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EXTASE


pression suffit quelquefois. Cette impression peut naître au contact des grands spectacles de la nature. Le poète Amiel raconte dans les Fragments d’un journal intime que, au milieu des ruines du château de Faucigny, puis dans la montagne, au-dessus de Lavey, sous le soleil du midi, une troisième fois, la nuit, sur une grève-de la mer du Nord, il passa quelques-uns de ces moments divins, « où la pensée vole de monde en monde…, instants d’intuition où l’on se sent grand comme l’univers et calme comme un dieu. » Ces heures laissent dans l’esprit « des impressions de respect et d’entliousiasme, comme des visites du Saint-Esprit, » t. i, p. 43-44. Pareilles extases ne sont pas très rares chez ceux qui aiment passionnément la nature et chez les poètes, cf. Archives de psychologie, t. il, p. 351 ; on les rencontre aussi chez les savants et les philosophes. Il suffira de rappeler les cas du prêtre Restitut, d’Archimède et de Socrate, cf. A. Poulain, Des grâces d’oraison, p. 31, n. 20, et de Bonniot, Le miracle et les sciences médicales, p. 203 sq. et 197 ; ou encore celui de Descartes. Baillet nous dit que ce philosophe, le 10 novembre 1619, « étant couché tout rempli de son enthousiasme, et tout occupé d’avoir trouvé ce jour-là les fondements de la science admirable, eut trois songes consécutifs, mais assez extraordinaires, pour s’imaginer qu’ils pouvaient lui être venus d’en haut. » Il les racontait avec un enthousiasme délirant et sous leur influence il fit un vœu à Notre-Dame de Lorette. La vie de M. Des-Cartes réduite en abrégé, p. 45-47.

Hegel acheva dans le plus grand calme la Phrénologie de l’esprit, à léna, le 4 octobre 1806 ; il n’entendit rien de la sanglante bataille qui se livrait près de lui. Beethoven, ravi hors de lui par l’inspiration, sortit un jour, à moitié vêtu ; pris pour un vagabond, il fut conduit dans la prison de Neudstadt, personne ne voulant croire, malgré ses affirmations réitérées, qu’il fût Beethoven. Cf. G. Geley, L'être subconscient, p. 22, 23.

Enfin il est des cas fort nombreux et très différents des précédents, où sans aucune préparation au moins apparente, sans que l’on puisse découvrir l’influence d’aucune idée ou émotion — parfois même il est évident que nulle idée, nulle émotion n’a pu agir — l’extase éclate dans l'âme, comme un coup de tonnerre, la bouleverse et la ravit. Le D Imbert Gourbeyre rapporte, La stigmatisation et l’extase divine, t. II, p. 275 sq., que Passidce de Sienne eut des extases dès qu’elle « fut délivrée de ses langes et qu’on luj' eust vestu une robbe ; » Marie-Françoise des CinqPlaies n’avait pas atteint ses quatre ans cju’elle était déjà extatique ; sainte Hildegarde, Catherine de Bacconigi, Dominique du Paradis, sainte Catherine de Sienne le furent au même âge, saint Pierre d’Alcantara à six ans, saint Joseph de Cupertino à huit. Dans le Théâtre sacré des Cévennes, p. 80-82, Jacques Dubois de Montpellier écrit : « J’ai vii, entre autres, un enfant de quinze mois entre les mains de sa mère à Quissac qui parlait avec agitations et sanglots, distinctement et à voix haute, mais pourtant avec des interruptions : ce qui était cause qu’il fallait prêter l’oreille pour entendre certaines paroles. L’enfant parlait comme si Dieu eût parlé par sa bouche : Je te dis mon enfant, c'était la formule par laquelle l’esprit commençait toujours… Dans une vallée nommée la Courbe du Renard, proche de la Rouvière, à une bonne lieue d’Anduze, je fus chez un de mes amis dans la maison de qui il y avait un petit garçon de six’ans… Cet enfant tomba, en ma présence, dans des agitations de tête et de poitrine, parla à voix haute et en bon français, exhorta beaucoup à la repentance, fit aussi quelques prédictions. » Le même auteur affirme qu’il a vu plus de soixante

enfants, ayant de trois à douze ans, tous extatiques.

