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1889
1890
EXTASE


une vision, une connaissance de foi, mais de foi plus élevée.

Comment se fait cette élévation de la foi ? Les théologiens répondent : par les dons du Saint-Esprit et surtout par le don de sagesse. Sans doute ce don est accordé à tous les chrétiens, et tous les chrétiens ne sont point des extatiques ; mais les âmes favorisées d’extases le reçoivent avec plus d’abondance et dans un degré supérieur, alliovi gradii ; c’est une des grâces gratuitement données que le Saint-Esprit distribue comme il veut. Iste f/rudas sapientiæ non est communis omnibus hahentibiis gratiani graium jacicnlem, sed mugis pcrtincl ad gratias gratis datas, quas Spiritiis Sandiis distribiiit prout vult. S. Thomas, Sum. Iheol., IIa-IIæ » , q. XLV, a. 5.

A ce don de sagesse certains théologiens, et parmi eux Benoît XIV qui fait sien le texte de Laurent Brancati que nous avons cité, joignent le don d’intelligence, comme aidant lui aussi à cette élévation de la foi nécessaire à l’extase ; quelques autres, en très petit nombre, y ajoutent le don de science. A.-M. Meynard, Traité de la vie intérieure, t. ii, p. G7 sq.

De plus, les théologiens et les mystiques sont unanimes à reconnaître dans l’extase une action spéciale de Dieu sur l’inteUigence et la volonté. Toute contemplation surnaturelle — et l’extase est une contemplation surnaturelle — est plus passive qu’active. L'âme, sans doute, n’y cesse pas d’agir, mais Dieu aussi agit sur l'âme, qui se trouve à la fois et active et passive. Considerandnm est qiiod si virliis, giiec est actionis prineipium, ab alia siiperiori virtiite movcatiir, operalio ab ipsa procedens non solum est actio, sed passio ; in quantum scilicet procedil a virtute quee a superiori movetur. S. Thomas, De unione Verbi, q. unica, a. 5. Saint Jean de la Croix écrit ; « Dans cet état (la contemplation), c’est Dieu qui agit particulièrement en elle. Lui-même l’instruit et répand en elle ses connaissances infuses. Il lui comnuuiiciue, dans la contemplation, des biens spirituels qui sont tout à la fois sa connaissance et son amour. » La rive jtammc d’amour, str. iii, § 5.

Dans tout acte de connaissance il y a un objet qui est connu et une intelligence cqui connaît ; dans l’extase, l’action divine peut atteindre et l’intelligence cjui connaît et l’objet connu ou plus exactement les espèces intelligibles par lesquelles, suivant la thèse scolastique, cet objet est connu.

L’action divine, dans l’extase, grandit l’intelligence par une lumière spéciale qu’elle y répand et qui la fortifie ; cette illumination peut se faire parles dons du Saint-Esprit.

L’action divine, dans l’extase, « excite, arrange, et quelquefois présente, toutes nouvelles les espèces intelligibles. » Scaramelli, Directoire mystique, 1. II, c. VIT, n. 77. Cette action a comme trois degrés. Au premier, les espèces intelligibles deviennent plus parfaites au moyen d’un secours spécial de Dieu ; au second, ces espèces, naturelles dans les éléments dont elles sont formées, sont coordonnées, combinées, arrangées d’une manière surnaturelle ; au troisième, les espèces sont infuses et formées directement par Dieu, sans éléments préexistants. Philippe de la Sainte-Trinité, Sum. tlieol. mijst., part. II, tr. III, dise. II, a. "2.

Dans tout acte d’amour il y a une volonté qui aime et un objet aimé ; l’action divine, dans l’extase, atteint l’une et l’autre : la volonté par l’amour que le Saint-Esprit répand abondamment dans l'âme, l’objet aimé par la sagesse également infuse.

