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A ses yeux, Socrate est un saint, et il établit entre le Christ et Socrate mourants un « long et sacrilège parallèle. » Platon est un saint, et Ficin lui rend un culte « comme à un Dieu, » et il célèbre la nativité du nouveau saint « par une fête solennelle, empreinte d’un caractère religieux et même mystique. » Par Ficin « tous les rêves religieux et politiques, même les plus obscènes et les plus impies, sont exaltés comme des dogmes bienfaisants et lumineux ; » il professe, entre autres dogmes, « le panthéisme et le fatalisme, c’est-à-dire la grossière impiété de l’âme unique et universelle du monde divisée par parcelles dans tous les êtres animés, et la croyance fataliste à l’influence des astres. » D’autres écrivains ont fait des réserves de détail, tel Médina, De recta in Deiim fide, 1. II, cité par A. Possevin, Biblioiheca selecia de ratione studiorum, Cologne, 1607, t. it, p. 29-30, qui lui reproche ses théories astrologiques, cf. J. Brucker, Historid crilica philosophia’, Leipzig, 1743, t. iv a, p. 52, ou, sans y regarder de près, l’ont fait participer au discrédit religieux qu’ils jetaient en bloc sur les hommes de la Renaissance. Et récemment Mgr Baudrillart, L’Église catholique, la Renaissance, le protestantisme, Paris [1904], p. 23 ; cf. J. Guiraud, L’Église et les origines de la Renaissance, Paris, 1902, p. 302 ; Histoire partiale, histoire vraie, 5^ cdit., 1912, t. ii, p. 190, écrivait : « Rinaldo degli Albizzi déclarait incompatibles la science et la foi ; à la cour des Médicis Marsile Ficin, à celle des papes Pomponius Lætus, professaient de telles doctrines. Même l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme étaient niées par eux. » Que penser de tout cela" ? Marsile Ficin a-t-il été vraiment un pa’i’en plus ou moins conscient, ou même un pa’ien déguisé que Laurent de Médicis — on l’a insinué — aurait poussé à entrer dans les ordres afin de donner le change sur ses intentions et de couvrir du manteau de la religion une entreprise irréligieuse ? Ou bien est-il resté orthodoxe ? Que faut-il penser de son platonisme ? Philosophe, apologiste, prêtre, est-il digne d’éloges ou rnérite-t-il notre blâme ?

En philosophie, Ficin suit de près Platon. Il ne s’attache pourtant pas à lui de façon exclusive. Il connaît saint Thomas d’.quin qu’il salue du titre de splendor theologiæ, qu’il nomme Aqainas noster, qu’il cite dans ses commentaires sur saint Paul et dont il loue chaleureusement un disciple convaincu. Epist., 1. IX, fol. 201 b ; 1. X, fol. 210 b. Il utilise Aristote et ses deux principaux interprètes arabes Averroès et Avicebron, et, loin d’opposer Platon à Aristote, proclame leur accord substantiel. Cf. F. Puccinotti, Dclla filosofia di Marsilio Ficino, dans Nuova anlologia, Rome, 1867, t. v, p. 239. Il met à profit les néo-platoniciens, qu’il regarde à tort comme les légitimes héritiers de Platon et comme des guides sûrs pour connaître sa doctrine et tirer de ses principes leurs conséquences dernières que Platon avait seulement entrevues ou cachées par prudence. Il lui est arrivé de s’égarer sur leurs traces et de devenir involontairement infidèle au platonisme authentique, si bien que quelques-uns ont voulu le rayer de la liste des platoniciens ; c’est dépasser la mesure, et C. Waddington, dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, art. Ficin, n’a pas eu de peine à démontrer que l’école platonicienne de Florence a droit au titre qu’elle porte, que Ficin est comme imprégné de l’esprit et des pensées de Platon.

