Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/46

Cette page n’a pas encore été corrigée
1391
1392
EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS)


Qnodl., IV, q. xxxvi, attribue la subsistance des accidents aune vertu positive qui leur serait conférée surnaturellenient. Pierre de la Palu la rejette ainsi que la ]irécédenle. Le passage de Henri de Gand, mentionné par de la Palu, peut effectivement s’interpréter comme le fait celui-ci ; mais, d’après les textes, il semble douteux que l’opinion de Henri ait été réellement différente de celle pour laquelle se décide en dernier ressort le doclor egregius lui-même : Et idco est tertius modus dicendi, quod per nilnl additiim, sed per solam virtiilem divinam subsistunl, nec per hoc quod est ibi corpus Christi, sine cujus præsenlia idem posset fieri. Au cours de cette argumentation à la fois abondante et subtile, les opinions de Durand sont vigoureusement combattues. Celui-ci ayant nié que l’accident soit capable de donner naissance à une substance, de la Palu indique au moins trois manières dont cela pourrait se faire : par la toute-puissance de Dieu, par une influence dérivée de la substance disparue, enfin par la vertu du ciel. Une souris engendre naturellement une souris, avec le concours, toutefois, des influences célestes ; mais quand le même animal naît d’une matière corrompue, alors la production est due intégralement à l’action du ciel. Ainsi, avant la consécration, les qualités naturelles du viii, concurremment avec les influences célestes, transforment en vin une goutte d’eau qu’on leur ajoute ; après la consécration, quando species sunt separatœ…, tune ipsæ virtute cæli et conservantis in codem vigorc générant idem quod prius. Hâtons-nous d’ajouter^que les autres arguments de Pierre de la Palu sont moins de son temps que celui-ci.

L'école franciscaine nous apporte des solutions qui ne diffèrent guère des thèses thomistes. Pour Richard de Middletown, la quantité de l’hostie consacrée sert de support aux autres’accidents. Nier dans sa généralité la thèse de la séparabilité de l’accident, c’est une erreur et hic error estj : onlra illud quod tend Ecclesia de sacramento altaris. Tant que le Christ est sous les espèces eucharistiques, la quantité du pain demeure sans sujet, ut omnes doctores catholici tenenl. Il attaque la doctrine qui identifiait la quantité au corps naturel et multipliait les quantités avec la diversité des qualités. Il ne peut y avoir plusieurs solidités dans un seul corps, objecte Richard, et nous verrons effectivement le nominalisme d’Occam poser l’interpénétrabilité des quantités accidentelles entre elles et avec la quantité essentielle : Ideo, lisons-nous dans la Logique d’Occam, est alia opinio quæ mihi videtur de mente Aristotelis, sive sit hæretica sive catholica, quam mine volo recitare, qaamvis nolim eam asserere… quam niulti catholici ponunt et theologi tenent et tenuerunt quod sciliccl milta quantitas est realitcr distincla a substantia et qualilate, et un peu plus bas, appliquant cette philosophie au dogme eucharistique, il ajoute : Unde de sacramento altaris dicunt, quod, post consecrationem corporis Clirisli, una quantitas quæ præcessit erat eadem realitcr cum substantia panis et illa non manet ; sed prseler illum manel una quantitas quæ est eadem cum qualitede, in qua tamen quantitafe non est aliqua qualitas subjective, sed omnia accidentia post consecrationem, rémanent simul cum corpore Cliristi, sine omni subjecto, quia sunt per se subsistentia. Summa totius logicx, Oxford, 1675, part. I, c. xliv ; De sacramento altaris, c. xvi sq., Strasbourg, 1491.

