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FENELON


c. XVII, § 2, Innocent XII passa outre, et, le 12 mars 1C99, fut promulgué, sous forme do bref, le décret apostolique qui terminait ce long débat. Le pape condamnait vingt-trois propositions extraites du livre desMaximes ; la IS^concernant le trouble involontaire attribué à Jésus-Christ sur la croix, avait été insérée dans le livre par une méprise du duc de Chevreuse, et ne se lisait pas dans la traduction latine. La note d’hérétique n'était infligée à aucune de ces propositions, lesquelles étaient rejetées comme « téméraires, scantlaleuses, mal sonnantes, olTensives des oreilles pieuses, pernicieuses dans la pratique, et même respectivement erronées. » Les voici :

1° Il y a un état habituel d’amoiu' de Dieu, qui est une chanté pure et sans aucun mélange du motif de l’intérêt propre. Ni la crainte des châtiments ni le désir des récompenses n’ont plus de part à cet amour ; on n’aime plus Dieu ni pour le mérite ni pour la perfection, ni pour le bonheur qu’on doit trouver en l’aimant.

2° Dans l'état de la vie contemplative ou unitive, on perd tout motif intéressé de crainte ou d’espérance.

Z° Ce qui est essentiel dans la direction est de ne faire que suivre pas à pas la grâce avec une patience, une précaution et une délicatesse infinie. Il faut se borner à laisser faire Dieu, et ne parler jamais du pur amour que lorsque Dieu, par l’onction intérieure, commence à ouvrir le coeur à cette parole, qui est si dure aux âmes encore attachées à ellesmêmes, et si capable de les scandaliser ou de les jeter dans le trouble.

4° Dans l'état de la sainte indifférence, l'âme n’a plus de désirs volontaires et délibérés pour son intérêt, excepté dans les occasions où elle ne coopère pas fidèlement à toute sa grâce.

5° Dans cet état de la sainte indifférence, on ne veut rien pour soi, mais on veut tout pour Dieu ; on ne veut rien pour être parfait ni bienheureux dans son propre intérêt, mais on veut toute perfection et toute béatitude, autant qu’il plaît à Dieu de nous faire vouloir ces choses par l’impression de sa grâce.

6° En cet état, on ne veut plus le salut comme salut propre, comme délivrance éternelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de tous nos intérêts ; mais on le veut d’une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir de Dieu, comme une chose qu’il veut et qu’il veut que nous voulions pour lui.

7° L’abandon n’est que l’abnégation ou renoncement de soi-même que Jésus-Christ nous demande dans l'Évangile, après que nous aurons tout quitté au deliors. Cette abnégation de nous-mêmes n’est que pour l’intérêt propre. Les épreuves où cet abandon doit être exercé, sont les tentations par lesquelles Dieu jaloux veut purifier l’amour, en ne hii faisant voir aucune ressource ni aucune espérance pour sjn intérêt propre, même éternel.

8° Tous les sacrifices que les âmes les plus désintéressées font d’ordinaire sur leur béatitude éternelle sont conditionnels. Jlais ce sacrifice ne peut être absolu dans l'état ordinaire : il n’y a que le cas des dernières épreuves où ce sacrifice soit en quelque manière absolu.

9° Dans les dernières épreuves, une âme peut être invinciblement persuadée, d’une persuasion réfléchie et qui n’est pas le fonds intime de la conscience, qu’elle est justement éprouvée de Dieu.

10" Alors l'âme, divisée d’avec elle-même, expire sur la croix avec Jésus-Christ, en disant : O mon Dieu, pourquoi m’uvez-Dous abandonnée ? Dans cette impression involontaire de désespoir, elle fait le sacrifice absolu de son intérêt propre pour l'éternité.

II" fin cet état, l'âme perd toute espérance pour son propre intérêt ; mais elle ne perd jamais dans sa partie supérieure, c’est-à-dire dans ses actes directs et intimes, l’espérance parfaite qui est le désir désintéressé des promesses.

12° Un directeur peut alois laisser faire à cette âme un acquiescement simple à la perte de son intérêt propre, et à la condamnation juste où elle croit être de la part de Dieu.

