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FEU DE L’ENFER


giques qui ont progressé en précision avec le temps.

c) Saint Grégoire le Grand parut à une époque où l’opinion du feu métaphorique avait vécu. Il affirme la réalité du feu de l’enfer d’une façon explicite. Dans ses DUiL, 1. IV, c. xxix, P. L., t. lxxvii, col. 368, il pose la question : An ignis inferni corporeus sit ? et il répond : Corporeum esse non ambigo. Cependant les partisans du feu métaphorique soulèvent une difficulté à propos d’un texte où le feu de l’enfer est appelé incorporel, Moral, 1. XV, c. xxix, P. L., t. lxxv, col. 1098 : Ignis corporeus, ui esse ignis valeat, corporeis indiget fomenlis… At contra gchennæ ignis, cum sit incorporcas, …nec studio Immano succcnditur, nec lignis nutritur, sed creatus semcl durât inexlinguibilis. De l’avis des critiques, il faut lire corporeus au lieu à'incorporeus. C’est la leçon suivie par saint Thomas d’Aquin, In IV Sent., 1. IV, dist. XL IV, q. iii, a. 2. Voir la note ajoutée dans l'édition de Migne, toc. cit.

3. Deux observations lucessaires à la solution complète des difficultés patristiques. — La première observation concerne le progrès du dogme des peines de l’enfer. La croyance à une double peine, peine du dam et peine des sens, a progressé, moins en, elle-même, que dans la façon d’en concevoir théologiquement la nécessité. Aujourd’hui les théologiens sont unanimes à faire reposer la double peine sur la double malice du péché actuel : à l’avcrsio a Deo correspond la peine du dam ; à la conversio ad crcaturam correspond la peine des sens. La conception primitive paraît avoir été plus simpliste : la peine du dam, toute spirituelle, se rapporte à l’esprit ; la peine des sens, corporelle, au corps. Les Pères de l'Église ne s’expriment pas toujours si nettement et en termes aussi précis, mais on sent que telle est leur pensée ; on en a la preuve palpable lorsqu’ils attribuent au péché originel des châtiments positifs en enfer ; et, d’ailleurs, plusieurs d’entre eux l’expriment équivalemment. Saint Méthode « soutient la nécessité pour l'âme d’avoir, même avant la résurrection, un certain corps pour être passible et soulîrir du feu, » voir Enfer, col. 65 ; saint Grégoire de Nysse déclare que « l'âme humaine, parce qu’elle est spirituelle, ne pourra jamais être atteinte par le feu, » Oral., III, de resurrectione Doniini, P. G., t. xlvi, col. 680 ; saint Augustin, de son côté, rappelle les différents systèmes qui avaient cours de son temps au sujet du II ver » et du « feu » , voir plus haut, col. 2204 sq., et se heurte à la difficulté d’expliquer l’action du feu corporel sur les esprits. L’hypothèse de la corporéité des démons — on sait combien cette hypothèse a eu de vogue jusqu’au Ve siècle, voir Di ; MON, t. iv, col. 339 — rendait cette explication plus facile ; donc l’hypothèse de leur pure spiritualité nous ramène au mystère : miris rnodis. De même encore, Tertullien, dans celles de ses œuvres. De resurrectione, (. xvii, P. L., t. ir, col. 817 ; De anima, vii, lviii, col. 657, 750, où il prouve que les âmes des damnés souffrent des maintenant le supplice du feu, se croit obligé d’admettre la corporéité de l'âme ; là où il admet la dilation des peines après le jugement dernier, Apologet., c. xlviii, col. 591, il s’appuie sur cette raison que l'âme sans le corps ne peut souffrir.

De cette remarque découle une conclusion : lorsque les Pères affirment simplement la croyance traditionnelle, ils parlent sans hésitation du feu de l’enfer. Mais lorsque pour eux se présente la cjucstion du mode d’action du feu sur les esprits, on saisit une hésitation dans leur pensée et dans leurs expressions. Peu de Pères ont envisagé directement cet aspect du problème du feu infernal, aspect qui fera surtout l’oljjet des discussions théologiques postérieures. Mais ce sont précisément ceux-là — à part Origène et Théophylacte qui ont positivement erré — dont on objecte l’autorité. On a vu plus haut que leur doctrine n'était pas

exclusive de la doctrine traditionnelle : il convenait toutefois d’expliquer pourquoi certains de leurs termes peuvent sembler équivoques.

