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tonise avec tant de conviction, c’est au profit du christianisme.

Reste à savoir si l’exécution vaut l’intention. Ne lui serait-il pas arrivé, selon l’expression de P. Wernle, Renaissance iind Reformation, Tubingue, 1912, p. 68, de « platoniser, d’intellectualiser, d’esthétiser l'Évangile, pendant qu’il théologise et christianise Platon, » ou, en d’autres termes, pour le rapprocher de Platon, de dénaturer le christianisme'? Disons bien vite qu’il fait Platon plus chrétien que celui-ci ne le fut en réalité. Ce n’est pas que toute critique lui manque. En quelques mots, par exemple, il élucide la question de la Trinité dans les écrits de Platon, Epist., 1. XII, col. 237 b : Extra conlroversiam assero Trinitatis christianæ sccrctuni in ipsis plalonicis libris nunquam esse, sed nonnulla verbis quidem non sensu quoqiio modo similia. Mais des réserves pareilles sont rares. Il abuse de la terminologie platonicienne. Quand il dit. De religione christiana et fidei pietate, c. x.xiii, fol. 21b : Quid aliud Christus fuit nisi… divina ipsa idea virtutum humanis oculis manilesta, il emploie une formule ambiguë, que corrige heureusement un admirable contexte. Il reproduit, de Platon et des néoplatoniciens, des théories mal venues, défectueuses, notamment sur l'âme du monde et sur l’astrologie. Est-ce à dire qu’il tombe dans le panthéisme et le fatalisme ? Non pas. En dépit d’expressions isolées, de phrases détachées qui pourraient, à la rigueur, présenter une allure panthéistique, il est évident, à qui lit l’ensemble de ses œuvres, que l’Un transcendant de Ficin ne ressemble pas à celui du néo-platonisme. 11 « afiirme en toute occasion la liberté de l'Être suprême, de même qu’il a sur la providence des réflexions pleines de profondeur. » C. Huit, Annales de philosophie chrétienne, nouv. série, t. xxxiii, p. 367. Quant à l'âme du monde, il ne la confond pas avec Dieu ; il se borne à faire du monde un tout animé, vivant. Cf. De vita, 1. III, c. i-iii, et, à la fin, VApologia quædam in qua de medicina, astrologia, vita miindi, dans l'édition de ses œuvres de Venise, 1516, fol. 151-153 a, 170 a. C’est une erreur philosophique, ce n’est pas du panthéisme. Ficin a cru à l’astrologie. Il tirait des horoscopes. Dans une lettre de félicitations à Jean Nicolini, nommé archevêque d’Amalfi, il lui rappelle qu’il l’avait exhorte, cum adhuc puer esses, à s’adonner à l'étude et à devenir prêtre, quonium et astronomia te magnum in religione virum et physionomia legitimum lum littcris tum moribus sacerdotem mihi fore monstrabat. Epist., 1. I, fol. 42 a. Cf. De vita, 1. III, De vitacœlitus comparanda ; Epist., . V, fol. 125a ; 1. VI, fol. 142 6 ; 1. IX, fol. 200^-201 a, et 1. III, fol. 866-87 ; 1. VIII, fol. 181 fc, deux lettres adressées à Ficin. Amené à s’expliquer sur sa manière de voir, Ficin déclara approuver les attaques de Pic "de la Mirandole et d’Ange Politien contre l’astrologie ; il admit qu’elle n’est pas inutile, que les conjonctions des astres peuvent signifier les clioses liumaines, mais qu’elles ne les causent pas, qu’elles ne suppriment ni la liberté de l’homme ni la providence et le suprême empire de Dieu. Cf. Epist., 1. IV, fol. 113, 120 6-121 a ; 1. V, fol. 137 ; 1. VI, fol. 154 6-155 a ; 1. VII, fol. 166 6169 (divina Icx fieri a cœlo non potest sed forte significari) ; 1. VIll, fol. 182 a ; 1. XII, fol. 238 6-239 a. Ficin eut, en matière d’astrologie, la faiblesse de sacrifier aux idées de son temps ; elle était tellement entrée dans les usages de la vie que certains papes même, et non des moindres. Sixte IV, Jules II, Léon X, Paul III, y ajoutèrent foi. Cf. J. Burclvardt, La civilisation en lt(die au temps de la Renaissance, trad. Schmitt, Paris, 1885, t. ii, p. 289-304 ; L. Pastor, Histoire des papes depuis la fin du moyen âge, trad. F. Raynaud, 2e édit., Paris, 1904, t. v, p. 146-150, et, par exemple, la Vie