Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/467

Cette page n’a pas encore été corrigée
2233
2234
FEU DE L’ENFER


theoL, disp. CCXLIII, c. vi, accepte en principe l’insuffisance de cette théorie — nous verrons plus loin, avec Suarez, les motifs allégués de cette Insuffisance

— et, pour la compléter, pense devoir distinguer entre les démons et les âmes séparées. En ce qui concerne la peine infligée par le feu aux démons, notre intelligence, déclare Vasquez, n’arrive pas à concevoir un mode d’action différent de cet enchaînement dont parlesaintThomas, et cependant il faut de toute nécessité qu’il y ait un autre mode d’affliction, qui vérifie les miris et occultis modis de saint Augustin. Quel est-il ? Nous l’ignorons, et il vaut mieux confesser notre ignorance sur ce point que d’atTirmer quelque chose sans fondement. Quant aux âmes séparées, ce genre spécial d’affliction est facile à comprendre, il consiste dans l’appréhension de l’âme redoutant par avance les souffrances physiques qu’elle endurera, lorsqu’après la résurrection le feu pourra agir directement sur le corps.

Suarez, loc. eil., u. 37, n’admet pas que la crainte du feu fahir sufflse à expliquer le tourment présent des damnés, et il aftirme sans ambages, n. 38, que les âmes séparées ressentent actuellement, de la part du feu, la même affliction que les démons. Mais il est d’accord avec Vasquez pour afflrmer l’insuflisancc de l’explication des thomistes. D’après Suarez, cette explication, prise exclusivement, n’exprime pas assez les tourments attribués au feu par la sainte Écriture et la tradition ; de plus, si le feu n’a pour résultat que d’enchaîner les esprits, la peine des sens, au purgatoire, serait nulle en comparaison de la peine du dam ; mais ce qui arrête surtout le grand théologien espagnol, c’est que le feu de l’enfer n’aurait aucune action sur les démons sortis de l’enfer, n. 41. Peut-être Suarez n’a-t-il pas suffisamment compris ce que la théorie thomiste ajoutait à celle de Scot : la liste des théologiens qu’il donne, c. xiv, n. 4, partisans de la théorie de l’enchninement des esprits par le feu, et où se trouvent pêle-mêle thomistes et scotistes, semblerait le prouver. L’enchaînement, pour saint Thomas et ses disciples, n’est pas seulement local, extrinsèque à l’esprit, mais c’est une modification qui s’attache aux facultés des réprouvés. Faute d’avoir bien compris la portée de la doctrine thomiste, Suarez accuse à tort cette dernière de ne pas rendre raison des degrés différents que l’on doit admettre dans la peine des sens chez les réprouvés, et de faire de la peine du feu appliquée à l’âme une peine moindre que la peine du feu appliquée au corps. Ce dernier reproche a pour point de départ une illusion de l’imagination, qui transporte, dans le monde des esprits, les images de brûlure et d’enchaînement telles que nous les offre le monde des corps. L’autre reproche reçoit de Gonet, loc. cit., n. 77, 78, une vigoureuse réfutation. Quant à l’argument principal de Suarez contre la doctrine thomiste, l’impossibilité pour les démons de souffrir hors de l’enfer, il faut nous y arrêter un peu plus longuement.

C’est, en effet, l’une des plus sérieuses objections qu’on puisse apporter, non pas seulement contre l’hypothèse thomiste de l’enchaînement, mais contre la doctrine de la peine du feu en général. Si les démons souffrent d’un feu réel, qui les atteint en enfer, souffrent-ils encore de la peine du feu, lorsque, par une IJermission spéciale de Dieu, ils sortent de l’enfer où se trouve localisé le feu ? On a déjà touché à cette question à l’art. Démon, t. iv, col. 404. Dans l’hypothèse de la plupart des Pères, jusqu’au yi" siè le, retardant l’enchaînement du démon après le jugement dernier, il n’y a pas de difilculté : la pensée du supplice qu’ils endureront à la fin du monde les suit partout et les fait partout souffrir. On trouvera dans Petau, De angelis, 1. IH, c. iv, n. 11-19, les citations très nom breuses des Pères, lesquelles permettent de tirer cette conclusion : Usée i(/itur antiquioruni fere theologoriun opinio cxlilit, nondiim if/ne illo sempiterno, ac novissimo, grainssimoqiic siipplicio u/lieidœmoncs, sed hoc in e.xlrcmi jadicii tempus reservari. ïiède le Vénérable est le premier pour affirmer clairement que les démons, quel que soit le lieu où ils se trouvent, subissent les atteintes du feu de l’enfer. In Epist. Jacob., c. iii, P. L., t. xciii, col. 27. Cette opinion devint bientôt l’opinion commune des théologiens. Voir Estius, In IV Sent., 1. If, dist. Vf, § 12. Dans l’hypothèse scotiste, la solution de cette difiiculté n’apparaît pas clairement. Frassen, loc. cit., pose l’objection et la présente dans toute sa force. Il se contente de répondre, citant Rupert, saint Augustin et Bède le Vénérable : Quo~ cumque se vertat diaboliis, seeum defert cruciativam ignem. Le feu accompagnerait donc le démon partout, même en dehors de l’enfer.