13" La partie inférieure de Jésus-Christ sur la croix ne communiquait pas à la supérieure son trouble involontaire. 14" Il se fait dans les dernières épreuves, pour la purification de l’amour, une séparation de la partie supérieure de l'âme d’avec l’inférieure… Les actes de la partie inférieure, dans cette séparation, sont d’un trouble entièrement aveu gle et involontaire, parce que tout ce qui est intellectuel et volontaire est de la partie supérieure.

15" La méditation consiste dans des actes discursifs qui sont faciles â distinguer les uns des autres. Cette composition d’actes discursifs et réfléchis est propre à l’exercice de l’amour intéressé.

16° Il y a un état de contemplation si liante et si parfaite qu’il devient habituel : en sorte que toutes les fois qu’une âme se met en actuelle oraison, son oraison est contemplative et non discursive : alors elle n’a plus besoin de revenir à la méditation ni à ses actes méthodiques.

17" Les âmes contemplatives sont privées de la vue distincte, sensible et rélléchie de.lésus-Christ, en deux temps différents… Premièrement, dans la ferveur naissante de leur contemplation… Secondement, une âme perd de vue .Jésus-Christ dans les dernières épreuves.

18" Dans l'état passif, on exerce toutes les vertus distinctes sans penser qu’elles sont vertus : on ne pense qu'à faire ce que Dieu veut ; et l’amour jaloux fait tout ensemble qu’on ne veut plus être vertueux pour soi, et qu’on ne l’est jamais tant que quand on n’est plus attaché à l'être.

19" On peut dire en ce sens que l'âme passive et désintéressée ne veut plus même l’amour en tant qu’il est sa perfection et son bonheur ; mais seulement en tant qu’il est ce que Dieu veut de nous.

20" Les âmes transformées… doivent, en se confessant, détester leurs fautes, se condamner et désirer la rémission de leurs péchés, non comme leur propre purification et délivrance, mais comme chose que Dieu veut, et qu’il veut que nous voulions pour sa gloire.

21" Les saints mystiques ont exclu de l'état des âmes transformées les pratiques de vertu.

22° Quoique cette doctrine (du pur amour) fût la pure et simple perfection de l'Évangile, marquée dans toute la tradition, les anciens pasteurs ne proposaient d’ordinaire, au commun des sujets, que les pratiques de l’amour intéressé, proportionnées à leur grâce.

23" Le pur amour fait lui seul toute la vie intérieure, et devient alors l’unique principe et l’unique motif de tous les actes délibérés et méritoires. Voir, plus haut, Espérance, col. 662-671.

Le bref avait déjà paru lorsque parvint à Rome un mémoire menaçant de Louis XIV, rédigé par Bossuet, qui avait redoute que le pape ne s’en tînt à des canons, et ne condamnât point directement Fénelon. « Sa Majesté, disait le mémoire, voit avec étonnement et douleur qu’après toutes ses instances et qu’après toutes les promesses de Sa Sainteté, les partisans de ce livre (les Maximes) proposaient un nouveau projet qui tendait à rendre inutiles toutes les délibérations, etc. Il serait trop douloureux à Sa Majesté de voir naître parmi ses sujets un nouveau schisme, dans le temps qu’elle s’applique de toutes ses forces à détruire celui de Calvin. Et si elle voit prolonger par des ménagements qu’on ne comprend pas une atïaire qui paraissait être à sa fin, elle saura ce qu’elle aura à faire, et prendra des résolutions convenables, espérant toujours néanmoins que Sa Sainteté ne voudra pas la réduire à de si fâcheuses extrémités. »

Bossuet, au premier moment, accueillit avec joie le bref de condamnation : « L'Église romaine, écrivait-il à son neveu, n’a fait de longtemps un décret si beau et si précis » (31 mars 1699). Des réflexions ultérieures diminuèrent un peu son contentement. « Ce qui a paru ici de plus fâcheux, écrivait-il, c’est le défaut de formalité. Sans bref joint au roi (Bossuet ne connaissait pas encore le bref adressé à Louis XIV), sans aucune clause aux évêques pour l’e.xécution ; sans rien notifier à M. de Cambrai lui-même qui prétendra, faute de cela, cause d’ignorance du tout. » Lettre à l’abbé Bossuet du 6 avril 1699.

Soumission de Fénelon.

Fénelon ne prélendit

point eausc d’ignorance. Le jour même de la fête de l’Annonciation, où il apprit par son frère la condamnation romaine, il monta en chaire et prêcha sur la soumission due à l'Église et aux ordres des supérieurs.

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