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FIN DERNIÈRE


propre essence, c’est-à-dire à sa nature. La « nature » , au sens technique du mot, est précisément ce principe substantiel premier et intrinsèque d’agir ad fincm, soit par la tendance, soit par le repos dans la possession. Aristote, Pliysic, 1. II, c. i. Cf. A. Mansion, La notion de nature dans la physique aristotélicienne, dans les Annales de V Institut supérieur de philosophie, 1912, t. i ; D. Mercier, Ontologie, 5e édit., Louvain, 1910, p. 460-487.

Cette fin propre, individuelle de chaque être de la nature, c’est sa perfection intégrale possible, à conserver ou à développer dans la mesure où il en est susceptible. Cette mesure de développement est évidemment bien diverse dans un minéral, un végétal, un animal, un honnne, un ange. Mais toujours un être parvenu à sa fin, ou un être fini, parfait (p('r-/fc'/iim, TéXeiov) sont synonymes. Aristote le constatait déjà : téXeiov gj, tô 'É-/r, -i TsXoc. Metaphys.. 1. IV, 24. Cf. Mercier, op. eit., p." 521-524.

Et c’est ainsi, c’est par ce finalisme innnanent de tous les êtres de la nature, que tout va à Dieu, en allant à la participation complète de Dieu, possible à chacun ; pour la création matérielle, en allant aux biens créés que Dieu distribue et fait acquérir par chaque individu de cette création. C’est de cette tendance à un état cosmique parfait qu’il faut entendre le beau texte de saint Paul, Rom., viii, 19-22, oninis crcatura ingemiseit.

Cette thèse de la finalité intrinsèque de la nature est fondamentale dans la cosmologie et la biologie scolastiques, et essentiellement opposée au mécanisme matérialiste comme au mécanisme spiritualiste ou finalisme occasionaliste (Descartes, Leibniz, etc.). Sa démonstration a été esquissée pour la biologie à l’art. Cause, t. ii, col. 2017-2019, 2036. Voir D. Nys, Cosmologie, 2e édit., Louvain, 1906, p. 469-485 ; D. Mercier, op. cit., p. 509-521 ; A. Farges, L’idée de Dieu, 4e édit., Paris, 1900, p. 125-190 ; E. Hugo n. Cursus philosophiie thomisticæ, Paris, 1908, t. vi, p. 193-205 ; E. Thamiry, Les deux aspects de l’immanence, 2e édit., Paris, 1908,

c. I, II.

b) Finalité extrinsèque. — La création matérielle ne pouvant atteindre par elle-même la perfection suprême, but concret nécessaire de la création, c’està-dire la gloire formelle de Dieu, a une deuxième fin essentielle : servir les êtres qui atteignent cette gloire formelle. C’est la finalité de la subordination essentielle des ordres inférieurs aux ordres supérieurs. Ainsi les forces physicc-chimiques sont subjuguées et phées à sa fin propre par la vie, la vie végétative par la vie sensitive, l’animalité par l'âme spirituelle ; ainsi concrètement les végétaux se servent des éléments minéraux, les animaux des végétaux, l’homme de toute créature matérielle, non seulement de fait, mais de plein dj-oit. Sans cruauté inutile, mais aussi sans ridicule apitoiement, l’homme a donc le droit pour son utilité de faire souffrir les animaux, de les tuer, c’està-dire de les priver de la perfection et de la fin individuelle à laquelle ils tendent. Et c’est ainsi que l’homme est le roi de la création sensible et en un sens sa fin dernière.

Mais l’homme lui-même étant pour Dieu, de nouveau à un autre point de vue, tout va à Dieu, à le faire connaître, aimer, glorifier par l’homme, roi et prêtre du cosmos. Voir Homme. Rappelons seulement, contre Origène, que tout cet ordre n’est pas un ordre accidentel, comme si le monde corporel n’existait que pour être la prison des esprits aéchus, mais un ordre essentiel fondé sur la nature substantielle elle-même de l’homme. Voir S. Thomas, Sum. iheol., 1°, q. lxvii, a. 2 ; Enfer, col. 57 sq. ; Origénisme.

