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FÉNELON

après la mort du marquis de Louvois, et au plus tard en 1695, avant la mort de M. de Harlay, archevêque de Paris. » Gosselin, Histoire littéraire de Fénclon. part. I, a. 6, sect. m. Le ton de cette lettre est dur ; tous les reproches ne sont pas justinés. Est-il vrai que ceux qui avaient élevé Louis XIV lui aient donné « la crainte de tout mérite éclatant ? » Mais Louis XIV avait compris Turenne, distingue le bourgeois Colbert, admiré hossuet, choisi Fénelon lui-même. Les ministres sont jugés avec une sévérité qui exclut toute justice. Colbert n’avait écarté ni Duquesne ni Vauban ; Louvois n’avait pas écarté Vauban, Catinat, Schonberg. C.Gaillardin. Histoire de Louis A’7V, t. v, p. 444 sq. Ce qu’il faut louer dans cette lettre, c’est la peinture émue que l’auteur y trace des maux de la France, afm d’amener le roi à y remédier. Elle montre l’esprit que le précepteur avait porté à la cour, et l’indépendance qui lui était laissée dans ses fonctions. < Ce ne fut point recueil de sa fortune, » dit Paul Janet, employant un mot Ijicn iirofane. L’écueil fut l’affaire du quiétisme.

Le (jiiiétisme. — Le prêtre aragonais Michel de Molinos avait répandu dans le royaume de Naples tles doctrines qui, retranchant de l’âme tout effort, tout acte, toute résistance aux convoitises de sa partie inférieure, toute espérance de la béatitude promise, toute réflexion sur elle-même, sur l’humanité sainte du Sauveur, sur les attributs de Dieu, sur le mystère de la Trinité, la plongeaient tout entière dans la contemplation de l’essence divine, où elle était censée trouver une pleine quiétude. La constitution d’Innocent XI, Cxlestis paslor (20 novembre 1687), condamna soixante-huit propositions de Molinos ; mais si les pires conséquences de ce qu’on appelait la quiétisine furent rejetées ou n’osèrent plus s’avouer, un quiétismc, adouci sans doute et épuré, allait s’introduire en France dans les ouvrages et par l’influence d’une femme.

Heanne Rouvier de la Motte, veuve de Guyon qui entreprit le canal de Briare, s’était donnée à la pratique des bonnes œuvres avec un dévouement qui lui valut l’estime des évêques de Genève (d’Arenthon) et de Verceil. A ses débuts, on a signalé chez elle des dons éminents, abbé Gombault, M’°^ Guyon, 1910, mais à des vertus que contestèrent la prévention ou la calomnie, elle joignait une imag. nation ardente, qu’exalta encore la direction du barnabite Lacombe. lille écrivit divers livres, étranges par le langage, par la doctrine, par les prophéties qu’ils contiennent : Moyen court de faire oraison ; Explication du Cantique des cantiques, etc. En 1687, l’archevêque de Paris, Harlay, lit emprisonner Lacombe qui (levait mourir fou en 1699, après avoir souscrit, l’année précédente, d’infamants aveux arrachés par la contrainte. M"’^ Guyon, sortie d’une détention de huit mois au couvent de la Visitation Saint-Antoine où elle avait été enfermée par ordre royal, était à cette date (1687) patronnée par d’illustres amitiés. M "> « de la Maisonfort, sa parente, la duchesse de Charost, M’"<^ de Miramion, le duc et la duchesse de Beauvilliers professaient pour elle une affectueuse estime. M""^ de.Maintenon l’avait introduite à Saint-Cyr où sa doctrine était goûtée. Cette doctrine, nous allons la résumer. D’après M « ’» Guyon, même dans la vie présente, la perfection de l’iiomme consiste en un acte continuel de contemplation et d’amour de Dieu, lequel, une fois produit, subsiste toujours à moins qu’on ne le révoque expressément. Il suivait de ce principe qu’une âme arrivée à la perfection n’est plus obligée aux actes explicites, distincts (le l’acte de charité. Dans cet état de perfection, l’âme doit être indilTérente à toutes choses, aux biens spirituels et au salut autant qu’aux biens temporels. Dans eet état aussi, l’âme doit rejeter toute idée distincte et par conséquent même la pensée des attributs de Dieu et des mystères de Jésus-Christ.

