Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 5.2.djvu/280

Cette page n’a pas encore été corrigée
1859
1860
EXPÉRIENCE RELIGIEUSE


communes, si profonde qu’elle peut coexistei aux épreuves les plus cruelles qui troublent la surface de l'âme. C’est ce satisiccil du Saint-Esprit qui soutient le catéchumène dans sa marche indéfectibe vers la vérité entrevue, les grands contemplatifs et les saints, au milieu des épreuves inouïes qui leur sont immanquablement réservées. S. Jean de la Croix, Nmi obscure, 1880, 1. ii, c. XVI, t. iii, p. 415 sq. ; Cantique spirituel, 1875, str. XX, t. i, p. 311-318 ; str. xxii p. 327. L’apôtre la désignée d’un mot qui explique limpossibilitéde la décrire à qui n’en a pas fait l’expérience, et révèle le secret des vies héroïques qui déconcertent les courages ordinaires : pax Dci, qux exsuperat omnem sensum. Phil., iv, 7. Qui doutera de ces assertions voudra bien se reporter aux autobiographies de convertis et de saints catholiques et se souvenir que si la paix est « la tranquillité de l’ordre » , S. Augustin. De civitate Dei, 1. XI, c. xiii, n. 1, P. L., t. xli, col.' 640, il peut, il doit y avoir, dans l’Eglise authentique du Christ, une réaction afïective inimitable ailleurs., , b) Voie extraordinaire. — Les remarques précédentes pourraient suffire, car elles s’appliquent à tous les degrés de la sainteté, mais il y aura intérêt, bien qu’il n’y ait aucun lien nécessaire entre la perfection et les grâces mystiques (cf. Benoît XIV, De servorum Dei beatif., . III, c. xxvi, n. 8 ; S. Alplionse de Liguon, Homo apos/., append. I, n. 16, citant sainte Thérèse et saint François de Sales ; Suarez, De oratione, 1. 11, c XI, n. 9, citant saint Bernard), à préciser quelques difiérences entre les expériences mystiques catholiques et celles qu’on leur compare.

Si Dieu opère parfois des miracles hors de 1 Eglise, il peut aussi bien, à titre exceptionnel, conférer des « races authentiques de contemplation infuse à des âmes de bonne volonté, fussent-elles dans le schisme ou dans le paganisme. La question de spécificité se pose seulement à l'égard des chefs de sectes hétérodoxes, des iUuministes de toutes nuances et des philosophes qui prétendent être arrivés à l’extase. Ici encore, en faisant la part d’analogies indéniables, qu’imposent la communauté de thème et la similitude forcée de quelques procédés, on peut, sans entrer dans le détail, voir Extase, Hystérie, Mysticisme, signaler des divergences significatives.

a. Signes extérieurs. — On pourrait insister utilement sur l'énergie hors pair que révèlent la plupart des mystiques catholiques, et si l’on objectait les œuvres accomplies par des initiateurs comme Fox, Westey, Swedenborg et autres, on insisterait sur le sens très spécial de leur activité. Celle des mystiques catholiques s’est dépensée, ordinairement, au prix de sacrifices très durs à la nature, soit pour des fondations charitables très ardues, soit pour la restauration de pratiques religieuses ou de disciphncs monastiques pénibles, et le plus habituellement au milieu des contradictions multiples. Ceux qu’on leur oppose ont-ils travaillé dans le même sens et au même prix ? On signalerait ensuite les prophéties authentiques de nos saints, dont ne peuvent rendre compte ni les explosions subites d’incubations subconscientes, m 1 exaltation hystérique. Bref, de la diversité des effets, on arguerait la distinction des forces qui les soutiennent et des consolations qui rendent possible une telle vie. b. Caractéristiques psychologiques. — Plus intimes les notes suivantes.^, , ,, .

On notera, dès l’abord, la différence qu ils établissent entre les touches mystiques proprement dites et les visions ou phénomènes extraordinaires qui accompagnent souvent ces états, sans leur appartenir. Leur attitude à l'égard de ces commotions et représentations sensibles ou Imaginatives est la défiance, les sens y jouant trop de part, tandis que les pseudo mystiques les prennent pour fondement indiscutable de leur vie spirituelle ou de leur mission sociale.

