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FEU DE L’ENFER


doivent faire quelque effort pour en asseoir l’orthodoxie, ideo iyncm pro islu dolorc urenle non incongrue poni potuisse contendant, en s’appuyant sur quelques textes de l’Écriture, par exemple, II Cor., xi, 29 ; Prov., XXV, 20. En second lieu, il revient à son opinion préférée : le « ver » doit être entendu dans un sens métaphorique et se rapporte à l’âme ; le « feu » est la peine du corps ; il faut bien, en effet, que l’âme, comme le corps, soit châtiée en enfer. Mais un scrupule l’arrête. S’il fallait garder le même sens au « ver » et au « feu » , à cause de l’emploi simultané qu’en fait l’Écriture dans ses menaces aux pcclieurs, il préférerait dire que l’un et l’autre appartiennent au corps : ego tamen facilius est ut ad corpus dicam ulrumquc pertinere, quam neutrum. Il est inipossitjle d’ailleurs que la peine du corps ne rejaillisse pas sur l’âme et ne la fasse pas souffrir. Liberté donc pleine et entière de choisir entre la deuxième ou la troisième hypothèse ; mais dans l’une comme dans l’autre, il s’agit d’un feu réel. Pour le ver, voir Enfer, col. 108.

c. Une troisième série de textes représente l’enfer comme un étang de feu, et le feu de l’enfer comme un feu corporel : At vero gehennu illa, quod ciiam slagnuni ignis et sulphuris diclum est (Apoc, xx, 9), corporeus ignis eril, et cruciabit corporii dnmnatorum, mit et hominum et dwnionum, solida hominnm, neria dœnionum ; aut tantum hominum corpore cum spiritibus, dœmones autem spiritus sine corporibus, hserentes snmendo pœnani, non imperliendo viiani corporcdibus ignibus. De civitute Dei, 1. XXI, c. x, P. L., t. xli, col. 725. Cf. De fide et operibus, n. 26, P. L., t. xl, col. 214 ; Enarr. in ps. LVii, n. 17, P. L., t. xxxvi, col. 686 sq.

Certains auteurs ont pensé cjuc saint Augustin avait pu modifier son opinion. Petau, De angelis, 1. III, c. v, n. 6. Cette explication serait admissible s’il ne s’agissait que de corriger le texte du De Genesi ad lilleram par celui du De cii’itate Dei. Mais c’est dans ce dernier ouvrage, et parfois même à quelques lignes de distance, que l’on rencontre les hésitations, puis les affirmations nettes. A notre avis, saint Augustin n’a pas varié et toujours a été convaincu de la réalité du feu de l’enfer ; ses hésitations proviennent seulement de la difficulté de concevoir un feu corporel agissant sur les esprits. C’est toute la question qu’il se pose au c. X du 1. XXI De civitate Dei, P. L., t. xli, col. 724"l’Ib’.Hic occurril quxrcre, si nonerit ignis incorporalis, sicut est animi dolor, sed corporalis, tætu noxius, ut eo possint corpora crucictri, quomodo in eo erit eticun pana spiriluum malignorum ? C’est la diRiculte qui avait déterminé Tertullien à admettre la corporéité de l’âme, P. L., t. ii, col. 697. Voir Ame, t. i, col. 987 ; d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 116. C’est aussi, voir col. 2201, 1a dilTiculté qui a provoqué les hésitations de saint Grégoire de Nysse, et qui suscita, à l’époque de la scolastique, tant de systèmes différents pour expliquer le mode d’action du feu de l’enfer. Voir plus loin. Saint Augustin, pour la résoudre, fait timidement l’hypothèse admise par « certains hommes doctes » d’un corps « formé de cet air épais et humide que le vent apporte parfois, » et qui appartiendrait aux démons, pour leur permettre de ressentir les atteintes du feu. Mais il se reprend aussitôt : « Inutile, afFirme-t-il, de disserter longuement et de se disputer ; clans le cas où les démons seraient de purs esprits, cur enim non diccmuis, quamvis miris tamen veris modis ctiam spiritus incorporeos posse pœnct corporalis ignis affligi, si spiritus hominum, ctiam ipsi projecto incorporel, et nunc potuerunt includi corporalibus membris, et tune poterunt corporum suorum vinculis insolubililer alligari ? » Ce texte a, depuis, fait fortune et sert de base à toutes les explications des théologiens. Voir Démox, t. IV, col. 371.

