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EXTASE

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lasse de France… cela grouillait, cela rampait, cela trottait, cela sautait, cela grognait, cela sifflait. » Revue des deux mondes, nouvelle série, t. xiii, p. 528. La suggestion et la maladie ont, nous l’avons déjà remarqué, leurs extatiques, et ces extatiques leurs visions. Les hallucinations les plus bizarres assiègent leur cerveau, et l’image qui surgit dans leur esprit se traduit dans l’attitude du corps et dans tous ses mouvements. Ces poses et ces attitudes ont une vivacité d’expression étonnante ; certaines malades voient Dieu, la Vierge, les saints : « la Vierge a les mains jointes… un serpent est sous ses pieds… un arc-en-ciel au-dessus de sa tête… Il y a une belle lueur derrière elle… rouge… blanche… Je croyais qu’il n’y avait qu’un Jésus… il y en a des quantités. .. » P. de Bonniot, Le miracle et ses contrefaçons, p. 354.

2. Sur l’intelligence.

Comme elle a ses visions corporelles et imaginaires, l’extase a ses visions intellectuelles ; elles consistent en une connaissance qui se produit par une simple vue de l’intelligence sans impression ou image sensible, ou qui semble se produire ainsi. « Étant en oraison, écrit sainte Thérèse, un jour de la fête du glerieux saint Pierre, je vis auprès de moi — ou plutôt je sentis, car je ne vis rien ni des yeux du corps ni de ceux de l’âme — il me sembla, dis-je, voir auprès de moi Jésus-Christ. Je compris en même temps que c’était lui que je croyais entendre me parler. Comme j’ignorais absolument qu’il pût y avoir des visions de ce genre, je fus d’abord très effrayée et je ne faisais que pleurer. Cependant, à la moindre parole que Notre-Seigneur m’adressait pour me rassurer, je me trouvai, comme à l’ordinaire, tranquille, consolée et libre de toute crainte. Il me semblait que Jésus-Christ se tenait toujours à mon côté ; cependant comme la vision était sans image, je ne voyais pas sous quelle forme. Mais qu’il fût toujours à mon côté droit, je le sentais parfaitement. » Vie, c. xxvii, t. i, p. 336, 337.

D’une extase qui l’avait saisi en plein voyage au milieu des montagnes, dans un parfait équihbre de corps et d’esprit, un contemporain écrit : « Je sentis la présence de Dieu comme si sa bonté et sa puissance me pénétraient en même temps… Je crois utile d’ajouter que, dans mon extase, Dieu n’avait ni forme, ni couleur, ni odeur, ni saveur, bref que le sentiment de sa présence n’était accompagnée d’aucune localisation particulière : c’était comme si une personnaUté eût été transformée par la présence d’un esprit spirituel. » W. James, L’expérience religieuse, p. 59.

Il arrive donc que, par l’extase et dans l’extase, l’intelligence a la perception et comme l’évidence de cette vérité : Dieu existe, Notre-Seigneur existe, il est là près de moi. Il arrive en outre que certaines lumières y sont données qui grandissent les idées ordinaires d’une façon merveilleuse. Éblouis et transportés par ce qu’ils ont vii, les extatiques ne peuvent l’exprimer, les mots sont vides, les images ternes, et les sentiments impuissants : « Tout ce que je viens d’articuler n’est rien, tout cela n’a pas de sens, je ne peux pas parler, » écrit sainte Angèle de Foligno. Et cependant elle a des expressions, des cris magnifiques cette pauvre femme, coupable à certaines heures : « Si quelqu’un me racontait la passion, telle qu’elle fut, je lui répondrais : C’est toi, c’est toi qui l’as soufferte.., Je fus remplie d’un amour auquel je ne crains pas de promettre l’éternité ; et si une créature me prédisait la mort de mon amour, je lui dirais : Tu mens ; et si c’était un ange je lui dirais : Je te connais ; c’est toi qui es tombé du ciel. » Ern. hMlo’, Physionomie des saints, ] ?. 352. Cf. P. de Bonniot, Le miracle et ses contrefaçons, p. 377, 378. Sainte Catherine de Gênes, sainte Thérèse, la B" Marguerite Marie et bien d’autres ont ainsi vu grandir dans l’extase leurs idées et leur intelligence ; et toutes se plaignent de la pauvreté et du vide de leurs expressions, qui sont si belles parfois.

