Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/35

Cette page n’a pas encore été corrigée
1369
1370
EUCHARISTIQUES (ACCIDENTS ;


réalité invisible du mystère. Pour battre en brèche le dogme de la transsubstantiation, Wyclif n’invoque pas seulement l’Écriture ; il insiste, en rationaliste, sur la force, qu’il juge décisive, de l’expérience externe : Ideo, écrit-il, vel oporlet verilalem Scripturæ suspendere vel cum sensu ac jiidieio liumano concedere quod est panis. Trialogas, édit. Lechler, Oxford, 1869, 1. IV, c. IV. Le sacrement lui paraît compromettre la certitude sensible ; dès lors, la transsubstantiation n’est qu’une impossibilité, une hérésie : Supponamus ergo, quod inter omncs sensus exlrinsecos, quos Dcus dat homiri, lactus et gustus sunt in suis judiciis magis ccrti ; scd illos sensus hæresis ista confundcrel sine causa, foret ergo antichristianum sacramentum quod islud faceret. Ibid., 1. IV, c. v. Guillaume de Paris raconte l’histoire d’un prêtre, vraisemblablement partisan de Bérenger, qui, espérant prouver expérimentalement la persistance du pain et du vin naturels dans le sacrement, s’abstint de toute réfection corporelle autre que celle qu’il trouvait dans la matière eucharistique dont il consacrait une quantité qu’il estimait suffisante à entretenir la vie. Mais un miracle, dit Guillaume, lui enleva le bénéfice espéré de l’épreuve : Infra paucos dies deficiens, absque alterius morbi occasione, ipso experimenio doctus dicere (discereV ) potuit, non subesse Jormis illis, quod corpus ejus nulrire vel suslentarc valerct, et Guillaume en apporte une preuve toute philosophique : cum subsiantiam impossibile sil nulriri accidenlibus. Tractatus de eucharistia, c. ii. Opéra onmia, Paris, 1674, t. i, col. 1. Cf. Die Sentenzen Rolands, édit. Gietl, Fribourgen-Brisgau, 1891, p. 233. L’expérience, du reste, ne se limite pas à la sphère des expériences humaines ; elle se prolonge au delà. Déjà saint Jean Damascènc signale le cas, qui n’a pas dû être toujours chimérique, des saintes espèces servant d’aliment aux souris et aux vers. Le corps du Seigneur n’est pas seulement brisé avec respect par les fidèles ; parfois il est souillé par des mains scélérates ; il devient la proie des animaux dépourvus de raison. Z)e corporeel sanguine Christi, Opéra omnia, édit. Le Quien, Venise, 1748, t. I, p. 659. Le fait est devenu un argument sous la plume de Wyclif ; il raillait les partisans de la transsubstantiation d’ignorer ce que savent les bêtes : Mures enim et alise bestiæ istud noscunt, eum secundum philosophas de suo esibili habent nolitiam… Mures autem habent servalam nolitiam de panis substantia sicut primo, sed istis inftdelibus islud deest, op. cit. c. v ; sur ce point particulier, l’enseignement des docteurs catholiques a fléclii un instant dans le sens idéaliste. Alger de Liège, De sacramenio, 1. II, c. i ; Guitmond d’Aversa, De sacramento, 1. II, édit. Vlimmerius, Louvain, 1561, p. 48, ont paru traiter de pures apparences, les brèches pratiquées par la dent des rongeurs dans les espèces consacrées. Voir col. 1127 sq. Il est donc indéniable que le contraste est énorme entre l’expérience sensible qu’implique l’usage du sacrement et la croyance qu’impose le dogme de la transsubstantiation. Celui-ci ne force-t-il pas précisément à tenir l’expérience pour non avenue, dans la mesure où elle prétendrait conclure de la présence des activités spécifiques à celle de leurs principes naturels ? Une évidence sensible, certaine dans ses limites propres, affirme la présence des qualités spécifiques du pain et du vin ; la foi interdit d’attribuer ces qualités à leurs possesseurs naturels. C’est le sacrement lui-même en tant que signe sensible et objet en même temps de croyance qui pose directement, je ne dis pas le problème des « accidents » — ce mot, en efïet, suppose le problème résolu dans le sens de la solution péripatéticienne — mais le problème de la manière d’être, des condit ons d’existence, des qualités sensibles.