L’enchaînement, conçu à la façon des thomistes, résout mieux la dilficulté. Ce n’est pas parce qu’ils quittent momentanément le lieu de l’enfer que les démons perdent la qualité qui résulte, dans le jeu de leurs puissances, de l’action du feu sur eux. Par là, ils retiennent tout ce qui est nécessaire pour les faire souffrir, comme si le feu était encore réellement près d’eux, tout comme un ange bienheureux quittant le lieu du ciel ne perd pas pour cela le lumen glorix qui lui continue la vision béatifique. Ainsi pour nous, sur la terre, tant que dure l’impression sensible, la perception se produit, encore que l’objet de cette perception ne serait plus présent. C’est ainsi, à notre avis, qu’il faut interpréter ce que dit saint Thomas, Siim. theol., l’i, q. Lxiv, a. 4, ad 3°™ : ex hoc ipso quod seiiinl illam alligalioncm sibi deberi, eornm pœna non minuitar, et concilier l’apparente contradiction qui existe entre ce dernier texte et la doctrine du commentaire In IV Sent., 1. II, dist. VI, q. i, a. 3, où le saint docteur admet une action à distance. Voir Démon-, t. iv, col. 396. Avec Jean de Saint-Thomas, nous pensons donc qu’il faut conclure ainsi : non improbabililcr dicl potest quod ignis ille, etsi distans, virtute divina agit in spiritibus in isio aeic existente, non alligando eos loco geliennali, sed eorum potentias hic impediendo ne operentur ubi volant, sed juxla et quod permittuntur plus vel minus, totum lamen opevatur, non ex libilo, sed ex perniisso ignis, n. 30.

Suarez a sans doute confondu la solution thomiste avec la solution scotiste, car il juge nécessaire, pour répondre à la difficulté, de supposer, dans les esprits réprouvés, l’existence d’une qualité « dolorifère » , imprimée par le feu. Cette qualité est, pour les damnés, un objet d’horreur et de répulsion : teiminum productum a gehennali ignc in dœnionc scu spiritu separalo, [dieo] esse qmditalem qimmdam spiriinalem, in sua ordinc doloiiferam, dolore ulique spiriluali, ac proinde tanlo majore, quanto spirilualia superant materialia. D’ailleurs, Suarez avoue que cette qualité est totalement inaccessible à notre connaissance. On doit conclure à son existence, mais on ne pourrait dire ce qu’elle est, n. 4. La théorie de Suarez a été réfutée par Gonet, loc. cit., § 4, 5, et les Salmanticenses, loc. cit., § 5, n. 74, 7.5 ; § C, n. 84.

c) Suarez a cru trouver quelques devanciers parmi les théologiens qui se sont occupés de l’enfer. Il cite, entre autres, Albert le Grand et Durand de Saint-Pourçain ; mais ces deux théologiens, si tant est qu’ils aient professé une opinion diflèrente de celle qui a été exposée plus haut, col. 2228, 2229, sembleraient plutôt se rapprocher d’Henri de Gand et de D. Soto, précurseurs de Lessius.

En ce qui concerne Durand, le seul texte qu’apporte Suarez est extrait du commentaire In IV Sent., I. IV, dist. XL IV, q. xr, n. 15 ; il y est dit que le feu agit