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FEU DE L’ENFER


ginaires, voir plus loin, col. 2232 sq. ; car la première est inspirée par de fausses conceptions qui jettent le trouble dans l'âme, mais la dernière l’est par des images véritables que l’esprit porte en lui-même. Enfin les âmes séparées des corps, les démons qui ont une si grande pénétration d’esprit, croiraient-ils que le feu corporel peut leur nuire, s’ils n’en éprouvaient en réalité aucun donnnage ? Cola n’est pas probable. »

Il faut donc admettre que l’esprit, même séparé de la matière, subit physiquement les atteintes du feu corporel. Si, comme instrument de la justice divine, le feu agit par la vertu même de Dieu et peut exercer son action sur l’esprit de la même manière que les sacrements produisent leur efl’ct dans l'âme en la sanctifiant, il faut en conclure cpi’il doit avoir une action pour ainsi dire naturelle sur l’esprit réprouvé : l’instrument, en effet, garde toujours « son action propre, vis-à-vis de laquelle il reste cause principale, action qui est préalable à son action instrumentale et qui en est comme la préparation. » Voir col. 2226. C’est ainsi que l’eau du baptême lave le corps et sanctifie l'âme. Mais, une substance corporelle ne peut agir naturellement sur un esprit, ni lui nuire en quoi ce soit, ni même l’appesantir, si cet esprit ne lui est pas uni en quelque manière. Or, l’esprit peut être uni au corps de deux manières : — d’abord, comme la forme l’est à la matière, pour ne faire qu’un avec lui, et c’est ainsi que l'âme est unie au corps qu’elle vivifie et dont elle éprouve la pesanteur ; mais cette union substantielle n’est point celle du feu et des esprits réprouvés ; — ensuite, comme le moteur l’est au mobile ou l'être localisé au lieu qui le localise, par l’application de sa puissance à tel lieu, à tel corps et non ailleurs. Voir Ange, t. i, col. 1231. Mais s’il est naturellement possible aux corps de recevoir ainsi l’application d’une puissance spirituelle, il ne peut naturellement retenir cette puissance, toujours libre de se retirer et de se porter ailleurs ou même de ne se porter nulle part. Il faut donc qu’en plus de sa vertu propre qui est de recevoir l’application de la puissance des esprits réprouvés, le feu infernal reçoive, à titre d’instrument de la vengeance divine, la vertu de retenir, de renfermer en lui l’esprit, de l’y maintenir appliqué, et, pour ainsi dire, de l’enchainer à une barrière infranchissable. Dès lors, le feu devient afflictif pour l’esprit : il lui rend impossible le libre exercice de sa volonté, l’empêchant d’agir où il veut et comme il veut. Tel est le résumé de la doctrine de saint Thomas, Sum. theol., IW^ SnppL, q. lxx, a. 3 ; In IV Sent., ]. IV, dist. XLIV, q. iii, a. 3, q. m ; Cont. gentes, 1. IV, c. xc ; De anima, a. 21 ; De veritate, c. xxv, a. 1 ; Quodl., II, a. 13 [35] ; III, a. 23 [j1| ; Compendiam theol., c. clxxx. Cette doctrine ne supprime pas la peine située toute dans l’ordre de la connaissance telle que l’a exposée Duns Scot ; elle est plus complète et donne la raison psychologique de la souffrance des damnés, par la théorie de renchaînement physique — alligatio — des esprits par le feu.

Mais il faut immédiatement préciser toute la portée de cet enchaînement des esprits : il ne s’agit pas seulement d’un enchaînement dans un lieu, mais enchaînement extrinsèque à l’opération des esprits, comme le font très bien remarquer les Salmanticenses, Cursus ttieol., Paris, Bruxelles, 1877, t. viii. De vitiis et peecatis, disp. XV III, dub. ii, n. 39, enchaînement qu’admettent tous les théologiens sans exception ; mais il s’agit d’un enchaîncnient qui saisit leurs facultés mêmes par quelque chose d’intrinsèque qui en arrête les libres opérations : Iijnis torquei dœmoncs per alligationem, non.wlum e.rtrinsecam quoad locum et determinittionem in illo, sed multo nuujis per alligationem intrinsecam, qua ipsir potentiie impediurdur et alliyantur / ; /u.s vel minus in ordine ad suas operationes.

