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FÉNELON

p. 246. Il n’avait que vingt-deux ans en 1097, lorsque l’archevêque de Cambrai quitta Versailles pour n’y jamais revenir. D’ailleurs, quelles preuves Saint-Simon allègue-t-il de ses assertions ? Assurément, l’ambition imputée à Fénelon aurait été mal avisée de demander des secours à une Compagnie chez laquelle l’injurieux duc et pair se plaît à signaler « l’ignorance, la petitesse des pratiques, le défaut de protection, le manque de sujets de quelque distinction. >

Les félicitations de Saint-Sulpice furent empreintes d’une tristesse inquiète, même sévère.’> En vérité, écrivait Tronson à son élève, votre poste est bien dangereux ; et avouez de bonne foi… qu’il faut une vertu bien consommée pour s’y soutenir… Vos amis vous consoleront peut-être sur ce que vous n’avez pas recherché votre emploi…, mais il ne faut pas trop vous appuyer là-dessus. On a souvent plus de part à son élévation qu’on ne pense. » L’accent de_Bossuet est autre que celui de Tronson ; il exprime la joie du maître qui se retrouve dans son disciple, et de l’ami qui sent revivre dans le neveu devenu précepteur des princes un oncle toujours regretté. Lettre à la marquise de Laval, 19 août 1689.

Les trois fils du dauphin, les ducs de Bourgogne, d’Anjou et de Berri, étaient confiés à Fénelon, mais c’est surtout l’aîné, héritier de la couronne, qui appelait l’attention de la France et méritait les soins du précepteur. On sait le portrait que Saint-Simon a tracé du jeune prince ; après une peinture dont certains traits conviennent à Néron, l’inimitable mémorialiste ajoute : « De cet abîme sortit un prince affable, doux, humain, modéré, patient, pénitent, etc. » Fénelon avait ainsi fait un miracle ; mais ce miracle, Saint-Simon l’exagère non par sympathie pour le précepteur, mais pour relever un prince sur le règne duquel il fondait tant d’espérances. « La plupart des traits dont se compose la première partie de ces peintures… ne peut évidemment se rapporter à un enfant, mais à un jeune homme de dix-huit ans pour le moins. Or, le duc de Bourgogne n’a que sept ans lorsque Fénelon devient son précepteur. S’il était à dix-huit ans tel que le peint Saint-Simon, il s’ensuivrait que les dix premières années des leçons de Fénelon n’ont servi absolument à rien ; et cela, justement dans la période où un enfant est le plus capable de se transformer… Ce qui augmente encore la difficulté, c’est que, lorsque le duc de Bourgogne a dix-huit ans (l’âge auquel peut convenir le portrait trace par Saint-Simon), nous sommes en 1700 ; et depuis le 17 août 1697, Fénelon est exilé dans son diocèse ; sans compter que, pendant les deux années qui ont précédé, il n’a passé qu’un trimestre par an auprès de son élève. En sorte que cette miraculeuse transformation d’une espèce de monstre en une espèce d’ange, Fénelon l’aurait opérée absent et de loin. » Jules Lemaître, Fénelon, leçon ive. La vérité, c’est que, par des soins intelligents, assidus, infatigables, d’un adolescent extrêmement orgueilleux, follement violent, fantasque à l’excès, Fénelon lit le prince irréprochable dont la France espérait tant et qu’elle a tant regretté.

