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FIN DERNIÈRE


natures et l'être n’est qu’une perfection première dont l’action est la perfection détinitive, le bomini simpliciler. Ce fait est un droit qui s’impose, du moins si nous nous mettons au point de vue de Dieu ; nous prouverons plus loin, en efl’et, que Dieu ne pouvait créer simplement pour que fussent des êtres limités ; il (levait créer pour que des êtres limites le connussent et l’aimassent : ce qui entraîne tout l’ordre dynamique. L’ordre universel dépend donc essentiellement dans son unité, c’est-à-dire dans son existence, d’une cause finale universelle unique, ou d’une fin dernière absolue identique pour toute la création. Voir Cause, t. ii, col. 2035.

Or, peut-on nier l’ordre universel absolu"? Si on peut tout expliquer par le hasard, oui. Voir Hasard. Ou bien, tout par le panthéisme, en n’importe quelle forme, mais toujours incompatible avec une vraie finalité, oui de nouveau. Voir Panthéisme. Ou bien enfin, si on ne veut admettre qu’un ordre définitivement relatif et incomplet, fruit de l'évolution et à compléter par la seule évolution, oui encore. Voir Transformisjie. Mais ces théories sont toutes athées ; leur histoire depuis Descartes à nos jours a été faite à l’art. Création, t. ii, col. 2093-2100.

Logiquement on ne peut admettre Dieu sans admettre l’ordre universel absolu. Nous ne parlons pas maintenant de ces ordres partiels, du monde matériel, par i exemple, ou du monde organique, fondement de la ! quinla via par laquelle saint Thomas, Sum. theol., 1% q. ii, a. 3, démontre l’existence de Dieu ; ces ordres I peuvent, en effet, n'être que partiels et relatifs, accompagnés même de nombreux désordres ; il suffit de pouvoir dire : il y a de l’ordre dans le monde matériel, aliqua… operantur propter finem, pour conclure à une intelligence, existant hors du monde, cause de cet ordre. L’existence de la finalité à ce point de vue restreint a été démontrée à l’art. Cause, t. ii, col. 2017-2019. Cf. Garrigou-Lagrange, art. Dieu, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. i, col. 1063-1074. Mais nous devons considérer ici l’ordre absolu de toute la création : tout être est définitivement dans l’ordre et les désordres eux-mêmes partiels, physiques ou moraux, à un point de vue supérieur, sont tous ramenés nécessairement à l’ordre. Voilà la vérité qui ne peut être démontrée a posteriori et qui nous est certifiée par l’existence même de Dieu. En eflet, tout ce qui sort des mains de Dieu ne peut être de soi que perfection, être, bien ; comme œuvre directe. Dieu ne peut produire l’imperfection, le mal, le néant : il se nierait lui-même, il ne serait plus cause pure et parfaite. La cause comme cause, en effet, ne peut produire que de l'être et de la perfection ; lorsqu’un effet est imparfait et mauvais, cela vient ou de l’impuissance de sa cause ou des conditions de la matière. Pour Dieu, pas d’impuissance. Et, dans l’hypothèse d’une matière imposant des imperfections (mal physique ou moral), la cause peut bien permettre ou produire ces imperfections, en produisant la perfection qu’il veut réaliser ; mais ce ne sera cjue per accidens, en subordonnant essentiellement toute l'œuvre à cette perfection directement voulue, en ramenant donc finalement tout à l’ordre, à la perfection, au bien, à l'être. La création, œuvre de Dieu, ne peut donc être qu’un ordre universel définitivement absolu. Imaginer un Dieu, principe des êtres à la façon d’une force de jaillissement plus ou moins aveugle, plus ou moins panthéiste, comme probablement le Dieu de « l'évolution créatrice » bergsonnienne, voir J. de Tonquédcc, dans les Éludes, 1912, t. cx.xx, p. 506-.517, c’est encore toujours au fond de l’atliéisme. Notre Dieu, être parfait, intelligent et sage, ne peut quc mettre de l’ordre parfait dans tout ce cju’il fait.