On pourra voir quel cas font de ces faveurs saint Jean de la Croix, Montée du Carmel, 1. II, c. xi, dans Œuvres, t. ii, p 167-179 ; cf. c. xvi, xvii ; S'= Thérèse, Vie par elle-même. c. XXV, xxxii, dans Œuvres, t. i, p. 312 ; t. ii, p. 14 ; Bclation, Lm, t. II, p. 288 ; Château de l'âme, VI= dem., c. ix. t VI, p. 257 sq. ; S. Ignace, Acta sanctorum, 31 juillet, comm prœv § 60, n. 614 ; S. Alphonse Rodriguez, Vie admirable, Paris, 1890, n. 7, 72, 121, 123, 147, 160, 265.

Quant à la « touche mystique » , elle apparaît chez les uns comme une prise de conscience, si différente de l’ordre naturel que l'âme pleinement passive, incapable de produire ou de prolonger ces émotions, se sent comme introduite dans un monde à part, et investie d’une présence qui la pénètre d’amour. Cette dernière caractéristique est essentielle, surtout aux regards des auteurs — plus stricts interprètes des textes, ce nous semble — qui ne dépeignent pas le sentiment mystique de présence comme antérieur à l’amour, mais comme donné dans et par l’amour, col. 1812. Dans l’extase musulmane, néoplatonicienne, ou autre, la touche mystique apparaît au terme d’une préparation dialectique, comme un éblouissement rapide de fintelligence qui réalise un instant la plus élevée des notions intelligibles, ou comme une de ces illusions Imaginatives, si suspectes aux précédents.

Voici, en effet, un autre caractère, qui découle du premier. Tandis que les pseudo-mystiques se tiennent pour assurés de l’origine divine de leurs expériences^ ' les mystiques orthodoxes passent nécessairement par des doutes prolongés ; ils cessent seulement, après 1 de longues années, dans les états les plus relevés. ' Cf. S*'= Thérèse, Relation, lxvi, t. ii, p. 320, 322 ; B^e Marguerite-Marie, Vie et œuvres, Paris, 1876, : t. ii, p. 318, 324, 338, 410, 415, 429. La raison en est, à la fois, dans la spécificité de l’expérience faite (son ' caractère exotique déroute leur pensée), dans leur humilité (l’idée qu’une faveur authentique puisse s’adresser à eux les déconcerte), dans la tactique divine qui vise à les vider de tout amour propre, pour les remplir de ses dons, et à leur assurer une direction indispensable, dans une voie si ouverte aux illusions. S «  « Thérèse, Vie, c. xxvi, t. i, p. 331 sq. ; Relation, i, t.ii, p. 211 ; B » = Marguerite-Marie, Vie et œuvres, t. ii, p. 374, 382.., . ^

Par une suite nécessaire, les uns s’exonèrent de tout contrôle extérieur, les autres n’admettent les motions intérieures que sanctionnées par la double évidence des œuvres bonnes, avouées par la conscience commune, et de l’approbation ecclésiastique, dont l’autorité s’impose à leur foi comme à leur modestie.

En fin de compte, la paix du Saint-Esprit est ici encore le dernier critère. Au lieu de la fièvre inquiète ou des écœurements qui marquent la fin des réformateurs hétérodoxes — qu’il suffise de renvoyer aux témoignages de Luther et de ses partisans — cette paix assure aux orthodoxes la force de soutenir toutes les épreuves, toutes les contradictions, voire même des peines intérieures inouïes, au milieu desquelles rien ne paraît survivre que la certitude, perdue comme une étincelle au tréfonds de l'âme, de persévérer dans la voie voulue de Dieu. Au fur et à mesure de la purification intérieure, il se fait dans 1 ame une béatification progressive, dont peut-être on imaginerait quelque chose en s’appliquant à concevoir une intensité croissante de paix.

Nous insistons sur la paix à cause de sa valeur philosophique : ce n’est qu’une note, mais qui en implique beaucoup d’autres, puisqu’elle naît de l’ordre réalise. Moins significatifs par conséquent, mais importants aussi, ces traits qu’indique saint Paul : « Le iruii de TEsprit, c’est la charité, la joie, … la patience.