Richard est, sur ce point, le ferme allié de saint Thomas. Il l’est encore quand, rejetant une vertu substantielle, conférée miraculeusement aux accidents eucharistiques, il déclare naturelle leur action, spécialement leur action nutritive. L’explication qu’il donne de ce dernier phénomène est embarrassée à force d'être subtile : aux accidents eucharistiques

est annexée par voie de création une pure possibilité de conversion, non pas seulement à la forme substantielle, mais aussi à la matière en tant que degré infime ou minimum d’actuahté, possibilité qui dépend de l’existence actuelle des accidents : et per talem possibilitatem, conclut-il, potest ex illa specie compositum ex matcria et forma generari.

Saint Bonaventure rappelle Hugues de SaintVictor et la compilation qui porte le nom de Somme d’Alexandre de Halés. Même quand les solutions sont identiques, on sent chez lui une inspiration différente de celle du docteur angélique ; se sentant en présence d’un mystère, il est moins ferme, moins décidé aussi dans ses réponses que l’intellectualiste aristotélicien qu’est saint Thomas. Bonaventure use de la plus grande circonspection. Que, dans l’eucharistie, les accidents demeurent sans sujet, c’est une doctrine qu’il vous présente en disant : Et hoc communiter tenent magislri, quod accidentia sint ibi sine subjecto. Cela est convenable, car la dévotion et la foi y trouvent leur compte : in soledium sensus et in fldei meritum. Devant la merveille des accidents miraculeusement soutenus, l’intelligence humaine se dépasse elle-même en quelque sorte, en croyant quod totus Christus sit in tam parva hostia. Si vous lui demandez comment de purs accidents peuvent nourrir, il vous répondra que cela peut être dû ou à une conversion des accidents en substance, ou à un retour miraculeux de la substance du pain. Cette dernière opinion est celle d’Innocent III et c’est une raison ]iour que le docteur séraphique la juge probable et sûre : Caveat tumen quisque qualiler intelligit quia in lioc secretum fldei lalet. On songe involontairement à la méthode déductive de saint Thomas, quand on lit ces lignes où triomphe l’humilité de l’esprit : Nec rationi hie multum innitendum est, quia utraque opinio fundedur hic supra miraculum et potentiam opcranlem supra naturam. Quis autem scit utrum Deus sic vel sic faciat, eum uterque modus dicendi satis sit rationabilis et probabilis… Quidquid etiam horum dicatur, dum tamen non asseratur pertinaciter, nutlum est ibi periculum : solum hoc caveatur, ne noslrx capacitatis intelligenlia totaliter in obsequium Christi captivetur. Toutefois, pour Bonaventure comme pour Thomas, la quantité séparée miraculeusement demeure le sujet naturel des qualités. Et il a recours à une comparaison : Si navis per miraculum tevaretur in acre, liccl existentia navis in acre esset miraculosa, temien existentia nautx in navi esset naturcdis. De même, les opérations des accidents eucharistiques demeurent naturelles si l’on envisage leur objet ; elles sont surnaturelles, si l’on regarde le principe de ces opérations qui est la substance, détruite par la transsubstantiation. Somme toute, l'écart entre les deux grands docteurs du xiiie siècle est bien plus un écart de tendances, ayant pour origine deux idiosyncrasies divergentes, qu’un écart doctrinal et objectif.

Avec Scot, nous retombons en pleine dialectique, et la controverse, purement philosophique, s’enfle démesurément. On a peine à se retrouver parmi ce fouihis de distinctions. On assiste à un véritable défilé d’opinions, cpd ne sont mentionnées que pour être aussitôt condamnées. Inutile de dire que saint Thomas est plus d’une fois combattu. La permanence des accidents eucharistiques a pour elle la lettre du livre des Sentences, l’autorité des saints et des arguments rationnels. Scot rejette la proposition de saint Thomas : Dieu confère aux accidents séparés un mode d’existence nouveau, Sum. theol, III » , q. lxxvii, a. 1, ad 4°'" ; Contra génies, . IV, c. Lxv, négation dans laquelle il est suivi par son disciple, Pierre Auriol. Cf. Capréolus.De/e/îSi’onM tliomisticæ. Tours, 1906, t. vi, p. 255. D’après le docteur subtil, l’inhérence actuelle