Tout Platon ne l’intéresse pas au même point. La théorie des idées, essentielle et, en quelque sorte, centrale dans l’œuvre de Platon, n’arrête guère l’attention de Ficin. Ce qui le séduit, c’est l’esthétique et la morale platoniciennes, ce sont ses théories, qu’il ne sépare pas, de l’amour et du souverain bien. Quæ ubique asserebat, dit-il dans son De vita Platonis,

Epist., 1. IV, fol. 112 a, hcec sunt : Deum omnibus providerc, animas hominuni immorlales esse, bonorum prœmia, maloruni supplicium. C’est là principalement et presque uniquement ce qu’il voit dans Platon. Et la raison pour laquelle il préfère Platon à Aristote, c’est que le péripatétisme est la voie, et donc nécessaire, mais le platonisme est le terme ; tandis que le premier considère les choses naturelles qui conduisent aux choses divines, l’avitre montre les choses divines. Epist., 1. VIII, fol. 172 b ; 1. XII, fol. 134 b. Or, ce sont les choses divines, les réalités éternelles, invisibles, qui sont les seules vraies. iip ;.s/., 1. IV, fol. H2 « ; 1.VII, fol. 159 6-160. Les philosophes, absorbés par l’étude des choses naturelles, vivent dans un songe ; Pledo noster, divinis incumbens, vel solus vol maxime omnium vigilabat. Epist., 1. I, fol. 15 a. D’où vient le meilleur des autres philosophes, la supériorité de Platon et des néo-platoniciens ? Ici Marsile reprend et renforce une idée que saint Justin, Clément d’Alexandrie, Origène, saint Augustin, etc., avaient développée avec complaisance, cf. L. Capéran, Le problème du salut des infidèles. Essai historique, Paris, 1912, p. 51-59, à savoir que la philosophie ancienne était une préparation à la venue du Christ, que ce qu’elle avait d’excellent était emprunté aux Juifs, que Platon, en particulier, n’est rien autre, selon le mot de Numénius, qu’un « Mo’îse qui parle attique, » qu’il « suit la loi de Moïse et prédit la loi du Christ, » que les néo-platoniciens ont connu et saint Jean et les écrits de Denys l’Aréopagite et en ont fait usage. Cf. Epist., 1. VIII, fol. 170 6, 178-179a (concordia Mosis et Platonis), 182-183, 184-186 (quantum non Plato salum verum etiam plalonici cum nostra religione consenlicmt ) ; 1. XII, fol. 137 b ; De religione christiana et fidei pietate, c. xxii, xxvi, Paris, 1510, fol. 21 b, 2425, etc. Platon est plus proche du cliristianisme que les autres philosophes, Platon conduit au Christ. Epist., 1. XI, fol. 120 a. Ce n’est pas pour Platon que Ficin étudie Platon, ce n’est pas pour eux-mêmes qu’il traduit et commente les Mercure Trismégiste, les Plotin, les Proclus, etc., c’est pour les services qu’ils rendent à la religion chrétienne.

Mais qu’est-il besoin de Platon quand on a l’Église et, puisqu’on possède les saintes Écritures, pourquoi chercher ailleurs la doctrine de vie ? Ficin ne méconnaît pas l’Écriture ; il s’en sert, il la commente. Maïs tous n’admettent pas la révélation et la Bible. Le rationalisme dévaste un trop grand nombre d’intelligences. Les dogmes sont niés ou révoqués en doute. En particulier, l’averroïsme et l’aristotélîsme alexandrin, avec des formules dîllérenles, rejettent également l’immortalité de l’âme et détruisent toute religion. Si quis tmlem, dit Ficin, Epist., 1. VIII, fol. 181 b, putet tam divulgatam impietatem tamque acribus munitam ingeniis sola quadam simplici pru’dicatione fidei apud homines posse deleri, a ve, -o longius aberrare palam reipsa prolinus convincetur. Ces esprits acuta et quodammodo philosophica, qui se fient à la raison seule, ne recevront la religion que d’un philosophe religieux. Les écrits des anciens philosophes seront un appât pour les attirer peu à peu à la religion parfaite. En ce sens, la renaissance de l’antiquité est providentielle, non dubitares nunc qua potissimum ratione nostra hœc veterum renovatio divinse providentiie serviat. Ce ne sont pas seulement les alexandristes et les averroïstes, ce sont les juifs eux-mêmes

— -des juifs péripatéticiens, il est vrai, qui soutinrent une discussion dans la maison de Pic de la Mirandole

— que Ficin estime difliciles à convaincre nisi divinus Pledo prodeal in judicium invictus religionis scmetæ patronus. Epist., 1. VIII, fol. 182 b. Qu’il y ait de l’illusion dans cette confiance à l’efficacité du platonisme, ce n’est pas douteux. En tout cas, s’il pla