IL La période patristique. — Il n’est pas étonnant que le problème des espèces eucharistiques se soit posé relativement tard devant la pensée chrétienne. Elle ne pouvait être amenée à le poser avec quelque précision que par la conception du changement eucharistique sous forme d’une transsubstantiation. C’est seulement devant une pensée en possession, sinon de cette formule, au moins de son contenu dogmatique, que les qualités sensibles, détachées de leurs soutiens naturels, posent le problème de leur existence isolée. Les théologiens, qui ont voulu retrouver chez les Pères de l’Église la théorie métaphysique des accidentia sine subjecto, théorie qui n’est certainement pas antérieure, croyons-nous, au premier quart du xii"e siècle, tombent dans une singuhère erreur de perspective et aboutissent, en somme, à un anachronisme. Sans doute, la pensée des Pères est réaliste ; ils objectivent les qualités sensibles ; il n’est pas sérieux de leur prêter, comme l’ont fait des cartésiens, une théorie qui fait des espèces eucharistiques des espèces « intentionnelles » , mais, quand on aura accumulé à plaisir les textes prouvant que les Pères étaient bien éloignés de soupçonner sealement la doctrine qui pourrait s’appeler le docétisme des espèces, aura-t-on démontré pour autant qu’ils aient entrevu ou pensé, distinctement surtout, la doctrine des espèces sans sujet ? Nous ne le pensons pas. Il ne suffit pas, en efl’et, qu’un texte affirme l’objectivité des qualités sensibles du sacrement ; il faut qu’il affirme en même temps une conversion des substances, qu’il soit impossible d’interpréter dans le sens dynamiste d’une efficacité nouvelle et surnaturelle conférée aux matières sacramentelles. Pour qu’un texte patristique puisse être invoqué en faveur de la solution péripatéticienne, il ne suffit pas qu’il exprime la croyance à la permanence des qualités sensibles, il faut surtout qu’il nie la permanence de l’élément substantiel d’où émanaient, il y a un instant encore, les propriétés sensibles persistantes. Certaine exégèse traite les textes un peu comme ces équations algébriques qui finissent toujours par rendre ce qu’on y met. C’est ainsi qu’au xviiie siècle le bénédictin Vérémond Gufl, professeur de théologie à Prifling, dans son ouvrage : Examen Iheologicum pliilosophiæ neolericæ, epicurese, carlesianæ, Icibnitzianse, wolfianse, Ratisbonne, 1760, transforme aisément les Pères du xie siècle en partisans des accidents absolus. Après avoir posé la thèse : In sacramento eucharisliæ existunt aeeidentia absoluta, op. cit., p. 76, et l’avoir prouvée scripturairement, il annonce bravement l’argument patristique et écrit : Probatur 2° ex Pairum sententiis, usque ad sxculum VI. Op. cit., p. 78. Suit un texte emprunté au pseudo-Denys, qu’il place encore au 1°='e siècle, texte bien trop inconsistant pour y suspendre une thèse qui suppose une analyse métaphysique à laquelle on était loin de songer à cette époque ; puis Justin est amené comme témoin du péripatétisme eucharistique du iie siècle dans les termes suivants : S. Justinus in Apologia narrai, quomodo fiât et dislribuatur eucharistia : Qui apud nos vocantur diaconi, distribuunt, ait, unicuique præsentium, ut participel eum, in quo gratiæ actæ sunt pancm, vinum et aquam. Et l’auteur de conclure avec une sérénité faite pour effrayer : Res ergo pHysicAS. Reste à voir si, dans la pensée de Justin, cet élément physique objectif s’identifiait aux accidents des péripatéticiens. Nous pensons que Justin est loin d’avoir une théorie de l’eucharistie et qu’il pose le réalisme liturgique, inspiré par la formule d’institution du sacrement, sans l’expliquer. Le même procédé, trop leste, est appliqué par Gu 11 à trois textes qui appartiennent respectivement à Irénée, Tertullien et Origène. Irénée, Cont. hier., l. IV, c. xviii, 5, P. G., t. VII, col. 1029, discerne dans le pain con-