Cette éducation dont la sévérité etîraierait la mollesse contemporaine (les jeunes princes déjeunaient de pain sec et ne buvaient que de l’eau rougîe), mais qui ne connut pas les rigueurs de ce fouet que Montausier prodiguait au grand-dauphin son élève, fut profondément religieuse, elle fut aussi très littéraire. Le duc de Bourgogne lisait l’Écriture et en particulier les livres sapientiaux ; il ajoutait à ces lectures un choix de lettres de saint Jérôme, de saint Augustin, de saint Cyprien, de saint Ambroise. Dans sa Lettre sur les occupations de l’Académie françaiseprojet de poétique — Fénelon rappelle l’étonnante précocité de son élève, les inquiétudes que lepérîl de Joas, et même les larmes que la douleur d’Orphée, une dernière fois séparé d’Eurydice, avaient coûtées à l’enfant, lecteur charmé de Racine et de Virgile. L’histoire tenait aussi dans cette éducation une large place ; nous le savons par ces Dialogues des morts, que le précepteur composait au fur et à mesure que le prince avançait dans la connaissance des auteurs et des faits historiques ; nous le saurions sans doute par cette Vie de Charlemagne, œuvre de Fénelon, laquelle périt probablement, en février 1697, dans l’incendie du palais archiépiscopal de Cambrai. Le Télémaque aussi, qui doit dater des années 1693, 1691, fut écrit pour l’éducation du duc de Bourgogne. Lorsqu’en 1099, au lendemain de la condamnation des Maximes des saints, le Télémaque parut par l’indiscrétion d’un copiste, les mécontents, nombreux en France, et l’Europe y virent une satire de Louis XIV et de son gouvernement ; de là, une partie du succès de ce livre. Dans cette œuvre, où une pensée chrétienne se dissimule sous des symboles empruntés à Homère et à Virgile, et où le lettré peut, avec Chateaubriand, admirer, connue dans toutes les autres œuvres du même écrivain, des longueurs et des lenteurs de grâces (c’est Chactas qui parle ainsi dans les Natelie :), on ne cherchera pas les plans politiques de Fénelon (Mentor s’y souvient trop quelquefois des théories antiques qui sacrifiaient l’individu et la famille à l’État) ; mais on rencontre l’esprit de gouvernement qu’il voulait inspirer à son élève. Jusqu’à la fin, Fénelon a déclaré qu’il n’avait jamais eu l’intention de peindre et de critiquer Louis XIV. « Pour Télémaque, écrivait-il au P. Le Tellicr, … je l’ai fait dans un temps où j’étais charmé des marques de confiance et de bonté dont le roi me comblait. Il aurait fallu que j’eusse été non seulement l’homme le plus ingrat, mais le plus insensé pour y faire des portraits satiriques et insolents. J’ai horreur de la seule pensée d’un tel dessein. » Au P. Le Tellier, Fragments d’un Mémoire sur les affaires du jansénisme, et sur quelques autres affaires du temps, 1710.

Laissons le duc d’Anjou qui porta sur le trône d’Espagne un regrettable mélange d’étroits scrupules et de vertus royales, et le duc de Berri qui n’eut que peu de temps Fénelon pour maître. On s’est demandé si, malgré des soins assidus, malgré des qualités rares auxquelles Saint-Simon a rendu un hommage presque attendri, le duc de Bourgogne a été le prince modèle, et s’il eût été le roi idéal que Fénelon s’était appliqué à former. Depuis plus d’un demi-siècle, l’histoire a jugé avec sévérité l’élève et le maître, le maître plus encore que l’élève. On a reproché au maître de n’avoir corrigé son élève qu’en le matant, on s’est même effrayé par avance d’un règne qui n’a point commencé. S. de Sacy, supposant que le duc de Bourgogne devenu roi eût fait de son ancien maître un premier ministre, écrit : « Avec Fénelon à Versailles, jamais le duc de Bourgogne n’eût pu être que le sujet et l’élève… Peut-être vaut-il mieux pour tout le monde que Fénelon soit resté un grand évêque exilé, le duc de Bourgogne un jeune prince enlevé à l’amour de la France. » Variétés littéraires, morales et historiques, t. i, p. 64-65. Mieux cependant eût valu sur le trône le duc de Bourgogne que Louis XV ; mieux eût valu Fénelon premier ministre, même parfois trop autoritaire ou trop minutieux, que le régent, Dubois, le duc de Bourbon, voire le cardinal Hercule de Fleury.

Fénelon à l’Académie. — C’est durant son préceptorat, et comme précepteur des enfants de France, que Fénelon fut élu membre de l’Académie française, où il fut reçu par Bergeret en remplacement de Pellisson (31 mars 1093). C’est aussi au temps de son préceptorat qu’il écrivit cette lettre anonyme à Louis XIV dont l’authenticité est incontestable. « On voit, par le contexte, qu’elle a dû être écrite au plus tôt en 1691,