C’est en octobre 1688 que Mme  Guyon se rencontra au château de Beynes, près de Versailles, chez la duchesse de Charost, avec Fénelon. Ils ne s’entendirent pas tout de suite. Le futur archevêque était « trop accoutumé à se servir de sa raison, » connue le lui reproche M’"^ Guyon, pour accepter tout de suite une doctrine que recommandait médiocrement le passé errant de la prophétesse. Les affinités de son âme tendre et parfois subtile l’attirèrent cependant vers une doctrine dans laquelle il croyait reconnaître l’enseignement d’écrivains chers à l’Église. Il éprouva pour Mme Guyon une sympathie et une admiration qu’il n’a jamais désavouées. « Je l’estimai beaucoup, écrivait-il ; je la crus fort expérimentée et éclairée dans les voies intérieures, quoiqu’elle fût très ignorante..le crus apprendre plus sur la pratique de ces voies en examinant avec elle ses expériences, que je n’eusse pu faire en consultant des personnes fort savantes, mais sans expérience pour la pratique. » Réponse à la Relation sur le quiétisme, c. i, n. 5. Et à l’abbé de Chanterac qui le représentait à Rome, il mandait : « Pour M « ’» Guyon, ne craignez point de dire qu’en croyant toujours ses livres censurables, ne connaissant point ses visions et ne doutant jamais de ses mœurs, je l’ai estimée, révérée comme une sainte, et crue très expérimentée sur l’oraison » (6 septembre 1698). Fénelon n’est-il pas allé plus loin ? n’a-t-il pas accepté la direction de cette femme, dont sans doute il juge les ouvrages dignes de censure, faute d’une tliéologie sullisante chez leur auteur, mais dont il loue la piété et l’expérience dans les voies de Dieu ? Il faut répondre par l’affirmation si l’on regarde comme authentiques les lettres attribuées à Fénelon par le pasteur vaudois Philippe Dutoit, qui les publia en 1767-1768, et qu’a rééditées en 1907, avec un soin scrupuleux et une rare érudition, AI. Maurice Masson, professeur de littérature française à l’université de Fribourg en Suisse. M. Gosselin les avait écartées de son édition des Œuvres complètes de l’archevêque de Cambrai. Aux yeux du savant sulpicien, l’absence d’esprit critique chez Dutoit, son enthousiasme pour II""= Guyon, les contradictions manifestes que l’on signale entre cette correspondance et les écrits publiés par Fénelon, rendent irrecevable le témoignage du pasteur vaudois. L’excellent abbé Ciosselin, dit M. Maurice Masson, aurait passé outre si ces textes nouveaux lui avaient paru dignes de leur auteur. Mais — et c’est pour lui l’argument décisif qu’il indique en manière de conclusion — cette correstioiidance… aurait déparé l’austère élégance du Fénelon idéal qu’il se plaisait à reconstituer. Donner à son héros une position qu’il jugeait ridicule l’aurait fait souffrir… » Introduction, p. xviii. De fait, si, comme de bons juges le pensent, la correspondance éditée par M. Maurice Masson après Dutoit est authentique, Fénelon en sort amoindri. On s’afflige des puérilités auxquelles se complaît l’ami de.M’"" Guyon, des rêves qu’elle lui raconte, des projets ciu’elle lui e.xpose. Une telle amitié, surtout telle qu’elle ressort du recueil de Dutoit, a été nuisible à son autorité ; elle nuit encore â sa mémoire ; mais lui a-t-elle servi à quelque chose, sinon à provoquer dans son âme, après sa condamnation, une humiliation bienfaisante ? On a écrit qu’avant sa rencontre avec cette femme, Fénelon avait été « un abbé mondain, presque précieux, » et que M""’Guyon lui avait communiqué le recueillement et le goût de Dieu. De celui, dit-on encore, qui sans elle n’aurait été qu’un homme d’esprit, cette demi-sainte, demifolle, a fait un type d’humanité. A de telles assertions, M. Gosselin n’eût pas souscrit, et, j’en suis sûr, il en est beaucoup qui, peut-être sans pousser aussi loin que ce vénérable sulpicien le culte de Fénelon, ne souscri-