de Michel-Ange par Condivi, dans Rimee let tcrc di Michelagnolo Buonarroti, Florence, 1908, p. 31, et par Vasari, dans Le opère, Florence, 1832-1838, t. II, p. 975. Ficin ne sut pas se dégager suffisamment des chimères astrologiques ; il évita le fatalisme. Dénoncé pour cause de magie à Innocent VIII, en 1489, il se défendit avec succès. Ce n’est qu’en le confondant avec Pomponius Lœtus qu’on a pu l’accuser de nier l’existence de Dieu et l’immortalité de l'âme, d’opposer la science et la foi. Où il s'égare, c’est dans son « argument » du V'-' dialogue de la République de Platon. Omnia divini L’iatonis opéra, Bâle, 1532, p. 586-588. Contre les calumnius tum maledicorum tum etiam ignorantium, il déclare que la lecture du texte de Platon constitue l’apologie du communisme professé dans ce dialogue : Icgant Platonem ipsum, precor, legant diligenler ac sine invidia fudiant, apologiam (scio quid loquar) nullam desiderabunt. Et il montre Platon constatant que le genre humain per leges distribuentes propria toi sœculis nihil proficere imo vero in deterius quolidic labi, et décidant de tout mettre en commun, scmblable à un sage médecin qui abandonne les remèdes longtemps inefficaces et emploie les remèdes opposés. Il rappelle, d’après Platon, qu’un communisme semblable des femmes, des enfants, des biens, n'était pas absolument nouveau, qu’il avait autrefois existé en Grèce et en Egypte. Ces raisons avaient été développées par le grand cardinal Bessarion, // ! ccdumniatorem Platonis, 1. IV, c. iii, édition de ses œuvres de Venise, 1516, fol. 69 6-72, dans un livre retentissant que Bessarion avait envoyé à Ficin (en 1469, cf. la lettre de Bessarion et la réponse de Ficin, Epist. Fieini, 1. I, fol. 7) et dont r « argument » du V « dialogue s’inspire. Mais Bessarion avait insinué, plus que Ficin, qu’en définitive il plaidait les circonstances atténuantes : rulione ejus œtatis qua Plalo, nulla religione astrictus, mores et jura arbitratu sua slatuebat, haud perperam eum ita sensisse existimo… Num mclius quam cieleri suæ setatis homines senserit, decrevcrit, scripserit, attendendum, non autem quid divi apostoli mclius, quid saneti atquc beati, quid in nostræ religionis professione edocti dijudicaverint atque probaverinl. Et Bessarion précisait qu’il n’entendait pas soutenir Platon en cela, quasi rccte prorsus a Platone scriplum cxislimem. Absii cnim hoc a nobis ut qui rationem didicimus meliorem ritumque sanctæ Ecclesiæ probavinms cum Platone sentiamus. Il est fâclieux que Ficin, voulant défendre Platoij contre ses calomniateurs, les Georges de Trébizonde et les Théodore Gaza, n’ait pas reproduit les réserves de Bessarion. Mais il importe d’observer que nulle part ailleurs il n’approuve les théories communistes du V<= livre de la République ; au contraire, il les contredit indirectement en prenant le contre-pied de ces thèses toutes les fois que l’occasion se présente. Voir, en particulier, Epist., 1. IV, fol. 119 (matrinwnii laus) ; cf. E. Galli, La morale nelle leltere di Marsilio Ficino, Pavie, 1897, et Lostato, la famiglia, l’educazionc seconda le teorie di Marsilio Ficino, Pavie, 1899. Le « culte » de Ficin pour Platon fut excessif, mais non pas autant qu’on l’a dit. Que Pythagore, Socrate, Platon et les autres philosoplies qui vivaient avant le Christ aient pu se sauver, mais non sans la grâce du Christ, c’est ce que l'Église enseigne et ce que Ficin a raison d’admettre. Epist., 1. V, fol. 137 6-138 a. Allant plus loin, il dit qu’ils ont été sauvés. C’est que, pour lui, Socrate est, à beaucoup d'égards, la figure du Christ ; mais, s’il compare la morl du Sauveur et celle de Socrate, il sait faire la différence, et il déclare Socratem, etsi non figura qua Job atque Joannes Baptista, tamen adumbratione forte quadam Christum salutis auelorem quasi, ut ita loquar, signavisse, et il proteste contre ceux qui penseraient Socratem nunc quasi xiiiulum comparari qucm dejen-