Il n’y a donc pas d’hésitation possible ; saint Augustin affirme catégoriquement l’existence d’une cause objective des supplices des damnés, et cette cause est le feu corporel. Il ignore son mode d’action sur les esprits, mais ne voit cependant pas plus d’inconvénient à l’affirmer qu’à affirmer l’union mystérieuse et l’action réciproque, très réelle, de l’âme et du corps dans le composé humain. Voir Augustin (Saint), t. i, col. 2452. Mais il n’affîrme pas moins catégoriquement i’état subjectif de l’âme des damnés, état spirituel comme l’âme elle-même ; état dans lequel nous transportons les images du monde des corps, mais qui, en réalité, appartient au monde des esprits. Le chapitre que nous étudions présentement est extrêmement intéressant à cet égard. Après avoir déclaré que le mode selon lequel les esprits sont attachés au corps, et deviennent ainsi partie intégrante de l’être animal, est tout à fait admirable et ne peut être compris par l’intelligence humaine, saint Augustin reprend son explication concernant le feu infernal : « Je dirais volontiers que les esprits, dégagés de tout corps, sont brûlés par le feu, comme était brûlé en enfer le riche de l’Évangile, s’écriant : Je souffre dan^ cette flamme (Luc, XVI, 24). Mais on pourra répondre à bon droit que cette flamme était de même nature que les yeux élevés par le mauvais riche vers Lazare, que la langue pour laquelle il implorait le rafraicliissement d’une goutte d’eau, que le doigt de Lazare d’où il demandait que tombât cette goutte. Or, ce n’étaient que des âmes sans corps. Ainsi donc incorporelle était la flamme qui le brûlait, incorporelle la goutte d’eau qu’il réclamait. » Suarez a été l’un des rares théologiens qui aient compris ces deux aspects, en apparence contradictoires, de la pensée du grand docteur : en affirmant la spiritualité de la flamme, saint Augustin considère Vefjet du feu et non le feu lui-même dont il reconnaît la réalité matérielle quelques lignes plus loin. De angelis, 1. VIII, c. xii, n. 13 ; cf. c. xiv, n. 43. Cliaque fois que saint Augustin nie la corporéité de l’enfer, c’est donc qu’il parle de l’enfer subjectif, des états psychologiques des damnés, états ayant d’ailleurs leur cause objective et très réelle, au moins quant à la peine positive des sens, dans le feu corporel de l’enfer.

Mais il y a plus : saint Augustin ne considère pas l’état psychologique des damnés comme un phénomène purement subjectif, mais il y trouve l’explication du mode d’action du feu de l’enfer. Il ébauche une théorie que nous retrouverons plus tard, au moyen âge, mais condamnée par saint Thomas et son école. En deux mots, la voici : il part du fait psychologique bien connu que des phénomènes incorporels, songes et visions extatiques, par exemple, se revêtent de formes corporelles. C’est ainsi, pense-t-il, que les tourments des damnés, endurés par des esprits, ne sont pas des tourments corporels, mais ils leur ressemblent, et, par là, les lieux infernaux sont des lieux de punition similia corporibus : les âmes, les démons sont comme s’ils étaient unis à un corps et éprouvent ainsi peine et douleur, absolument comme dans les songes, sans que le corps agisse, l’âme ressent en lui tristesse et joie. De Genesi ad littcram, 1. XII, c. xxxii, P. L., t. xxxiv, col. 480 ; De civitate Dei, 1. XXI, c. x, n. 2, P. L., t. xli, col. 725. Mais, encore une fois, si ce phénomène subjectif de représentation explique comment saint Augustin peut parler, en certains endroits, d’enfer et de feu incorporels, ce n’est pas pour autant supprimer la réalité de sa cause objective, c’est-à-dire du feu corporel, dont, â maintes reprises, le saint docteur a affirmé l’existence. Cette affirmation reste néanmoins modérée, connue il a été dit, t. i, col. 2452, parce que l’opinion adverse, à l’époque de saint Augustin, n’était pas encore unanimement condamnée et que la notion du feu réel eu enfer est une de ces notions théolo-