Beaucoup des extases que nous lisons dans la vie des saints scmbleni bien n’avoir aucune cause immédiate naturelle. Remarquons seulement ici qu’une espèce d’extase a été nommée par les auteurs mystiques ravissement, pour indiquer, par le nom luimême, tout ce qu’elle a de soudaineté impétueuse, et combien elle paraît indépendante de toute volonté en dehors et au-dessus de ; oute préparation.

Un jour, sainte Thérèse récitait le symbole de saint Athanase, quand tout à coup il lui fut donné de comprendre de quelle manière il y a un seul Dieu en trois personnes, et la vision fut si claire que son âme en tressaillait d’admiration et de joie. Œuvres complètes de sainte Térése de Jésus, trad. nouvelle par les carmélites du premier monastère de Paris, t. II, p. 139, 140. Un autre jour, pendant son oraison, il lui fut représenté, en un moment, sans objet distinct, mais d’une manière extrêmement lumineuse : « comment toutes choses se voient en Dieu et sont contenues en lui. » Œuvres, t. ii, p. 147. La Vénérable Jeanne de la Croix, Clarisse de Roveredo, parlait à ses sœurs des perfections divines quand, soudain, elle fut ravie ; son ravissement dura sept heures. A. Poulain, Des grâces d’oraison, c. xviii, n. 15.

Certains états de faiblesse corporelle, certaines maladies produisent sur le corps et sur les facultés de l'âme des effets où quelques auteurs ont voulu voir des manifestations extatiques ; des volumes et des volumes ont été écrits su ; ce sujet, je ne dirai que quelque ; mots.

Sainte Thérèse, Château de l'âme, iv « demeure, c. iii, et sainte Jeanne de Chantai, Lettres, 1. 1, p. 276, 277, remarquent avec justesse que les personnes adonnées à la pénilence, à l’oraison, aux veilles, ou qui simplement sont faibles de complexion, perdent parfois conscience dans la prière et, revenues à elles, ne se souviennent de rien : les deux saintes ne voient là rien d’extatique, elles ordonnent simplement de faire manger et dormir ces personnes un peu plus qu'à l’ordinaire.

La catalepsie cause des phénomènes plus étranges. Les auteurs latins l’appellent congelatio ; c’est, en effet, un saisissement instantané, /.o.T-jlr^'liiz, une espèce de pétrification soudaine ; le patient immobilisé semble privé de vie. Le corps garde l’attitude où l’attaque l’a saisi, les traits conservent d’ordinaire l’apparence et les couleurs de la vie, mais mouvement, sensibilité, intelligence, vouloir ont disparu. On peut enfoncer des épingles et des aiguilles dans les bras ou les jambes du malade, il ne sent rien ; ses yeux sont insensibles à la plus vive lumière, ses oreilles aux sons les plus puissants, l'âme semble avoir fui. Il y a des attaques moins complètes. Grasset, Traité pratique des maladies du système nerveux, p. 873.

La catalepsie n’est souvent qu’une manifestation de l’hystérie, l’hystérie bien des fois a été identifiée avec l’hypnotisme. L’hystérie, l’hypnotisme, comme la catalepsie, produisent des extases. Les médecins ont décrit longuement les troubles de la célèbre névrose : troubles de la motilité, troubles de la sensibilité, troubles circulatoires et secrétoires, troubles psychiques. Grasset, op. cit., p. 925-957. Les exploits des médiums se lisent partout : inutile d’insister sur ces singulières et maladives extases. Je sais bien que l’on écrit hardiment que les saints de l'Église catholique sont des hystériques et leurs extases des névroses ; le lecteur, quand il aura lu cet article, verra facilement les différences essentielles qui séparent les malades des cliniques et les saints du martyrologe.

II. Effets.

L’extase, qu’elle soit provoquée par l’absorption de gaz, de liquides ou de substances quelconques, qu’elle naisse de l’immobilité absolue