Il y a plus. Dans l’extase l’intelligence acquiert des idées qu’elle n’avait pas. Sainte Thérèse afllrme qu’alors Dieu révèle de grandes vérités, de profonds mystères, que l’âme éclairée de cette lumière divine devient savante. Vie, c. xxvir, t. i, p. 339-341. Un jour, il lui fut donné de comprendre le mystère de la sainte Trinité et cela si clairement qu’elle en fut remphe d’admiration et de joie. Vie, c. xxxix, t. ii, p. 139, 140. Sans doute, cette intelligence du mystère n’en était pas la pleine compréhension ; mais il y eut pourtant alors, au dire de la sainte, une manifestation très lumineuse et bien supérieure à la connaissance qu’elle avait précédemment. La même sainte assure. Le château intérieur, v « demeure, c. i, qu’ignorant que Dieu était en toutes choses par présence^ par puissance et par essence, elle en eut la claire évidence et le crut d’une manière inébranlable, après une extase. Saint Ignace, avant d’avoir étudié la théologie, écrivit un opuscule de quatre-vingts pages sur le mystère de la sainte Trinité, et il afhimait souvent que, dans la grotte de Manrèze, il avait compris merveilleusement une foule de vérités surnaturelles et naturelles qu’il ignorait. H. Joly, Saint Ignace de Loyola, p. 27. On trouvera d’autres exemples de cette science infuse dans Ribet, La mystique divine, t. ii, p. 305-347.

Ce n’est pas tout. L’extase donne non seulement des lumières sur les sciences humaines et divines, elle révèle parfois l’avenir. On a dit que les prophéties claires ne sont pas vraies et que les vraies ne sont pas claires : l’antithèse est piquante, est-ehe toujours exacte ? Sainte Thérèse affirme qu’elle a vu se réahser parfaitement et sans exception aucune des événements qui lui avaient été annoncés deux ou trois ans à l’avance. Vie, c. xxv, t. i, p. 312 ; elle y revient, p. 316 et 331. Elle cite des faits, t. i, p. 350 ; t. ii, . p. 123, 125, 216, 220, 227, 307, 337, 341, 344, 350, et je ne prétends pas être complet dans cette énumération. La B^e Jeanne d’Arc disait : « Il y a une fille entre Coussey et Vaucouleurs qui, avant un an, fera sacrer le roi de France. » Petit de Julleville, Jeanne d’Arc, p. 15. Cf. la belle prophétie faite devant ses juges, p. 121. On trouvera encore des prophéties dans la plupart des révélations faites aux saints et aux saintes ; sans doute elles ont souvent besoin d’être discutées, mais pourtant une conclusion se dégage : dans de nombreuses circojistances, des âmes en extase ont été averties d’événements futurs qui sont véritablement arrivés : les faits sont trop nombreux pour pouvoir être niés, dans l’Ancien Testament comme dans le Nouveau, dans les premiers siècles, de l’Église comme dans ceux qui ont suivi, et nous pouvons ajouter, en face des événements de Lourdes, comme à notre époque.

Sans doute, toutes les extases n’ont pas sur l’mtelligence cette infiuence grandissante ; il en est beaucoup surtout de celles provoquées par les excitants, la suggestion ou la maladie, qui, loin de la développer la rétrécissent, et parfois même la détruisent : la pauvreté mentale des hystériques est un fait que personne ne songe à nier, les médecins de la Salpê trière moins que personne.

3. Sur la volonté.

Certaines extases annihilent la volonté ; les déséquihbrés de l’éther, de l’alcool, du hachiscli, de la suggestion ou de la maladie, ne savent pas vouloir, ils s’agitent, mais leurs passions les mènent. Leur volonté faible, et qui n’est jamais fixée, explique la mobilité, l’inconstance de leurs désirs, de leurs afEections, ’^de leurs actes ; et leur

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