoyons pour plus de détails, concernant Compton, à l’excellent ouvrage de Mgr Monchamp : Histoire du cartésianisme en Belgique, Bruxelles, 1886, qui corrige €t complète sur plus d’un point l’ouvrage déjà cité de Francisque Bouillier. Sept ans à peine séparent la publication de Compton [de celle des réponses aux quatrièmes objections. L’attaque de Compton est vive et pressante ; on la lit avec un extrême intérêt. Le théologien, qui ne voyait pas encore poindre la célébrité imminente de Descartes, en repassant ses thèses de physique, a mis la main, par hasard, sur certains petits volumes, in libellos quosdam incidi ; c’est ainsi que Compton appelle les Mcditationes de prima philosophia et les Principes. Son étonnement a été grand d’y voir un catholique, talis enim, ajoute la parenthèse, se hic aucior ubique profitetur, nier sans restriction les accidents réels, vrai coup d’audace à ne pas tolérer : audax mihi visum facinus, utpole cum principiis fidei aperle pugnans, cujus proinde confutationem hac disputatione suscepi. Avec la concision méthodique que donne une longue pratique de l’enseignement, Compton réduit à dix propositions précises la substance de la réponse à Arnauld. Il accable Descartes sous le poids des témoignages unanimes des théologiens, quitus in re præsertim quæ fidem spécial, contradicere, ingens iemeritas est, impietatis vero insimulare, res plane non ferenda. Cursus philos., disp. XII, Phys., sect. ii. Les derniers mots contiennent une allusion évidente au texte offensant de Descartes : Impii certe hac in parte, quod authoritate Ëcclesise uli velint ad everlendam veritatem. Meditationes, Amsterdam, 1658, p. 164. Descartes est en opposition avec l’autorité de l’Église. Qu’après la consécration, il reste sur l’autel les qualités réelles des substances évanouies, dogma fidei est ab Ecclesia iraditum… et hic est caiholicorum omnium ac totius Ëcclesise sensus. Ibid., sect. Tii. L’érudition de Compton est sérieuse et de bon aloi. Il cite le concile de Trente, celui de Cologne, les propositions de Wyclif et de Huss, condamnées à Constance, et s’écrie victorieusement : Vides in quos scopulos incideris. Impegisli in petram in quam nemo inrurril illsesus. Ibid., sect. m. Le philosophe est particulièrement dur pour la conception cartésienne qui fait de la superficie sensible des matières eucharis tiques comme un léger réseau d’atomes enveloppant la substance : corpuscula quædum fluida intra poros panis et vint contenta, avant comme après la consécration. Il lui oppose la conception théologique de la présence sacramentelle : Sequitur, dit Compton, Christi corpus non eo modo esse sub speciebus, sicut theologi affirmant, nempe lia ul speciebus intime sit prœsens, sed sicut aqua miscetur vino, quse per tenues quosdam mealus sese sibi invicem insinuant, ita tamen ut unumquodque locum sibi proprium occupel, ab alio diversum ac separatum. Ibid., sect. iv. Compton est admirablement au courant de son sujet ; il en a déjà à la théorie des espèces intentionnelles qui était, sans nul doute, en voie de se former : Audio aliam adhuc esse de speciebus sacramentalibus sententiam… dicuni ergo aliqui species eucharisticas… esse quidem accidentia, non tamen realia, sed intentionalia, id est, ejusmodi quæ ad operationes lantum inlentionales ordinentur, visionem scilicet, olfactum, gusium, etc. ; il cite un argument familier aux défenseurs de cette théorie : qua de ccuisa, inquiunt, vocantur a concilia tridentino species. Ibid., sect. vu. Cette opinion lui semble moins hasardeuse que celle de Descartes, puisqu’elle admet quelques accidents réels et qu’elle recourt à un miracle pour expliquer la conservation des apparences objectives : Unde non lam clare est contra deflnitiones Ëcclesise, nec lam aperle ex conciliis convineitur ac præcedens. Ibid., sect. vu. Mais l’honneur de Compton est d’avoir aperçu nettement le point essentiel sur lequel la physique cartésienne devait entrer fatalement en conflit avec le dogme eucharistique : l’étendue actuelle constitue l’essence même des corps : Hœc sententia, écrit le vaillant polémiste, a nullo orlhodoxo sustincri potest ; quare a theologis rcjicitur ut erronea in fide. Ratio est clara : nam in sacrosancta cucharistia est verum et reale corpus Christi et tamen illic non habet actualem exlensionem, secundum longum, lalum et profundum, cum non solum sit tolum sub Iota hoslia consecrata, sed tolum eliam sub qualibel illius parle. Ergo cerlum est in hoc non esse silum conceptum corporis. Hœc si considerasset hic auctor in hanc sententiam non incidisset. Et Compton décoche à Descartes cet épiphonème : Tanti interest ad recte philosophandum, ul quis versatussit in theologicis. Op. cil. Disput. in 1res libros Arislol. de anima, disp. VII, p. 486.

L’histoire et le développement ultérieurs des doctrines de Descartes devaient faire ressortir la justesse des vues de Compton. Si l’essence du corps est identiquement son extension actuelle, le corps eucharistique du Christ n’est donc plus son corps glorieux, présent au ciel, dans ses dimensions naturelles. C’est précisément cette thèse de l’étendue actuelle, essence des corps, et celle qui rejetait les accidents absolus que frappèrent les censures de la faculté de théologie de l’université de Louvain, publiées le 7 septembre 1662 ; les deux assertions y sont déclarées attentatoires à la pureté de la foi. Monchamp, Histoire du cartésianisme en Belgique. Pièces juslificalives, n. 7. On se rappellera qu’Arnauld avait insisté sur ce double point dans sa lettre du 15 janvier 1648. Bossuet, dans le travail que nous avons signalé, s’efforçait de montrer que le cartésianisme pouvait être corrigé sur ce point important, en observant que « sans renverser la définition ordinaire, par laquelle on pose que le corps est la substance étendue, de même qu’on pose que l’âme ou l’esprit est la substance qui pense… et qu’ainsi "on définisse les choses par leur acte, ce n’est pas à dire pour cela qu’on en constitue l’essence dans l’acte même, » Arnauld, Œuvres, t. xxxviii, p. xxvi ; Examen, p. 29 ; c’était corriger le cartésianisme au moyen d’une distinction purement aristotélicienne. Nous savons, du reste, qu’en physique, l’évêque de Meaux