Est-ce l’amour de la volonté, est-ce l’illumination de l’intelligence qui cause l’extase ? c’est tantôt l’un et tantôt l’autre, s’il faut en croire les théologiens, et même parfois les deux réunis. Tribus de causis anima

LllCT. Lie tiikoi.. cathol.

in alienationcm adducitur, aut præ magniludine devolionis, aut præ magnitudine admirationis, aut prie magniludine exultationis. Th. de Valgornera, TiieoIngia mijslica divi Thomæ, q. iv, disp. II, a. 17, n. 11. Ecoutons saint François de Sales : « L’entendement entre quelquefois en admiration vojant la sacrée délectation que la volonté a en son extase, comme la volonté reçoit souvent de la délectation, apercevant l’entendement en admiration ; de sorte que ces deux facultés s’entrecomnumiquent leurs ravissements, le regard de la beauté nous la faisant aimer, et l’amour nous la faisant regarder. On n’est guère souvent eschauiïc des rayons du soleil qu’on n’en soit esclairc, ni esclairé qu’on n’en soit eschauffé ; l’amour fait facilement admirer, et l’admiration facilement a mer. » Traité de l’amour de Dieu, 1. YII, c. v.

D’ailleurs, si l’extase ne fait qu'éclairer l’intelligence, il faut s’en défier, l’extase divine agit toujours sur la volonté qu’elle émeut, échauffe et remplit d’une puissante affection envers Dieu. La contemplation parfaite en effet, dont l’extase fait partie, n’est pas une connaissance quelconque de Dieu, mais une connaissance essentiellement amoureuse : c’est l’enseignement de tous les maîtres.

Les théologiens, ce sont eux surtout que nous avons interrogés jusqu’ici, nous disent comment les choses peuvent se passer dans l’extase, il convient d’entendre les mystiques raconter eux-mêmes leurs extases ; leur expérience sera peut-être plus complètement lumineuse que les raisonnements des théologiens ; ils sont des témoins et parfois fort intelhgents cjui racontent ce qu’ils ont vu et senti. Je sais bien que de grands théologiens furent de grands mystiques, saint Thomas, par exemple ; aussi les écouteronsnous volontiers, lorsque, comme saint François de Sales et saint Jean de la Croix, pour en citer deux autres et des plus illustres, ils nous feront part de leurs expériences mystiques.

Comment se présente donc le phénomène de l’extase, chez les mystiques ?

On constate, chez les extatiques revenus à euxmêmes, une sorte de stupeur qui se traduit par une impossibilité de dire ce qu’ils ont vu. « Venons aux sentiments intimes de l'âme en cet état. Si quelqu’un peut nous les dire, qu’il le fasse. Moi, je regarde comme impossible de les connaître, plus encore d’en parler. En me mettant à écrire, je me demandais ce cpie l'âme fait alors ; c'était après la communion, et au sortir de l’oraison dont je parle. Notre-Seigneur me fit entendre ces paroles : Elle se consume tout entière, ma fille, du désir d’entrer plus profondément en moi'. Ce n’est plus elle ui vit, c’est moi qui vis en elle. Comme elle ne peut saisir ce qu’elle entend, c’est ne pas entendre, tout en entendant. » S'"-' Thérèse, Vie, c. xviir, t. i, p. 226. Personne n’osera refuser à la sainte qui a écrit ces lignes l’intelligence qui comprend, ou la faculté d’exprimer, dans un langage vivant et précis, ses idées et ses sentiments. On remarquera, d’ailleurs, que ce n’est pas seulement sa pensée qu’elle nous livre, mais, à son avis, la pensée de Dieu lui-même sur l'état de l'âme en extase. Sainte Catherine de Gênes, Physionomie des saints, p. 319, 320 ; la B^" Marguerite-Marie, Vie et œuvres, t. I, p. 369, 371 ; sainte Angèle de Foligno, Vie, c. Lii ; la sœur Marie-Bénigne Gojoz, Le charme du divin amour, p. 289 ; saint Jean de la Croix, La nuit obscure de l'âme, 1. II, c. xvii, parlent de même.

Cette difficulté de rendre ce qu’ils ont vu est sans doute chez les mystiques, comme chez tous les écrivains, une impuissance humaine ; nous ne pouvons pas exprimer telle que nous la concevons notre pensée. C’est l'éternelle défaite de notre esprit ; il ne parvient jamais à mettre dans les mots toute la

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