La deuxième observation se rattache à celle qui précède. Jusqu'à saint Grégoire, la plupart des Pères ajournaient l’entrée dans l’enfer de feu à l'époque de la résurrection, ou, plus exactement, après le jugement dernier. Il n’entre ias dans notre cadr.? de retracer l’histoire de la doctrine relative à la dilation de la peine du feu (il ne s’agit que de celle-là) ; d’ailleurs, elle a été suffisamment esquissée à l’art. Enfer. Pour appuyer une telle opinion, on recourait au texte de Matth., XXV, 41 : Discedite a me, maledicli, in ignem œternum, qui p.in.iTVS EST diabolo et an gclise Jus. Voir Tunnel, op. cit., p. 193. Le texte de saint Matthieu ne signifie pas que le feu est « préparé » et n’exerce pas son action, mais qu’exerçant déjà son action, Dieu l’a créé en vue de la punition des mauvais anges : ainsi l’explique Suarez, De angclis, 1. VIII, c. xii, n. 13. Bien que ce théologien, toc. cit., n. 3, affirme n’avoir trouvé chez aucun catholique l’opinion de la dilation des peines et pense qu’on l’a faussement attribuée à certains Pères, on ne peut souscrire à un jugement si absolu. Voir Enfer, col. 48-8'2, et Petau, De angclis, 1. III, c. iv. Saint Augustin, lui-même, laisse parfois percer cette opinion. De civitede Dci, 1. XXI, c. xxiii, P. L., t. xii, col. 735 sq. Voir A.Lehaut, Z, 'étern17é des peines de l’enfer dans saint Augustin, Paris, 1912, p. 56. Sans doute, en ce qui concerne les âmes des pécheurs, cette opinion n’a pas été généralement soutenue et n’est plus soutenable depuis la définition du concile de Florence, Dccr. pro græcis : Illorum animas, qui in actuali peccalo vel solo originali décédant, mox in infernum descendere, pœnis tamen disparibus puniendis, Denzinger-Bannwart, n. 693, et même auparavant depuis la définition de Benoit XII, n. 531, et la profession de foi de Michel Paléologue, insérée aux actes du II" concile de Lyon, n. 464. Mais en ce qui concerne les démons, cette opinion fut quasi universelle. Voir Petau, loc. cit., n. 1119. Certains théologiens, comme Cajetan, In II Pet., c. II ; Melcliior Cano, In I-^"' Sunj. Iheol., q. liv, a. 4 ; Banez, ibid., pensent qu’elle peut encore se soutenir au regard de la foi, et il faut reconnaître que saint Thomas lui-même, Sum. theol., I » , q. lxiv, a. 4, ad 3°™, s’est prudennnent abstenu de lui infliger une note, bien qu’il ne la considérât pas comme probable. Quoi qu’il en soit, cette opinion n’a pas été sans influer sur les expressions de certains Pères ou écrivains ecclésiastiques relativement au feu de l’enfer. « En adhérant, dit Petau, De angclis, 1. III, c. iv, n. 3, à l’opinion commune qusqu’au vie siècle) que les démons n'éprouvent pas la peine du feu avant le jour du jugement, il faut logiquement admettre qu’en attendant ce jour, les démons sont tourmentés non par un feu corjjorel, mais par un feu spirituel, c’est-à-dire métaphorique. » Ce feu métaphorique n’est autre que la crainte, l’hallucination du feu réel. Après le jugement dernier, les mêmes auteurs qui admettent la dilation de la peine du feu, n’ont plus de motifs de la rejeter pour les âmes désormais réunies à leurs corps ; la difficulté qui subsisterait pour les démons est supprimée, avons-nous dit, par l’hypothèse, généralement admise, de leur corporéité, voir Angélologie, 1. 1, col. 1196 ; Démon, t. iv, col. 339 sq. ; en retenant la spiritualité parfaite des mauvais anges, il faut en venir au mystère, aux miris modis de saint Augustin.

/II. E.sEiaiEMET DES TiiÉOLOGiESS. — 1° Enseignement traditionnel des théologiens ca’holiques en faveur du feu réel. — Les derniers tâtonnements disparaissen' avec la scolastique qui donne au problème du feu de l’enter sa forme définitive. On trouve cependant encore quelques traces d’hésitations sur la peine du feu appliquée aux démons, avant le jugement der-