Il reste donc bien établi que la création entière, en

ordre définitif absolu, va tout entière à une fin dernière absolue et c’est parce que tout concourt finalement, à son rang et à sa place, à un but dernier dominant de sa sublimité toutes choses, c’est pour cela même que tout est dans l’ordre. Il y a donc une fin dernière universelle absolue.

2° On peut encore établir cette vérité fondamentale en partant, comme saint Thomas, Sum. theoL, I' 11"', q. I, a. 2, de ce principe métaphysique : omne agens agit propter ftnem. L’agent ne peut se mettre à agir cjue s’il est parfaitement déterminé à part lui sur le sens de son action ; supjjoscr une action déterminée venant d’un principe indéterminé serait vouloir tirer l’acte de la puissance, l'être du néant ; le sens précis, le terme de son action doit donc être prédéterminé dans l’agent et ainsi tout agent n’agit qu’en tendant à un but précis, propter ftnem. Voir Garrigou-Lagrange, loc. cit., col. 998-999, 9CS-977, passim. Ces tendances préordonnées à une fin ne peuvent évidemment venir en dernièi’e analyse que d’une intelligence qui n’est plus déterminée de l’extérieur, mais qui se détermine elle-même de façon immanente : toute action suppose donc une intention intellectuelle et volontaire. Mais vouloir une fin, c’est en dernière analyse aussi vouloir nécessairement une fin dernière, c’est-à-dire un bien qu’on aime pour soi et pour rien autre et pour lequel on aime tout ce qui n’est que relativement aimable. S. Thomas, ibid., a. 4. Enfin pour un même être intelligent et pour tout ce qu’il fait, il ne peut y avoir qu’une seule fin dernière ou un seul bien infini définitif auquel tout bien particulier est ordonné. Ibid., a. 5, 6. Pour Dieu lui aussi, par conséquent et pour toute son œuvre, il y a, dans un sens que nous expliquerons, une fin dernière absolue et une seule.

3° En fait, tout ce qui existe est fait par Dieu : par conséquent, finalement, tout doit être pour Dieu : 1. parce que l'œuvre est naturellement pour l’ouvrier : dicitur esse suum alicujus quod ad ipsum ordinatur, tout est le bien de Dieu, c’est-à-dire tout est pour Dieu, S. Thomas, Sum. Iheol., 1% q. xxi, a. l, ad 3°"' ; le principe et la fin ne sont-ils pas identiques naturellement ? En tout cas, le premier principe et la fin dernière ne peuvent qu'être identiques : car tous deux sont l’absolu, S. Thomas, Conl. génies, 1. III, c. xviixrx ; 2. parce que tout tend nécessairement au bien infini, source de toute perfection et de tout perfectionnement, S. Tliomas, Sum. theol., I", q. vi, a. 2 ; <I. XLiv, a. 4 ; 3. parce que Dieu ne pourrait créer pour un autre qu’en se subordonnant à lui, car la volonté se subordonne toujours à l’objet de son amour, sauf identité absolue ; Dieu ne peut donc créer que par amour pour lui-même, pour le bien infini qu’il est et qu’il communique ; en d’autres termes, il ne peut aimer, comme il ne peut connaître toutes choses qu’en lui-même ; tout ne lui est aimable ou bon, comme tout ne lui est intelligible ou vrai, qu’en relation essentielle de simple participation avec son être infini. Telle est l’explication dernière des rapports du fini et de l’infini, avec la raison dernière, formelle, intime, qui fait que tout n’est définitivement bon que suivant sa relation à Dieu. Or, ce pourquoi une chose est définitivement bonne, id cujus gratia aliquid est, est précisément ce qu’on appelle la fin dernière de cette chose. Tout ce qui est a donc une fin dernière absolue, identique, qui est Dieu. Voir S. Thomas, .Sf/zn. theol., I » II'^', q. I, a. 8 ; Conl. génies, ). I, c. lx.xiv-lxxvi ; 1. III. c. xvii-xix ; art. Création, t. iii, col. 2088-2089, 2160. On trouvera, ibid., col. 2104-2166, les principaux textes scripturaires et patristiques concernant cette question.

II. NATURE.

Il faut faire ici une distinction générale, dont l’omission a, croyons-nous, engendré bien des confusions d’idées et de terminologie en cette