Jean de Saint-Thomas, toc. cit., n. 13. Cette théorie, outre qu’elle explique suffisamment les souffrances des démons en dehors de l’enfer, voir plus loin, col. '2234, s’harmonise parfaitement avec les textes de la sainte Écriture qui nous laissent entrevoir ce qu’est l’enchaînement des esprits en enfer. Jud., 0 ; II Pet., ii, 4 ; Apoc, XX, 2. Saint Thomas ne se contredit pas en affirmant. In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV, q. iii, a. 3, q. III, sol. 3'", ad 4'"" : diccndum quud ignis non agit in animam per modum influentis, sed per nodum detinentis ; il veut simplement dire que le feu n’agit pas sur l’esprit pour l’altérer ou le corrompre. Voir Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 29 ; Gonet, Clijpeus theol. tliom., tr. VII, De cmgclis, disp. XIV, a. 2, n. 47.

Cette théorie a eu un succès extraordinaire en théologie, et non seulement l'école thomiste, mais la plupart des théologiens s’y sont ralliés, quelques-uns cependant en y ajoutant de nouvelles hypothèses que nous examinerons plus loin. Mais, avant de passer outre, il reste à préciser la nature de cette cdligalio. La conclusion de ce qui précède, c’est qu’elle est une réalité physique produite dans l’esprit par le feu, sous l’innuence de la vertu divine qui en élève la force d’action. Saint Thomas, à vrai dire, ne précise nulle part sa pensée sur ce point, et plusieurs de ses commentateurs, par exemple, Capréolus, Defensioncs Iheologiie divi Thomiv Aquinatis, In IV Sent., 1. IV, dist. XLIV, q. iv ; Billuart, Tlicologiu, tr. De angelis, diss. VI, a. 3, §2 ; Sylvestre de Ferrare, 7/i Sum. cont. gent., 1. IV, c. xc, gardent la même réserve. Mais l’existence d’une réalité physique est liée logiquement au système. Banez, Scliolastica commentaria in /ïim Sum. tlieuL, Salamanque, 1584, q. lxiv, a. 4 ; Nazarius, Commentaria et controvcrsiæ in I^'" Sum. theol. sec. Thomam Aquin., q. lxiv, a. 4, controversiu unica, Bologne, 1620 ; Suarez, lac. cit., n. 9, veulent voir dans cette réalité une forme appartenant au prédicament ubi la plupart des thomistes, Cajetan, Opusc. oral., V, Venise, t. m ; Jean de Saint-Thomas, loc. cit. ; Balthazar Navarrette, Con^royers., lxxxvii ; Gonet, loc. cit. ; Salmanticenses, toc. cit., pensent qu’il s’agit d’une qmdilé spirituelle ou d’une motion réductible au prédicament de qualité, qui empêche les facultés des réprouvés de s’exercer librement : Hoc impedimentum, dit Jean de Saint-Thomas, loc. cit., n. 18, seu alligatio potentiarum spiritualium fit per aliquam qualilatem vel impressionem cdicujus modi, seu cujuslibct allerius eiditatis, quæ impedit potentias in executione suarum operationum, nihil ab eis tollendo, sed solummodo impediendo cxecutionem. Le feu reste donc cause efficiente ; cette qualité joue le rôle de cause formelle : dicimns effectum ejus formulem esse reddere potentias quasi languidus et énerves, seu impeditas ne eliciant suas operationes. Ainsi, cette qualité fait agir les facultés des réprouvés dans un sens qui répugne à leur volonté, ou bien empêche l’opération qui répondrait à leur désir. Cajetan, op. cit., fait de cette torture des facultés spirituelles des damnés un développement saisissant, qu’on trouvera en partie reproduit dans Gonet, loc. cit., n. 62, et dans les Salmanticenses, loc. cit., § 4, n. 69. Cette qualité, affectant les facultés, semble devoir être reçue dans les facultés elles-mêmes ; telle est l’opinion courante des thomistes. Voir Gonet, loc. cit., § 2, n. 42. Les théologiens de Salamanque, loc. cit., n. 39, indiquent cependant comme sujet récepteur de cette qualité, non seulement les facultés, mais encore la substance de l’esprit.

b) La théorie thomiste est-elle insuffisante ? En plus de l’enchaînement jjhjsique des esprits par le feu, fautil admettre une action particulière du feu, plus spécialement crucifiante ? La doctrine de Vasquez est une première ébauche d’un système complémentaire de la théorie thomiste. Ce théologien. In /"" Sum.