C’est un ordre admirablement beau, mis en lumière par les philosophes, voir Aristote, Physic., 1. II, avec

le commentaire de saint Thomas ; Cicéron, De natura deorum, 1. II ; Fénelon, De l’existence et des attributs de Dieu, part. II ; P. Janet, Traité des causes finales, 1. I, c. i-v ; A. Farges, toc. cit. ; Mercier, op. cit., p. 574-580 ; analysé par les savants, par exemple, dans ces excellentes et toutes récentes études de L. Murât, L’idée de Dieu dans les sciences contemporaines, 2 vol., Paris, 1911, 1912 ; d'Élie de Cyon, L’oreille, Paris, 1911 ; de J.-H. Fabre, Souvenirs entomologiques, 10 vol. ; chanté enfin par les poètes et mieux encore par les âmes religieuses. Voir de beaux développements patristiques dans Mgr Landriot, Le Christ de la tradition, t. i, conf. i, ii ; t. II, appendice ; Bossuet, De la connaissance de Dieu et de soi-même, c. iv ; Faber, Le saint sacrement, 1. I, sect. i, m ; 1. III, sect. ii, iv ; Bethléem, part. II, c. VI ; Mgr Gay, Vie et vertus, la foi, passim.

2. Le monde spirituel.

Dieu dirige tout à une fin dernière ; il y pousse tout. Il a le plan de l’ordre universel qui résulte de cette universelle direction et po assée. Ce plan, avec son exécution si on veut, c’est la providence ; cette poussée universelle à la fin, c’est la loi éternelle. L’homme aussi doit tendre, être poussé à la fin dernière, être dirigé par la providence, participer à la loi éternelle ; mais évidemment d’une façon proportionnée à sa nature. Quelle est cette façon spéciale ? D’un mot, c’est la loi morale, l’obligation morale. L’attitude de l’homme en face de sa fin dernière, sa façon d’y tendre, c’est l’obligation imposée à sa liberté.

a) Morcdité et fin dernière. — a. La question des relations de la moralité avec la fin dernière soit abstraite, soit concrète, c’est-à-dire avec le bien et le bonheur infinis, avec Dieu à connaître, aimer, posséder, glorifier, est capitale dans la controverse moderne ; kantisme, pragmatisme, sociologismc, immanentisme : tout système de « morale indépendante » eu d’autonomie pose, en effet, fondamentalement l’homme comme une fin en soi, sans fin dernière divine obligatoirement imposée. Voir Aug. Valensîn, Criticisme kantien, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris,

1910, t. I, col. 742-749, 755-760 ; G. Michelet, Dieu et l’agnosticisme contemporain, Paris, 1909 ; A.-D. Sertillanges. Les sources de la croyance en Dieu, c. vii, p. 239293 ; L. Ollé-Laprune, Le prix de la vie, 12e édit., Paris, 1904 ; A. de Poulpiquet, L’objet intégral de l’apologétique, Paris, 1912, part. II, c. ii, p. 343-375 ; A. Farges, La liberté et le devoir, Paris, 1902, p. 346518. Appuyées, au contraire, sur la raison évidente et sur la foi, la théologie et la philosophie catholiques afiîrment que, pour quiconque ne veut pas se payer de mots, il n’y a pas de véritable morale, de véritable obligation pour notre liberté, s’il n’y a pas de fin dernière absolue

b. Quelciues-uns, il est vrai, prétendent d’abord pouvoir analyser la me ralité, la distinction entre le bien et le mal, sans recourir à la fin dernière. Voir Cathrein, Philosophia moralis, 7'= édit., Fribourg-en-Brisgau,

1911, n. 100 sq., p. 74 sq., surtout thés, xiii, p. 91 sq. Cette position nous semble très inconsistante : la nature des essences, quelles qu’elles soient, est fondement de relations de convenances intrinsèques physiques ; mais il n’y a pas d’ordre vraiment moral sans obligation absolue pour la hberté et, de l’avis à peu près unanime et pour nous absolument certain, l’obligation, unique fondement de toutes les autres, c’est celle de Dieu, fin dernière. Voir V. Cathrein lui-même, op. cit., n. 2Il sq., p. 155 sq. ; L. Billot, Disquisitio de natura peccati, 3'- édit., Rome, 1911, c. i, v. 1-4.

c. On n’est pas d’accord, il est vrai encore, pour préciser sous quel aspect formel l’obligation morale descend de Dieu sur la liberté créée : est-ce de Dieu créateur et moteur universel, de Dieu législateur imposant sa loi, de Dieu essence, type de toutes les es-